L’art du vitrail à Lyon
Publié le 31/07/2024 à 10:53
- 17 min -
Modifié le 31/08/2024
par
cpetit
Ville lumière par excellence, Lyon manifeste son attachement au rayonnement du soleil par l'extraordinaire diversité des vitraux qui agrémentent ses lieux de culte mais aussi ses espaces publics et privés.
Quelques jalons historiques de l’art du vitrail
Le vitrail désigne avant tout une technique ancienne, dont on retrouve les traces dès l’Antiquité tardive, sur les ouvertures des édifices religieux chrétiens. Les origines du vitrail remontent en effet au début du second millénaire avant Jésus-Christ : « des fouilles pratiquées sur les sites archéologiques d’Asie mineure, d’Égypte et du monde romain chrétien, ont révélé l’existence de verres multicolores enchâssées dans des dalles de marbre, de gypse, d’albâtre ou de bois » ainsi que l’expliquent Josette Trublard et Martine Callias Bey dans Le vitrail, techniques d’hier et d’aujourd’hui (2010), ouvrage mêlant à la fois la technique et l’histoire du vitrail.
L’art du vitrail est intimement lié à l’importance prise par la fenêtre dans l’architecture privée et publique : « Inutile au temple gréco-romain, à peu près sacrifiée dans la maison antique, la fenêtre intéressa l’architecte lorsque se multiplièrent les lieux de réunion, comme les thermes et les basiliques judiciaires, et bientôt les églises chrétiennes » selon l’historien Jean Lafond dans Le vitrail, origines, technique, destinées de Jean Lafond, 1988, p. 17.
Dès lors, c’est au Moyen-Âge que cette technique se développe en Occident, avec des pièces de verre assemblées par des baguettes de plomb, spécifiquement profilées. Divers traités définissent les processus de fabrication des vitraux dès le XIIème siècle, en Allemagne et en Italie, dont celui du moine allemand Théophile dans son Traité des divers Arts, écrit en latin et copié dès son origine jusqu’au XIXème siècle. Au XVIème siècle, Vasari consacre lui aussi un chapitre des Vies des plus excellents peintres à la technique du vitrail.
L’esthétique du vitrail repose ses origines sur l’expérience mystique de la lumière, signe divin depuis Saint-Augustin (354-430). « Les verrières romanes ont une fonction éclairante, car dans la pensée chrétienne, la lumière est la manifestation du beau absolu et de la présence la plus évidente de Dieu. […] Les architectes de l’âge gothique (XIIIème-XVème siècles) attribuèrent un rôle majeur au vitrail du fait de l’agrandissement des ouvertures qu’ils pratiquaient dans la surface murale. […] On assista alors à la transformation du style pictural et à la fragmentation de la couleur, jusqu’à obtenir un effet de préciosité comparable à une mosaïque de pierre précieuses, mais de lecture parfois difficile. ». (Le vitrail, techniques d’hier et d’aujourd’hui, pp. 79-93).
La théologie de la Lumière, qui s’exprime dans l’architecture gothique, guide alors la conception des cathédrales en Occident.

Jean-Pierre Boursier, Photographes en Rhône-Alpes, Bibliothèque municipale de Lyon / P0929 001 00516
Selon Georges Duby, dans Le Temps des cathédrales (1975), deux sortes de lumières sont distinguées : la lumière divine, qui est Dieu, et la lumière physique, manifestation de Dieu. Laisser entrer la lumière dans une église, c’est donc laisser entrer Dieu, car dans cette théologie, la lumière est chargée d’une force symbolique. Lorsque la lumière du ciel passe à travers les vitraux, elle se charge symboliquement d’une manifestation divine. Les vitraux sont chargés de transformer la lumière physique en lumière divine, autrement dit de faire entrer la présence divine dans l’église. Par ailleurs, au Moyen-Âge, les vitraux des églises présentent des scènes de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament, de la vie des saints ou encore de la vie quotidienne et jouent donc un rôle d’éducation et de catéchisme pour une population largement analphabète.
Au XIVème siècle, l’ampleur des ouvertures murales des lieux de culte devient telle qu’il est nécessaire de réduire les parties colorées du verre, afin de diminuer les coûts : se développe alors la grisaille ou vitrail ornemental sur verre blanc, enrichi d’éléments colorés en bande horizontale ou verticale composée de niches plus ou moins élaborées (« une litre »). Au XVème siècle, le vitrail bénéficie de matériaux de meilleure qualité, et d’un essor important de la vitrerie civile. Le vitrail religieux devient monumental, et déploie des petites scènes narratives sous d’immenses personnages. La maîtrise technique atteint son apogée au XVIème siècle, caractérisé par un embrasement des couleurs, l’utilisation d’émaux colorés, l’emploi de la sanguine, la gravure de verres rouges ou bleus, les incrustations variées…

Photographes en Rhône-Alpes, numelyo, Bibliothèque municipale de Lyon / P0929 001 00742
Après quelques siècles de mise en sommeil de l’art du vitrail, celui-ci renaît au XIXème siècle, dans une tentative de retrouver les traditions médiévales et de restaurer châteaux et églises du Moyen-Âge : château de Pierrefonds par Eugène Viollet-le-Duc, la Sainte-Chapelle par Felix Duban notamment. Les progrès de la chimie et donc des techniques du verre permettent des prouesses technologiques, et les établissements de peinture sur verre se développent en France jusqu’au début du XXème siècle, que ce soit pour des restaurations, des créations de bâtiments religieux ou pour l’architecture civile et publique, « notamment dans les nouvelles formes d’architecture métallique appliquées aux serres de jardin, gares, marchés et halls de circulation, grands magasins, banques, caisses d’épargne, cafés, brasseries ou passages. […] Les vitraux dits d’appartement, de fantaisie ou de cabinet se multiplient alors aux fenêtres et plafonds des appartements privés comme dans les entrées et les escaliers d’immeubles. » Les peintres verriers se font connaître lors des Expositions universelles ou des Salons des arts décoratifs (Le vitrail, techniques d’hier et d’aujourd’hui, p. 153).
Siècle de recherches et d’expériences, le XXème siècle redonne un véritable élan créateur à l’art du vitrail, loin du penchant archéologique du siècle précédent. Dans la veine de l’Art nouveau, « la nature, à grandeur réelle, envahit les fenêtres des maisons et des lieux publics » (Le vitrail, techniques d’hier et d’aujourd’hui, p. 161), notamment grâce aux fondateurs de l’école de Nancy : le verrier et ébéniste Émile Gallé , l’ébéniste Louis Majorelle et le peintre verrier Jacques Gruber.



Photographes en Rhône-Alpes, numelyo, Bibliothèque municipale de Lyon
Entre les deux guerres, l’art sacré trouve cependant un nouveau souffle dans les reconstructions ou créations d’église, avec des artistes comme Maurice Denis. L’apparition du béton armé et du béton translucide permettent de nouvelles techniques, notamment celle de la mosaïque transparente, promue par Jean Bazaine, Fernand Léger, Jean Barillet, Gabriel Loire, Max Ingrand et bien d’autres. Dans la seconde moitié du XXème siècle, les artistes introduisent dans le vitrail le reflet des courants artistiques tels que le cubisme, le fauvisme, l’abstraction.
Et aujourd’hui, l’art du vitrail reste un art vivant, qui exploite les nombreuses avancées technologiques dans le domaine du traitement du verre, permettant l’expression de sensibilités artistiques très variées, avec des artistes comme Aurélie Nemours, Olivier Debré, Geneviève Asse, Sami Sarkis, Henri Guérin, Georges Rouault… jusqu’au dialogue avec la bande dessinée !

René Lanaud, Photographes en Rhône-Alpes, numelyo, Bibliothèque municipale de Lyon / P0793 003 00208
Pour aller plus loin :
- Le vitrail médiéval en Europe : dix ans d’une recherche foisonnante, Brigitte Kurmann-Schwarz et Claudine Lautier, 2009
- Liste des maîtres verriers au fil des siècles
En France, en Auvergne-Rhône-Alpes, à Lyon…
Dès l’origine, les sites du vitrail en France sont nombreux : l’ancienne abbatiale de Saint-Denis, de la Trinité-sur-Vendôme, les cathédrales de Notre-Dame de Paris, de Strasbourg, de Troyes, de Bourges, de Poitiers, d’Angers, du Mans, de Chartres… et bien sûr la cathédrale Saint-Jean de Lyon appartient à cette liste déjà longue.
De nombreuses publications étudient ces vitraux dans les édifices religieux ou publics. Retenons ici trois ouvrages intéressants pour une première approche de l’histoire du vitrail à Lyon, disponibles en salle de La Documentation régionale, site de La Part-Dieu, Bibliothèque municipale de Lyon :
- Lyon et le vitrail : du néo-médiéval à l’Art nouveau : exposition, Lyon, Palais Saint-Jean, 26 mai-2 août 1992, organisée par les] Archives municipales
- « Le vitrail dans l’ouest lyonnais » dans le bulletin périodique n°90 de l’Araire, automne 1992
- Les vitraux du chœur de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, Lyon : exposition, du 8 décembre 1995 au 27 avril 1996
- Le vitrail du souvenir, une mémoire de verre, brochure publiée en 2019 par les Archives départementales et métropolitaines du Rhône sur les vitraux consacrés aux soldats morts pour la France.
La Base Photographes en Rhône-Alpes de la Bibliothèque municipale de Lyon manifeste elle aussi la richesse patrimoniale de la région en matière de vitrail : 1391 résultats avec le mot clé « vitraux » à ce jour. En 2023 a été chargé dans la base le résultat d’années de photographies : 574 clichés des vitraux et autres décors, géolocalisables dans Lyon et Villeurbanne.
On y trouve des motifs floraux, abstraits et géométriques, ou encore des scènes historiques et religieuses, représentatifs de l’extraordinaire diversité du vitrail dans la sphère civile.

Lyon 6 – P1230 001 00565

P1230 001 00343

P1230 001 00534

P1230 001 00446

P1230 001 00071

Photographes en Rhône-Alpes, numelyo, Bibliothèque municipale de Lyon
À cette diversité de réalisations sont associés quelques grands noms de maîtres verriers dans la région :
Lucien Bégule 1848-1935
Lucien Bégule est sans nul doute le plus célèbre et le plus représenté des maîtres verriers de Lyon. Sa famille et une association continuent de faire vivre sa mémoire au travers du site vitraux Lucien Bégule, bien illustré, sur lequel on peut voir tous ses vitraux et leur localisation.
L’association Sauvegarde et embellissement Lyon lui a consacré un bulletin, intégralement en ligne : Redécouvrir l’œuvre du maître verrier Lucien Bégule, juin 2018.
À la Bibliothèque municipale de Lyon, vous pourrez emprunter Lucien Bégule, maître verrier lyonnais, par Thierry Wagner, Martine Villelongue, en 2005
Autres photographies de vitraux de Lucien Bégule disponibles dans Photographes en Rhône-Alpes.
Auguste Morisot, 1857-1951
Un autre grand nom du vitrail, Auguste Morisot, a fait l’objet d’une exposition au Musée des Beaux-arts de Lyon en 2012.

Joël Mône, né en 1950
Joël Mône, maître verrier contemporain, a par exemple réalisé les vitraux de Notre-Dame du Rosaire à Saint-Fons ou des églises de Marols et de Souternon dans la Loire.
En savoir plus : Le vitrail : perspective de la transparence, par Joël Mône, 2007

Fonds Lyon Figaro, Claude Essertel – Photographe en Rhône-Alpes, numelyo, Bibliothèque municipale de Lyon / P0740 FIGRPT0264 03

Et aussi :

P0740 FIGRPT0264 06

P0740 FIGRPT0264 04

P0740 FIGRPT0264 01
Pour aller plus loin :
- Autres photographies du fonds Lyon Figaro dans Photographes en Rhône-Alpes
- Les vitraux du Moyen âge et de la Renaissance dans la région lyonnaise, Lucien Bégule, 1911
Formations et ateliers
L’art du vitrail relève des métiers d’art enseignés à l’Institut national des métiers d’art.
La France, pays de cathédrales, a la plus grande surface de vitraux dans le monde, soit 90 000 m2 de vitraux. Ce patrimoine rend l’activité de conservation et de restauration de vitrail importante. La participation de l’État permet la réalisation de nombreuses opérations de restauration ou de création de vitraux, en partenariat avec les communes propriétaires, les conseils généraux et régionaux. Participent aussi certains diocèses ainsi que des entreprises mécènes. Les études scientifiques sur la connaissance des vitraux anciens et leur conservation sont menées par le Laboratoire de recherche des monuments historiques situé à Champs-sur-Marne. Les chantiers de restauration d’un montant supérieur à 45 730 € sont attribués sur appels d’offres dans le cadre des marchés publics.
La création représente généralement 20 % du chiffre d’affaires selon les ateliers. Un recensement large d’environ 450 entreprises pour 1100 acteurs représente actuellement le secteur. Les commanditaires étrangers apprécient le savoir-faire français. Page Maitre verrier (Vitrailliste)
De nombreux ateliers sont aujourd’hui actifs à Lyon. En dehors de ceux qui ont déjà été cités, en voici quelques autres : Faucher, La fleur du verre, Vitrail Saint-Georges…
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