Variations musicales
Folia
Les métamorphoses d'un thème éternel
Publié le 16/10/2023 à 15:55 - 12 min - Modifié le 18/10/2023 par Civodul
Il semble que le thème soit apparu au Portugal au XVème siècle, sous la forme d’une ritournelle destinée à la danse. La folia connait ensuite un grand engouement en Espagne et conservera désormais cette estampille hispanique. La structure est simple mais, invitant à la créativité, elle se prête à d’innombrables variations. Ce canevas magique a été utilisé de mille et une façons originales et ingénieuses au cours des siècles, souvent de manière magistrale. Nous vous proposons une petite anthologie des avatars de la folia. Le choix a parfois été difficile et ce petit article se voudrait une invitation à la découverte.
COMMENT CA MARCHE ?
Le rythme est ternaire, Il s’agit d’un motif de deux fois 8 mesures, reposant sur 4 accords (ré mineur, la7, do, fa), dont voici la deuxième partie, la première étant identique mais non conclusive (le thème est présenté ici dans la tonalité de ré mineur mais il apparait également en sol mineur) :
Aux origines
Le thème est déjà familier des musiciens de la Renaissance (Ortiz, Enzina …) mais l’âge d’or de la folia est la période baroque.
La période baroque
- Francesco Corbetta (1615-1681), une version précoce, magnifiquement ornée, à la guitare baroque :
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687) – Les folies d’Espagne, composées en 1672 pour 2 hautbois, cor anglais et basson connaissent de nombreuses transcriptions et adaptations. Une musique royale.
- Bernardo Pasquini (1637-1710, compositeur italien, organiste et claveciniste renommé, il est considéré comme le compositeur le plus important entre Frescobaldi et Scarlatti. Voici une version pour clavecin :
- Michel Farinel : The Faronell’s Ground for violin and basso continuo (1685). La folia franchit le Channel avec Michel Farinel (1649-1726), musicien français de Grenoble, qui séjourne en Angleterre de 1675 à 1678. C’est le musicien John Playford qui la publie pour la première fois dans « The division violin » en 1684, sous le nom de Farinel’s ground.
- Arcangelo Corelli (1653-1713). Une référence dans la multitude des compositions, monument de la folia (violon et basse continue) :
- Johann Sebastian Bach (1685-1750). Le thème est très généralement traité de façon instrumentale. Cependant dans sa Cantate des paysans, Bach entrelace au motif initial de somptueuses guirlandes vocales :
- Georg Friedrich Haendel (1685-1759). La Folia prend ici la la forme de la sarabande et le thème perd son caractère rapide et dansant, pour s’installer dans un rythme (mesure à 3/2) au caractère grave et majestueux. L’harmonie se trouve d’ailleurs enrichie d’un accord de sol mineur. Immortalisée par la musique du film Barry Lyndon, et bien que mille fois rebattue la sarabande n’a rien perdu de sa magique et tragique grandeur :
- Marin Marais (1686-1728). Les Couplets sur les “Folies d’Espagne” sont composés pour son second recueil de pièces de viole. Cette oeuvre est considérée comme un sommet du répertoire pour l’instrument. Ici deux violes + théorbe :
- Christina Pluhar et son Arpeggiatta marie habilement les instruments baroques (luth) et modernes (clarinette) pour une impro jubilatoire :
Célèbres (C.P.E. Bach, Couperin, Vivaldi …) ou moins (Petrini, Bellinzani, Piccini, Albicastro, Corrette ….) innombrables sont les compositeurs de l’époque baroque qui se sont illustrés dans l’exercice. Il serait vain d’en vouloir établir une liste exhaustive.
La période classique
Plus sobre en folia la période classique propose cependant quelques beaux specimens.
- Les 26 variations, savamment orchestrées d’Antonio Salieri (1750-1825), sont un pur régal :
- L’opéra les Abencérages, de Luigi Cherubini (1760-1840), dont l’action se situe dans l’Espagne des Maures, inclut de délicieuses variations sautillantes sur le thème des Folies d’Espagne (plage 13 du cd D 33169). Conçues comme musique de ballet elles sont effectivement terriblement dansantes.
- Le thème de la folia est subrepticement utilisé par Beethoven (1770-1827) dans sa Cinquième Symphonie. L’harmonie à mi-chemin du mouvement lent (mesures 166–183) le fait apparaître de façon extrêmement fugace, mais indiscutable.
La période romantique
- Voici à la guitare classique les délicates variations perlées de Fernando Sor (1778-1839) :
- Le génie de Franz Liszt (1811-1886) se met sur les rangs. Dans sa rhapsodie espagnole le thème se fait un peu attendre [1′, 14”] mais avouons que cela valait le coup d’attendre, les variations, impériales, sont à couper le souffle :
- Chez Sergei Rachmanivov (1873-1943) le fond de sauce est magistralement épicé de savoureux chromatismes :
- Thème et variations sur ‘La Folia’ de Manuel Garcia Ponce (1886-1948), compositeur mexicain. Le style mi-classique, mi-latin s’accorde merveilleusement avec les racines hispaniques du thème, qui, très librement et subtilement traité, disparait totalement par endroits comme une rivière souterraine pour sourdre à nouveau plus loin, inopinément. Interprétation absolument craquante, avec ses craquements d’époque, par Andres Segovia.
Périodes moderne et contemporaine
- La folia là où on ne l’attendait pas, un peu triturée, un peu relookée . Vangelis (né en 1943) dans l’illustration musicale du film 1492 exploite la progression harmonique de façon inattendue et brillante. Musique marquante devenue standard à juste titre. NB : l’Espagne est toujours en toile de fond (Christophe Colomb) :
- Karl Jenkins, musicien gallois né en 1944 opte pour les sonorités feutrées des marimbas alliées aux cordes pour une folia très soft, c’est une folie douce, qui ne voudrait pas déranger :
- Gregorio Paniagua, compositeur espagnol né en 1944, renouvelle le genre, avec le charme de l’ancien, comme une vieille commode qu’on aurait récupérée chez Emmaüs et repeinte pour une nouvelle tranche de vie. Une private joke indienne énigmatique dans les ultimes mesures …. comprenne qui pourra.
- Cécile Corbel (née en 1980) est une harpiste, autrice-compositrice et chanteuse française d’expression bretonne. Elle imprime (harpe et cordes) à la folia de délicats accents folk et celtiques :
Période post-moderne
- Une battle de fiddles – ou un duo de violons si vous insistez – charmante scie musicale à la pêche communicative, une performance attachiante :
- Tendez une oreille. Chez Max Richter (né en 1966), le motif de la folia n’est pas pas forcément apparent au premier abord (notes étrangères, tempo astucieusement rendu bancal) … mais bien vite sous la trame électro pointe, en tapinois, le charme ineffable de la fameuse séquence :
- Tendez les deux oreilles. Yaron Gottfried est un pianiste et compositeur israélien éclectique (né en 1968). L’inventivité, la sophistication virtuose et la liberté règnent à l’état pur dans sa folia très personnelle (pas sûr cependant que Corelli et Lully y retrouveraient leurs petits) :
Pour ne pas conclure ce petit tour d’horizon et après avoir précisé que Line Renaud n’a pas, elle, utilisé le thème, voici, pour ceux de nos usagers qui auraient envie de se mettre un brin de folia sous les doigts, quelques références de partitions disponibles et empruntables dans nos collections :
- Folies d’Espagne [Partition] : variations sur le thème de “la Folie” : pour clavier solo / Bernardo Pasquini, Alessandro Scarlatti, Carl Philipp Emmanuel Bach
- Les nouveaux duos classiques pour guitare [Partition] : 47 arrangements par Jean-Maurice Mourat
- La Follia : sonata “Folies d’Espagne” [Partition] : variations sur un thème de Farinelli : pour un ou deux violons et piano / Arcangelo Corelli
- Les folies d’Espagne [Partition] : pour flûte à bec (ou hautbois, flûte traversière, violon, viole de gambe) et basse continue (guitare et viole de gambe ou violoncelle) / Marin Marais ; Johannes Tappert, éditeur
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