TENDANCE
Les noces du rap et de la chanson
Publié le 01/06/2018 à 07:18 - 3 min - Modifié le 21/11/2020 par GLITCH
Le rap n'en finit pas de sortir du ghetto. Le genre musical le plus écouté au monde s'imprègne aujourd'hui de plus en plus de chanson... et réciproquement ! Les jeunes chanteurs collent instinctivement au son de leur génération, les rappeurs veulent élargir leur public, l’autotune permet de faire chanter le flow… Et la musique sait toujours se régénérer par les croisements et les emprunts. Et entre rap et chanson, émerge une nouvelle scène.
Un rap plus… OKLM
Comme un avant-goût il y avait eu le son de Stromae. D’abord rappeur, le belge s’est imposé avec sa chanson électro colorée de rap qui a su fédérer un public inédit.
Et puis, délaissant -un peu- l’égotrip bodybuildé, le parrain Booba s’est mis à la ballade autotunée. Des thèmes plus intimes, des passages chantés, au calme quoi. Le parrain du game français et ses disciples ont importé depuis les années 2010 les sons électro-minimalistes de la trap. Place aux rythmes lents, qui contraignent moins le débit de la voix.
Le succès de PNL et leur “cloudrap” planant, celui de Nekfeu, SCH ou Vald ont donné ses lettres de noblesse à un rap qui regarde vers la chanson, comme il regardait déjà vers le bled ou les Antilles. Et le pli s’est étoffé : depuis les caméléons opportunistes comme Maître Gims, qui ont suivi le fil de la « variétisation » du rap, jusqu’à Eddy de Pretto, parfois comparé –comme Stromae- à Jacques Brel.
Depuis, dans la lignée d’un Orelsan déjà vétéran, de nouveaux artistes font leur entrée dans les marges chansonnières du rap. Ils -et enfin, un peu, elles– n’ont pas de casier judiciaire et ne cherchent pas à faire briller leur « street cred ». Mais ils ont été élevés au son du hip-hop. Les samples de funk laissent place aux boucles électro ou nappes de synthés, les rythmiques hachées s’assouplissent…
La voix parle ou chante, avec ou sans autotune. Les chansons développent des thèmes nouveaux. On y raconte blessures d’amour et amours glauques, vague à l’âme existentiel, nihilisme sans gonflette et trouble dans le genre.
Bad boys, sad kids
En 2 titres chacun, écoutez comme Columbine, Vald ou Lomepal, savent reprendre les codes classiques du rap. Mais aussi les détourner et amener leur chanson à des tonalités mélancoliques et décadentes, passer de l’egotrip à l’égoflip…
Hyacinthe, Eddy de Pretto, la lyonnaise Chilla ou encore Aloïse Sauvage n’ont pas peur d’être des kids sensibles et ambigus et de chanter ou rapper leurs fêlures narcissiques…
Et les Parisiens, les branchés s’offrent aussi le frisson du rap chantonné, du gros son rutilant et du combo survêt-casquette. Le minimal-dub mélancochic de Chaton, le clubbing blême de Bagarre, ou l’électro-pop à gueule de bois de Thérapie Taxi recyclent sons et codes rap…
Chanson urbaine ou rap de hipsters ?
Aujourd’hui, le rap infuse dans tous les territoires de la chanson, faisant grossir la constellation des « musiques urbaines ». En témoignent le spleen urbain de Shelmi, le nouvel âge tendre du rap Tim Dup, la varieté lyrique à la Stromae de Foe, le tek-rap de Vald ou le slam hip-pop de Ore... Et encore, Orelsan.
Cette nébuleuse biberonnée aux sons du rap et de l’électro ne revendique pas. Touchante ou agaçante, souvent crue, jeunesse un peu blafarde et pas trop fière, elle se raconte. Elle n’est certes pas la réplique « blanche » du rap de la West-Coast ou du 9-3. Elle n’est pas vraiment non plus la voix des « whitetrash », du nom de ces américains blancs délabrés par la frustration sociale, et dont la presse a souvent vu en Eminem (ou Orelsan) un emblème. Est-ce la voix du “rap de iencli“, celui des classes moyennes qui n’habitent pas la cité mais viennent en client y acheter petites barrettes ou gros sachets ?
Même si elle cartonne sur Youtube et invente un nouveau mainstream, cette génération prospère entre recyclage, gentrification et désenchantement. Peut-être l’âge des nouveaux « jeunes gens modernes » ?
→En lire, en écouter d’avantage sur lerapenfrance
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