A la découverte des orgues lyonnais (1/2)

- temps de lecture approximatif de 12 minutes 12 min - Modifié le 25/10/2024 par Alfons Col

Cathédrale, basiliques, églises, institutions religieuses et culturelles établissements scolaires…Lyon ne manque pas de lieux où cacher un orgue.

Lyon_2e_-_Église_Saint_François_de_Sales_-_Orgue
Lyon_2e_-_Église_Saint_François_de_Sales_-_Orgue

Bien que méconnue du grand public, la position de Lyon peut être considérée comme une place forte de l’orgue en France, et ce par quatre effets combinés :

  • Lyon possède un parc d’instruments conséquent. L’Inventaire des orgues à Lyon édité en 1992 recensait 85 orgues plus ou moins équitablement répartis dans les neuf arrondissements de la ville. Le parc d’orgues le plus important appartient évidemment aux institutions religieuses (églises, établissements scolaires privés). Cet inventaire est régulièrement mis à jour et est consultable en ligne.
  • Lyon a vu naître ou s’installer plusieurs facteurs d’orgues réputés. Joseph Merklin, ouvre une succursale lyonnaise dès 1872 et au XXème siècle, les facteurs lyonnais Athanase Dunand, René Micolle ou les Etablissements Ruche ont grandement participé à l’enrichissement de ce patrimoine.
  • Des organistes illustres sont nés dans la Capitale des Gaules, Charles-Marie Widor bien sûr, Edouard Commette ou Jean Bouvard. D’autres ont fait carrière loin de la prestigieuse capitale où il est convenu d’avoir un poste pour être respecté. On peut citer Joseph Reveyron ou Louis Robilliard entre autres.
  • Enfin la formation d’organistes à Lyon est réputée grâce à ses classes d’orgue au Conservatoire National de Région (CRR) et au CNSM.

Nous vous proposons donc d’aller visiter Lyon, par ses orgues et ses organistes en commençant par le plus prestigieux.

L’Eglise Saint-François-de-Sales, située rue Auguste Comte (Lyon 2ème) est connue dans le monde entier grâce à son orgue. Le Grand Orgue Cavaillé-Coll est vraisemblablement l’un des joyaux du patrimoine musical de la ville et est classé au titre des Monuments Historiques par arrêté du 11 mai 1977.

Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) est considéré comme le plus grand facteur d’orgue français de l’époque. La construction de l’orgue de l’Abbaye royale de Saint-Denis achevée en 1841 constitue son premier fait d’armes. Le besoin d’un nouvel orgue à Saint-François-de-Sales se fait sentir dès les années 1860 où la famille Widor, amie de Cavaillé-Coll pousse pour la construction d’un nouvel instrument, plus majestueux et surtout symphonique.

A Lyon c’est la plus grande commande qu’il exécute après la construction de celui du Centre scolaire Saint-Marc (1876, classé aux MH en 1986). L’inauguration du Grand Orgue a lieu le 16 décembre 1880, en présence de son titulaire François-Charles Widor (1811-1899)

Dès ce jour, la célébrité de l’instrument apparaît puisque c’est Charles-Marie Widor qui joue en première audition sa célèbre 5ème symphonie pour orgue. Le décor est posé.

Le succès de cet orgue à travers le monde tient au fait qu’il soit resté dans son état d’origine. En effet son dernier relevage datant de 1964, il n’a pas connu de grands travaux depuis. Malgré une convention avec l’Etat initiée dès 2019, la Fondation du Patrimoine collecte actuellement des fonds pour sa rénovation complète.

Plusieurs enregistrements remarquables ont été effectués sur l’instrument historique. On peut notamment citer les enregistrements de Marie-Claire Alain qui interprète l’œuvre d’orgue de César Franck, l’organiste hollandais Ben Van Oosten, spécialiste de l’orgue français ou encore le premier enregistrement mondial de l’œuvre pour orgue de Déodat de Séverac par l’organiste Pierre Guillot.

Plusieurs titulaires remarqués se sont succédé au pupitre Paul Widor (frère de Jean-Marie), Paul Trillat (père du pianiste Ennemond Trillat) et Valentin Neuville (1863-1941).

Ce dernier, professeur d’orgue au Conservatoire de Lyon de 1915 à 1933 et titulaire de Saint-François-de-Sales à partir de 1909 jusqu’à sa mort, n’a pas beaucoup été joué, même s’il a composé une cinquantaine d’œuvres pour tout type de registres. Ses partitions manuscrites sont actuellement conservées au CRR.

Marcel Péhu (1904-1974), son élève au Conservatoire lui succède en 1941. Né dans une famille de notables lyonnais Marcel Péhu découvre l’orgue à l’âge de dix ans et il ne lâchera pas l’instrument en consacrant sa vie à la musique.  A 25 ans il est titulaire du Saint-Sacrement (1929-1941) puis il sera au pupitre de Saint-François de Sales pendant 34 ans jusqu’à sa mort.

Parmi la centaine d’oeuvres qu’il a composées la moitié est dédiée l’orgue dont cinq suites, trois symphonies et une quarantaine d’autres œuvres destinées à la  liturgie. Ses partitions sont elles aussi conservées au CRR de Lyon.

Nous n’avons trouvé qu’un seul 45 tours sorti en 1965 qui témoigne de son jeu à Saint-François. Il interprète deux extraits des symphonies de C.M. Widor.

Le biographe Michel Loude lui a consacré un ouvrage très complet, permettant sûrement un engouement bien tardif pour ses compositions.

Depuis c’est le célèbre Louis Robilliard qui tient le pupitre, exécutant l’une de plus grande carrière d’organiste à Lyon. Celui qui compte parmi les plus grands organistes du XX ème siècle eut un lien avec Lyon tardivement. Né à Beyrouth en 1939, fils d’un organiste, il mène ses études à Paris sous l’enseignement de Jean Langlais et Rolande Falcinelli pour ne citer qu’eux. Son lien avec Lyon n’a commencé qu’en 1967 où obtenant une chaire de professeur au Conservatoire régional (1967) puis au CNSM, il deviendra un pédagogue reconnu et formera plusieurs générations d’organistes.

En 1974 il est nommé titulaire de l’orgue Cavaillé-Col de Saint-François de Sales, place qu’il gardera toute sa carrière, étant tombé amoureux de cet instrument d’époque, très peu modifié depuis sa création en 1880. Il participera aux grandes festivités du centenaire de l’orgue et enregistre pour l’occasion sur le label lyonnais Lugduvox « Splendeur de l’orgue romantique ».

Il enregistre plusieurs autres disques à Saint François de Sales dont deux dédiés à C.M. Widor dès le début de son titulariat. En 1998 il s’attaque à l’intégrale de l’oeuvre pour orgue de César Franck, un de ses compositeurs préférés.

Mais Robilliard est connu pour ses choix de répertoires difficiles (Liszt, Max Reger) ou sortis des sentiers battus (Claude Ballif).

L’écoute de ce disque consacré à L’école de Vienne en est un formidable témoignage.

Ce disque enregistré en 1975 pour la marque Arion rejoindra nos collections incessamment.

Bien qu’il utilise volontiers l’improvisation lors les offices, il reste sceptique sur son enregistrement en studio, considérant celle-ci comme une « musique d’organistes pour organistes », jamais totalement libre.  Il enregistre pourtant un disque unique de 4 improvisations édité sur Arion 1982. Deux d’entre elles sont tirées d’un concert à Saint-François, concert qui permet d’oublier le micro, fusionnant le corps du musicien avec son instrument.

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Le « rite lyonnais » interdisant tout accompagnement lors des cérémonies religieuses, c’est pourtant en 1841 que fut installé le premier orgue de la Cathédrale Saint-Jean, ouvrant progressivement et surtout à la fin du XIXème la liberté aux paroisses de s’éloigner de pratiques moyenâgeuses et de développer un parc d’orgues aujourd’hui reconnu. Inauguré le 16 septembre 1841 par Félix Bélédin titulaire. Jusqu’en 1874, l’orgue Callinet-Daublaine eut très vite besoin de travaux de restauration (1852, 1860) mais aussi d’aménagements afin d’en augmenter sa puissance et sa clarté.

Ce sera Joseph Merklin (1819-1905) installé depuis 1872 dans la capitale des Gaules qui remporte le marché de la reconstruction de l’instrument. Ce facteur à la réputation internationale va laisser une œuvre inestimable dans l’histoire de l’orgue à Lyon. Entre son passage à Lyon (1872-1904) et le développement de son entreprise par ses descendants (Manufacture Michel-Merklin-Kuhn) c’est plusieurs dizaines de paroisses dont il eut la charge.

L’orgue de la Cathédrale Saint-Jean est intimement lié à ses illustres titulaires. D’abord Paul Trillat de 1874 à 1904 qui inaugura le nouvel orgue le 15 avril 1875.

Il laisse son pupitre pour celui de Saint-François-de-Sales à Edouard Commette âgé alors de 21 ans. Ce dernier sera titulaire pendant plus de 60 ans du Grand orgue de la  Cathédrale jusqu’à sa mort en 1967. Connaissant une renommée internationale, il enregistre pour la marque Columbia plus d’une cinquantaine de 78 tours à la Primatiale St-Jean entre 1928 et 1938. Nous n’en possédons qu’une petite dizaine.

Puis il enregistre une dizaine d’autres sous format 33 tours à partir de 1955 reprenant en partie ses premiers enregistrements notamment ce coffret de 3 vinyles (EMI, 1969).

Il participe grandement à la renommée internationale de l’orgue lyonnais. En 1960, il nomme comme co-titulaire Joseph Reveyron  qui sera son digne successeur à la mort de Commette.

Né à la Croix-Rousse en 1917, Joseph Reveyron est un compositeur prolifique et organiste de la Primatiale pendant 40 ans jusqu’en 2005. Il a composé plus d’une centaine d’oeuvres (surtout pour l’orgue) qui ont été jouées régulièrement dans le monde entier.

Paradoxalement nous n’avons trouvé qu’un disque relatant un récital enregistré à la Primatiale St-Jean. Edité sur la marque lyonnaise REM en 1977. Il donne à entendre un programme chronologique de Bach à lui-même en passant par son maître, Edouard Commette. Son oeuvre “les Sceaux déliés” est un extrait de ce récital à la Cathédrale St-Jean.

Après la canicule de 2003, l’orgue n’est plus utilisé de crainte d’incendie de son système électrique. Muet pendant presque 20 ans, l’Etat propriétaire du lieu vote un budget de reconstruction. L’inauguration du nouvel orgue a eu lieu en 2022 sous les doigts de Gabriel Marghieri, actuel titulaire.

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On pourrait penser que plus l’édifice est important plus l’orgue qui lui est dédié est remarquable. On verra que c’est loin d’être le cas pour des raisons historiques mais souvent aussi pour des raisons financières.

Le Grand orgue de Basilique de Fourvière a été construit de 1895 à 1896 par Charles Michel-Merklin, gendre de Joseph Merklin qui avait repris l’entreprise familiale. Il fut achevé pour l’inauguration de la Basilique le 16 juin 1896. Si l’on compte une rénovation importante de l’orgue en 1929 par le facteur lyonnais Auguste Convers, il n’y eut pas d’investissement particulier pour l’instrument pendant plusieurs décennies. Il n’est d’ailleurs pas, comme d’autres orgues lyonnais, classé au titre des Monuments historiques. La dernière grande rénovation date de 1996.

Quelques œuvres orchestrales et vocales y ont été enregistrées notamment dans les années 1950, dont ces quelques 78 tours ne permettant pas d’apprécier l’acoustique de l’orgue Merklin.

En 1996 Georges Aloy, alors titulaire de l’orgue, enregistre sur l’instrument restauré, un programme comprenant des œuvres des plus illustres du registre (Bach, Dupré, Widor) mais aussi rend hommage à des compositeurs et organistes lyonnais (Marcel Paponaud, Joseph Reveyron et Adrien Rougier). Le disque l’orgue de Fourvière est l’un des rares témoignages sonores d’un récital d’orgue donné en la Basilique.

Prochain épisode : Ste Bonaventure, Saint-Denis de la Croix-Rousse, la rive gauche…

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