Le ski : loisir en voie de disparition ?
Publié le 30/12/2022 à 11:22 - 16 min - Modifié le 24/02/2023 par B. Yon
Des paysans montagnards reconvertis en guide de montagne au 18e aux stations de ski bâties ex-nihilo pouvant accueillir jusqu’à 25 000 vacanciers, les sports d’hiver sont un bon exemple des excès dont l’Homme est capable en matière de dénaturation des territoires. En Autriche, on commence à parler de « Skischam ». A l’image de ces personnes qui ne veulent plus prendre l’avion pour des raisons écologiques, certains Autrichiens se posent la question de l’impact du ski sur l’environnement. Aujourd’hui, les stations de ski se retrouvent face à plusieurs dilemmes : enneigement de plus en plus faible, baisse du pouvoir d’achat des français, flambée des coûts de l’énergie. Quand certain font acheminer de la neige de culture par hélicoptère, d’autre font le choix de pratiques plus respectueuses de l’environnement et commencent leur transition.
L’exploitation des montagnes et ses dérives : l’exemple des Alpes
L’exemple des Alpes est choisi ici à dessein. C’est là qu’est né l’alpinisme, et ici que nous trouvons les plus grands domaines skiables français. C’est donc dans les Alpes françaises que l’on peut suivre au plus près l’histoire de l’évolution du tourisme de montagne, des prémices à aujourd’hui.
Les Alpes : du territoire hostile au terrain de jeux du tourisme de masse
Les débuts de l’alpinisme de loisir
De tout temps, les hommes ont gravis les sommets. Que ce soit pour étendre leur territoire, chasser le chamois, ou chercher les cristaux. Mais ce n’est qu’au 18e siècle que l’ascension est envisagée comme un loisir sportif pour la première fois. C’est Horace-Benedict de Saussure qui offre une prime au premier qui réussira l’ascension du Mont-Blanc. Jacques Balmat et Michel Paccard réussissent l’exploit le 8 août 1786. Cet exploit est d’autant plus remarquable aujourd’hui qu’il se fit sans crampons, sans cordes et sans piolets !
Puis, à la fin du 19e siècle, l’essor des sports de montagne se concrétise avec la création des Clubs Alpins, en France en 1874.
Dans Le roman de Gaspard de la Meije , Isabelle Scheibli nous raconte le destin étonnant de Pierre Gaspard. Ce paysan montagnard va se convertir en guide de haute-montagne pour de riches touristes. Le 16 août 1877, avec son client le Baron Emmanuel Boileau de Castelnau, ils gravissent le dernier sommet majeur des Alpes encore vierge : le Grand Pic de la Meije. Ce passionnant récit, au-delà de l’exploit sportif, nous raconte les conditions de vie des montagnards à l’époque. Pierre Gaspard, pour s’extraire de cette vie difficile et miséreuse, sera prêt à prendre tous les risques.
La difficile vie des montagnards
La vie en montagne est difficile. Paysages abruptes, climat hostile et changeant, terres difficilement cultivables. Des Hommes s’y sont pourtant installés très tôt. Dès le néolithique, on trouve trace de sédentarisation. Tempêtes, neige et froid, avalanches, prédateurs, les humains se sont implanté sur ce territoire, qui offrait tout de même quelques avantages : du bois à profusion, des pâturages généreux pour le bétail, et une position stratégique en cas d’attaques d’autres groupes. Plus tard, on découvrira que la montagne regorge de ressources naturelles intéressantes, comme le minerai de cuivre.
Malgré tout, la vie en montagne reste difficile. Rythmée par des saisons très marquées, des hivers très longs et très froids. Lorsque l’on remonte aux activités des Hommes au néolithique, il est frappant de voir que celles-ci n’ont guère évolués durant plusieurs siècles. Et ce jusqu’à la révolution industrielle. Les habitants de ces contrées vivaient d’élevage. Ils partaient avec les troupeaux pendant le printemps et l’été en altitude, puis redescendaient avant l’hiver. Là, ils se calfeutraient parfois jusqu’à 6 mois d’affilés dans les maisons. Pendant ces longs hivers, ils s’adonnaient à des activités comme le filage de la laine, la couture, la vannerie.
Mais la montagne n’était pas rentable. Les paysans étaient souvent très pauvres. On comprend alors la nécessité et la volonté des montagnards de sortir leur territoire de l’isolement et de la misère. Quand sont arrivés les premiers touristes, beaucoup, comme Gaspard de la Meije, y ont vu une manière de se sortir de leur condition, de s’élever socialement et de pouvoir nourrir leur famille.
Ce sont les prémices du tourisme de montagne, qui va largement se développer au milieu du 20e siècle. Avec cette fois le ski comme sport phare.
Le ski, ce sport qui nous vient de Norvège
Le ski, inventé par les norvégiens pour être plus rapide sur la neige que le gibier, va devenir un sport réservé à la bourgeoisie au début du 20e siècle.
On trouve trace de l’existence du ski dès 2000 à 2500 avant notre ère. Des peintures rupestres en Norvège, sur l’île de Rödöy, montre un homme se tenant sur deux lattes en bois fixées à ses pieds, et tenant un bâton dans une main. C’est dire si la nécessité de pouvoir se déplacer dans la neige a été un enjeu pour la survie humaine.
Les débuts du ski de loisir
« Dans les Alpes françaises, c’est l’alpiniste Henry Duhamel (1853-1917) qui est le premier à se lancer sur des skis. Installé à Grenoble pour des raisons médicales, il y fonde une section du Club alpin français. Adepte à la fois de la randonnée et de l’escalade, il tente dès 1878 de résoudre les problèmes de pratique sportive en montagne en hiver par l’introduction du ski norvégien. Ce sportif chevronné se procure en effet une paire de ces étranges patins qui servent de décoration sur le stand suédois de l’Exposition universelle de 1878, mais il met longtemps à en comprendre le fonctionnement. « Je me trouvais aussi embarrassé d’en tirer profit qu’une carpe peut l’être d’une pomme », dira-t-il.
C’est donc Henry Duhamel qui a « introduit une paire de skis en France, mais les problèmes d’adaptation de cet engin aux Alpes – région montagneuse beaucoup plus pentue que les massifs scandinaves – rendent sa pratique quasi impossible. Ce n’est qu’en 1889, lors d’une Exposition universelle, qu’Henry Duhamel trouve une solution au problème posé par les fixations.
Il s’essaie néanmoins à cette nouvelle discipline sur les pistes de Chamrousse. Malgré quelques chutes arrêtées par les grands sapins isérois, il décide de se procurer une douzaine de paires de skis qu’il va distribuer à ses amis. Le Ski-Club de Grenoble naîtra en 1895. La presse alpine détaille à longueur de colonnes la technique et le matériel. La longueur des skis doit être proportionnelle à la taille du skiste (skieur) et à sa capacité de marche (foulée et longueur de jambe). L’appui ou l’équilibre doit être obtenu sans le bâton, qui n’est qu’un poussoir, un impulseur, un frein. Il ne sert que de canne au repos. »
Culture, Histoire et Patrimoine du Passy
Puis, en 1896, les skis sont pour la première fois utilisés par l’armée, par les chasseurs du 22e BACP du poste des Chapieux à Bourg-Saint-Maurice.
L’arrivée du tourisme hivernal dans les Alpes se situe à cette période, à la fin du 19e siècle. Dans le rayonnement des stations thermales, axées sur un tourisme estival, le développement du chemin de fer et le désenclavement progressif de ce territoire va permettre à quelques villages de se transformer en pôle d’accueil pour des touristes désireux de s’adonner à ces nouveaux « sports d’hiver » que sont l’alpinisme et le ski. Le véritable essor de cette activité arrive surtout après la Première Guerre Mondiale. Les années 30 vont voir fleurir des villages complètement équipés pour les pratiques du ski. Des hôtels et des restaurants vont ouvrir, des pistes seront aménagées, etc.
Conflits d’usages
Néanmoins, cette conversion n’a pas été sans engendrer des conflits avec les populations locales. Elles voyaient parfois d’un mauvais œil l’arrivée d’une activité introduite par des étrangers, issus de milieux très bourgeois et citadins, qui n’avaient aucun lien direct avec la montagne. Les locaux ne maîtrisaient pas ce développement à marche forcée. Ils craignaient de voir leur mode de vie et leur environnement bouleversés. Ce fût évidement le cas.
« Excédées par « l’invasion » de ces étrangers qui n’hésitent pas pour pratiquer leurs sports à transgresser les propriétés privées ou à occuper les chalets d’alpage qu’ils transforment en lieux de refuge et d’hébergement, les populations alpines cherchent à faire obstacle à l’émergence de nouveaux usages locaux de leur territoire : « (…) les propriétaires des chalets de montagne prenaient très mal la chose [le fait de skier sur leur terrain]. En Savoie, les usages locaux permettent de traverser sur la neige la propriété du voisin. Les skieurs n’étaient pas « le voisin » et chaque propriétaire défendait sa neige à cor et à cri »
Lefournier Mathilde, op. cit..
https://www.cairn.info/revue-flux1-2006-1-page-7.htm
Ce sont deux modèles qui s’affrontent. L’un basé sur une économie de labeur et de traditions, et l’autre sur celle du loisir.
Les Clubs Alpins et les Chasseurs Alpins vont grandement contribuer à faire accepter cette activité par les populations locales. Ils vont démontrer le côté utilitaire du ski en tant que mode de déplacement et de défense. Mais aussi en tant que manne financière que représente ce tourisme.
L’expansion des domaines skiables
D’une pratique réservée à une élite, les sports d’hiver vont se démocratiser à partir des années 60. Et après avoir transformé de traditionnels villages ruraux en “stations de sports d’hiver”, on va chercher de nouveaux domaines skiables et construire des stations ex-nihilo. Des stations neuves intégrées telles que Chamrousse, Tignes, La Plagne, Superdévoluy, Avoriaz, etc. La création de ces stations a été possible grâce aux différents « plans neige », qui de 1964 à 1977 a octroyé des facilités de prêts à taux réduits. Mais qui a également permis l’expropriation des habitants.
« Le plan neige doit déterminer un concept de stations d’altitude très fonctionnelles, au service du ski, fondées sur un urbanisme vertical, initier un partenariat unique auprès des collectivités et faire émerger une nouvelle génération de stations très performantes susceptibles d’attirer les devises étrangères. »
Commission interministérielle d’aménagement de la montagne
Ces plans successifs voient naître 150 000 places d’hébergement, 20 « stations nouvelles » et 23 « stations anciennes ».
En 1977, Valéry Giscard d’Estaing met fin aux plans neige, dans la perspective d’un développement économique des montagnes plus respectueux « des sites et des paysages ».
Mais 45 ans plus tard, on voit que cette volonté de freiner la transformation des paysages de montagne en “usine à touristes” n’a pas vraiment fonctionné…
Les domaines skiables de notre région en chiffres
Aujourd’hui, ce sont 110 domaines skiables qui sont répertoriés en Auvergne Rhône Alpes. 6298 km de pistes et 1936 remontées mécaniques. Entre les Alpes et le Massif Central, Auvergne Rhône-Alpes est la première destination touristique pour les sports d’hiver. La Savoie et la Haute-Savoie en tête. La Plagne est la station la plus fréquentée. Cette “station intégrée”, crée en 1961, compte aujourd’hui 11 “stations villages”, 225 kms de pistes de ski alpins, 95 remontées mécaniques !
Le “Tout Ski” est dominant dans ces stations. Mais de plus en plus de touristes viennent en montagne sans s’adonner à ce sport. Les communes mettent en place des activités pour cette nouvelle clientèle.
L’inéluctable transition des stations de sports d’hiver
Depuis quelques temps, les stations de sports d’hiver se retrouvent face à de multiples crises : COVID19, hausse des prix de l’énergie, baisse de l’enneigement et réchauffement climatique.
Sans le ski, comment maintenir l’activité économique des montagnes ?
Sur la période 1990-2017, une baisse de la hauteur de neige de 40 cm à été enregistrée au Col de Porte, dans le Massif de la Chartreuse, par rapport à la période 1960-1990. Dans quelques années, 45 % des pistes de ski en France seront équipées de canons à neige, solution questionnable sur le plan écologique.
L’exemple de Métabief
D’après des études climatiques effectuées dans le Doubs, à Métabief, la fin de la viabilité du ski dans cette station est estimée à 2030-2035. Un investissement massif dans des canons à neige ne serait pas rentabilisé. Sans compter qu’avec l’augmentation des températures prévue, les canons à neige ne seront pas efficaces. En effet, pour les faire fonctionner, il faut propulser de l’air et de l’eau dans un environnement très froid. Avec la hausse des températures, il sera impossible de fabriquer de la neige artificielle.
D’un autre côté, les sports d’hiver représentent 120 000 emplois directs ou indirects. Impensable donc d’imaginer un arrêt complet de ce tourisme. Il faut le réinventer. Tâche complexe s’il en est.
Quand certains répondent par le transport de neige de culture par hélicoptère, ou par l’installation de “luges sur rails” qui détruisent un peu plus les paysages de nos montagnes, d’autres essayent de trouver des idées pour une véritable transition.
L’ANMSM, l’Association Nationale des Maire des Stations de Montagne, publie régulièrement des articles sur les initiatives proposées pour réduire l’impact écologique de ces stations.
Le transport
L’une des pistes étudiées est bien sûr le transport jusqu’aux stations. La voiture est privilégiée car l’offre de transport en commun est insuffisante.
« Les Français sont de plus en plus sensibles à leur empreinte environnementale. Pourtant, la plupart des vacanciers utilisent encore leur voiture pour se rendre en stations de montagne. Un choix qui s’explique par les difficultés d’accès aux stations en transports en commun. Élus et professionnels partagent la même vision d’un modèle économique plus durable, et d’une politique de transports permettant de lutter contre le changement climatique. L’ANMSM appelle l’ensemble des parties prenantes à redoubler d’efforts en faveur du développement de l’offre ferroviaire. Les élus se tiennent prêts à travailler avec la SNCF et les transporteurs locaux pour permettre à la montagne d’enclencher sa mutation vers la mobilité durable. »
Jean-Luc Boch, président de L’ANMSM, Association Nationale des Maires des Stations de Montagne
Attirer les “non skiistes”
La clientèle a changé. Désormais, 50% des touristes qui viennent en station ne font pas de ski. Ils attendent autre chose de leur séjour. Ils viennent prendre l’air, se ressourcer. Les vertus “hygiénistes” de la montagne en vogue au 19e siècle sont toujours d’actualité. Les communes adaptent leur offre à ce nouveau marché : balades en raquettes, ski de fond, ou tracté par des chiens de traîneaux. Toutes ces offres séduisent un public grandissant et soucieux de son impact écologique. Encore faut-il de la neige.
L’hébergement
L’offre d’hébergement se modifie. Courchevel, par exemple, cherche à attirer les télétravailleurs, et proposent des location au mois. Une clientèle qui reste sur des temps plus longs consomme davantage dans les commerces locaux. L’idée de passer d’un tourisme de “masse” à un tourisme “d’espace” en imposant des quotas à par exemple déjà fait ses preuves dans quelques stations européennes. Les personnes passent moins de temps dans les fils d’attente des remontées mécaniques, et consomment donc plus sur place. Elles prennent davantage le temps d’aller au restaurant, de découvrir les environs et de profiter de l’offre culturelle du territoire. C’est à la fois viable économiquement, et plus vertueux écologiquement.
Impliquer les touristes dans la transition
Les citoyens recherchent de plus en plus des activités qui ont “du sens”, que ce soit dans leur vie quotidienne ou pendant leurs vacances. Alors les municipalités imaginent des sorties basées sur le nettoyage des montagnes, ou encore sur la contribution à replanter la flore locale.
La complexité de ces bouleversements est grande. Chaque territoire est confronté à des enjeux différents.
Les stations de haute-montagne ne se posent pas encore la question de l’enneigement. Mais jusqu’à quand ?
Les stations de moyenne ou basse montagne sont passées à l’action. Elles connaissent depuis quelques années une baisse importante de l’enneigement. Elles ont mis en place des activités toutes saisons. Randonnée, escalade, VTT, luge d’été. Les rentrées financières ne compensent pas la perte des activités tout ski. Mais sur du long terme, elles auront anticipé.
Alors, les communes de montagne peuvent-elles continuer à tout miser sur le tourisme comme seule activité économique ? A l’évidence, non.
Le ski est un loisir qui risque de disparaître dans les années à venir. Et on remarque que les autres alternatives proposées sont souvent d’élargir les offres touristiques aux 4 saisons. Peut-être serait-il intéressant de donner envie aux français de venir s’installer dans ces territoires de manière pérenne ? Pour y développer d’autres services ? L’enjeu est de taille pour notre région AURA, dont une grande partie du territoire est constitué de montagnes.
Sources
- Le roman de Gaspard de la Meije [Livre] / Isabelle Scheibli
- Histoire de l’alpinisme [Livre] / Roger Frison-Roche, Sylvain Jouty
- De l’alpinisme [Livre] / Pierre-Henry Frangne ; postface de Baldine Saint Girons
- L’épopée du ski [Livre] / Yves Ballu ; préface de Frison-Roche ; dessin original de Samivel
- Une histoire du ski [Livre] / Gilles Chappaz & Guillaume Desmurs
- Ski de randonnée autour du Mont-Blanc [Livre] : 75 itinéraires : France, Italie, Suisse
- Après-ski [Livre] : Docufiction / Johann Pellicot & Sophie Rodriguez ; préface de Tony Parker
- L’épopée des téléphériques [Livre] : prouesses techniques et aventure humaine / Philippe Bardiau
- Alpes magazine [Revue]
- Pop’sciences [Revue] / n°8 / juin 2021
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