Théâtre
Ecritures de l’Exil en Afrique noire
Publié le 19/06/2007 à 23:00 - 11 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux
La deuxième édition d'Ecritures d'Afrique s'est déroulée du 9 au 13 mai 2007 au Théâtre du Vieux-Colombier. Cinq jeunes auteurs africains contemporains ont pu présenter leurs textes écrits spécialement pour cet événement. Le festival d'Avignon 2007 qui se déroulera du 6 au 27 juillet prochain, présentera Attitude Clando une création de Dieudonné Niangouna dramaturge congolais ainsi qu'un cycle de lectures : jeunes auteurs en Afrique.
Exil : « Action d’obliger quelqu’un à sortir de sa patrie, avec défense d’y rentrer ». On estime à près de 50 millions le nombre de personnes contraintes à l’exil à travers le monde. Par delà la diversité géographique, politique ou culturelle des contextes et trajectoires d’exils, ces personnes sont confrontées à des expériences de vie comparables.
Les situations de conflit (qu’elles soient politiques ou économiques) qui occasionnent et justifient l’exil et son corolaire, le retour au pays natal des migrants, constituent un vaste champ thématique de l’écriture romanesque et dramaturgique africaine contemporaine.
A l’affiche du festival d’Avignon
Attitude Clando
C’est l’errance d’un homme qui doit sans cesse se poser la question des frontières, sans comprendre cette volonté de fermeture et d’isolement qui envahit le monde occidental, que le dramaturge congolais Dieudonné Niangouna met au centre de ce monologue. Mais ce n’est pas un archétype qui énonce l’horreur de la clandestinité permanente, la peur d’être sans cesse découvert : c’est un homme libre qui parle, qui pense, qui réagit. Un individu marqué par son passé, avec ses cicatrices, qui nous interpelle dans une langue originale, inventive, subversive, chaotique, une langue de la rue, du parler imagé.
A lire aussi …
L’exil que met en scène Bintou de Koffi Kwahulé est celui d’une famille d’immigrés. Bintou, qui a définitivement renoncé à l’Afrique, fera le grand voyage sur le couteau de la potière. Mais ce voyage de retour est un voyage fatal, Bintou meurt. Cet exil sans retour est aussi culturel, c’est l’exil d’une culture chimérique qui n’a plus de terre de référence. Bintou est africaine par sa famille, mais elle va a l’école occidentale et se passionne pour la danse orientale ; entre Okoumé, Manu et Kader, elle est au carrefour de trois cultures, de trois mondes.
L’impossible retour
Picpus, le personnage de La Danse aux amulettes de Caya Makhélé a vécu l’exil d’un internement après avoir commis le meurtre de Véra et ne pourra réussir sa réinsertion.
Il y a aussi quelque chose de l’exilé dans le personnage de Tout bas si Bas, qui choisit de vivre dans un arbre et qui renonce au monde. Rien ne l’en fera descendre, ni l’annonce de cette naissance messianique qu’invente la fillette, ni les événements que son mensonge déclenche. Le père reste perché sur son arbre.
La tribu des gonzesses de Tierno Monénembo. Huit destins de femmes dans le Paris de Barbès à Château-Rouge, Africaines en exil, sur lesquelles plane l’ombre d’un frère, d’un père, d’un mari ou d’un amant. Au long de leurs conversations s’égrènent les peurs, les préjugés, les rancoeurs. Le drame se noue autour de trahisons, révélant la solitude des protagonistes, entre ironie pathétique et festive.
Théâtre
Afrique du Sud, théâtre des townships, de Athol Fugard, avec une préface de Peter Brook.
Cette anthologie présente, à travers quelques pièces, une vision de la vie et de ses difficultés dans les townships d’Afrique du Sud.
Nouvelles dramaturgies d’Afrique noire francophone, dirigé par Sylvie Chalaye.
Cet ouvrage étudie l’émergence d’une nouvelle composition théâtrale dans la dernière décennie du XXe siècle, à travers les oeuvres d’auteurs africains. Ces écritures contemporaines interrogent la construction dramatique et inventent de nouvelles formes en se nourrissant des sources de l’oralité ou du cinéma hollywoodien. Sylvie Chalaye a publié de nombreux articles sur le théâtre africain contemporain. Elle enseigne l’histoire et l’esthétique du théâtre ainsi que l’analyse de la mise en scène. Elle anime également un séminaire sur les dramaturgies d’Afrique noire francophone.
L’Afrique noire et son théâtre au tournant du XXe siècle, de Sylvie Chalaye.
Cet ouvrage souhaite rendre compte de son indépendance esthétique et de son originalité créatrice en témoignant autant des écritures contemporaines que des spectacles qui ont marqué ces dernières années avant l’an 2000. En témoignant aussi des différents registres qu’explorent les expressions théâtrales africaines : théâtre de rue, théâtre pour le développement, théâtre de marionnettes, théâtre rituel, contes dramatiques, théâtre d’auteur… avec le souci constant de donner la parole aux créateurs.
La tradition mise en jeu : une anthropologie du théâtre yoruba de Bernard Müller.
Ce livre étudie les particularités du théâtre yoruba au Nigéria, la place qu’il accorde au spectateur, ses dimensions esthétique, politique, sociale etc.
Au sein du monde yoruba, dans le Sud-Ouest du Nigeria – l’une des régions les plus urbanisées et les plus peuplées d’Afrique -, est apparue une forme de théâtre traditionnel qui incarne en réalité un véritable paradoxe. Dans des spectacles qui mêlent textes, chants, musique et danse, sont mis en scène des cérémonies, des pratiques rituelles de type magique, les gestes des dieux et des ancêtres. Toutefois ce théâtre utilise les codes de la représentation scénique occidentale.
De l’instinct théâtral : le théâtre se ressource en Afrique : historique, compétitions, rituels, édition de Julius Effeberger.
Des études sur le théâtre africain avec notamment : La vie du théâtre (O. Diakhaté), Quel théâtre africain pour le XXIe siècle ? (M. Cabakulu) ; Théâtre Nawetaan, théâtre des valeurs (P. S. Sow) ; Les masques et les marionnettes en milieu bamanan au Mali (S. Sissoko).
Afrique noire et dramaturgie contemporaine : le syndrome Frankenstein, de Sylvie Chalaye.
Cet essai, accompagné d’extraits de pièces, nous décrit l’originalité et l’impertinence des jeunes dramaturges africains. L’auteure, dresse un portrait de ce théâtre qui s’ouvre vers le monde et qui a abandonné les limites d’une Afrique stéréotypée. Elle nous livre ses entretiens avec de grands auteurs comme Marcel Zang, José Pliya, etc.
Dramaturgies africaines d’aujourd’hui : en 10 parcours, de Sylvie Chalaye, avec préface de Robert Abirached.
Ce recueil présente dix œuvres de dramaturges sub-sahariens proposées dans le cadre du Festival des Francophonies de Limoges : A vous la nuit (Habib Dembelé), Bintou (Koffi Kwahulé), L’enfant Mbéné (Werewere Liking), La fable du cloître (Caya Makhelé), Un appel de nuit (Moussa Konaté)…
Aimé Césaire, qui a élaboré et défini le concept de négritude, signe avec Une saison au Congo, une des pièces de théâtre les plus représentatives du combat politique qu’il a mené parmi les intellectuels noirs d’Afrique et des Caraïbes.
Le temps de l’indépendance du Congo est arrivé. Patrice Lumumba, homme politique et poète visionnaire, va tenter de rendre à son peuple une liberté depuis longtemps perdue. Mais la jalousie, la corruption et la quête du pouvoir sont des murailles difficiles à franchir. À travers le destin d’un homme, c’est toute l’histoire d’un continent qui se joue de manière exemplaire et symbolique dans cette pièce de théâtre.
Romans
L’esthétique de l’ensemble de ces textes semble liée au malaise existentiel et identitaire qui les étreint, lui-même en rapport avec la problématique de l’exil. Cette question essentielle de l’exil est au cœur même des nouveaux positionnements romanesques de la littérature de l’Afrique subsaharienne, d’où l’importance accordée par les auteurs à l’instabilité et à la violence au quotidien ( Adiaffi, Couao- Zotti, Beyala, Biyaoula, Efoui…)
L’exil est par essence très fécond en sentiments, en ressentiments, en émotions. Il a très tôt inspiré les premiers africains lettrés à travers des thèmes liés à l’exil :
- La nostalgie de l’Afrique mère chez David Diop,
- L’attraction/répulsion pour la puissance coloniale chez Senghor ;
En tant que thème littéraire, l’exil traverse la littérature négro-africaine d’expression française, depuis Le Cahier d’un retour au pays natal de Césaire (1939). Mais la problématique de l’exil n’est pas évoquée de manière identique dans les textes africains.
Chez les poètes de la Négritude par exemple, l’exil est vécu de façon romantique : il est à la fois cause d’ennui et source d’inspiration poétique. C’est parce qu’il vit l’exil dans sa chair que Léon-Gontran Damas éprouve dans Pigments (1937) une constante fascination pour le vide et la mort. C’est parce qu’il souffre de l’exil que Léopold Sédar Senghor réussit par la magie des mots à nous ressusciter dans Chants d’ombre (1945) son Joal natal.
Non exclusif aux poètes de la Négritude, l’exil se donne à lire dans les romans autobiographiques des années 50. Ici, il est vécu de façon négative au point que la plupart des personnages du Devoir de violence (1968) vivants en Europe retournent brisés vers leurs terres natales, où ils finissent par retrouver leur équilibre mental. De la sorte, l’exil devient un lieu d’initiation à travers lequel les héros prennent conscience de leur altérité, se découvrent à eux-mêmes, et tombent de temps à autre dans une impasse existentielle qui les conduit parfois à la mort. C’est par exemple le cas de Samba Diallo, le héros de L’Aventure ambiguë de Cheick Hamidou Kane (1961).
De l’exil géographique à l’exil intérieur
Enfin l’exil récent, post colonial à nos jours, se manifeste par l’expression de la voix de la diaspora. En effet, nombre d’écrivains africains vivent en occident mais écrivent
- soit sur leurs années passées en Afrique, avec toutes leurs anecdotes truculentes :
La plantation de Beyala Calixthe.
Au Zimbabwe, le président décide l’expropriation des colons. Au début, la communauté blanche, assurée de ses privilèges et de son ancienneté dans le pays, n’y croit pas. Mais face à l’arbitraire du tyran, elle décide de s’organiser ou de s’exiler. Thomas Cornu, riche propriétaire terrien, a deux filles, Fanny et Blues. L’expropriation les oblige à repenser leur destin et leurs priorités.
- soit sur les réalités d’émigré dans les pays européens, les difficultés d’adaptation et d’intégration :
Les petits-fils nègres de Vercingétorix d’Alain Mabanckou.
Ancienne colonie d’Afrique centrale, la république du Viétongo est en proie à une terrible guerre civile. Le président Kabouya a perdu le pouvoir après un coup d’État, et Vercingétorix, le chef rebelle, se lance dans une entreprise de reconquête. Fuyant les violences avec sa fille, Hortense Iloki relate dans son journal les événements de cette guerre et reconstitue son passé en miettes.
Revues & site de référence
- Afrique noire : écritures contemporaines, Revue théâtre public, n° 158.
- Monde noir et scènes contemporaines, revue Africultures n° 50, septembre 2002.
Les nouvelles écritures dialoguent avec la création contemporaine européenne, ne s’adressant plus seulement à un public africain mais à tous ceux qui, conscients des violences contemporaines, cette “douleur qui brûle” qu’évoque Koffi Kwahulé, sentent bien que l’Afrique a quelque chose à dire au monde.
- Sur la culture africaine Africulture, un site très complet qui propose différentes rubriques sur l’actualité des événements de culture africaine, sur l’édition, sur la littérature et la culture africaine.
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