Mon précieux

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 22/08/2023 par Boxer

Encore hier, vous étiez invité chez votre collègue de bureau qui connaît tout sur tout, qui a tout vu, tout compris, tout absorbé du fracas du monde (il a les épaules larges) et bien entendu vous êtes rentré chez vous assommé, comme repu autant par sa science que par son art consommé d’étaler sa culture (vaste, évidemment : votre collègue, vous l’aurez compris, n’est pas votre tasse de café,  ou pour le dire autrement, il vous torréfie). Heureusement, nous avons ici une solution contre ce malaise persistant qui vous fait douter de votre  contenance face aux mieux-sachant devenus si nombreux depuis que le monde est à portée d’un clic (ce qui a multiplié, vous en conviendrez, les têtes à clacs). Un conseil : fabriquez-vous un lexique personnel que vous saurez utiliser à bon escient pour épater vos proches. Oui. Sachez, au détour d’une phrase, placer avec intelligence et subtilité les mots qui brillent, les mots précieux, de ceux qu’on a abandonnés dans les oubliettes de la langue et qui restent pourtant goûteux en bouche, onctueux à prononcer, délicieux à partager avec votre entourage qui finira bien par reconnaître en vous l’esthète que vous êtes vraiment. Mais vraiment. Voici une liste, fort subjective cela va sans dire, qui vous donnera des ailes, petits oisillons (si vous permettez l’image fragile du nid sur sa branche).

Sempe
Sempe

Garrulité

Premier mot qui vient à l’esprit, oui, c’est celui de garrulité. Ouh, qu’il est plaisant de découvrir un mot pareil et qui dit si bien nos bavardages incessants puisque, si l’on s’en tient à sa cuisante étymologie, la garrulité est cette envie permanente de bavarder (ce qui ne veut pas dire du reste qu’on parvient toujours à se faire comprendre). Brillat-Savarin, qui n’est pas seulement le nom d’un fromage que l’on offre à ceux et celles pour qui on a une tendresse toute particulière, se méfiait pour sa part de sa propre tendance au bavardage intempestif ainsi qu’il le confessait humblement dans sa Physiologie du goût : On pourrait bien me reprocher encore que je laisse quelquefois trop courir ma plume, et que, quand je conte, je tombe un peu dans la garrulité.

Mais lui, évidemment, on lui pardonne tout, tant ses excès de langage… que ses excès de table, à l’instar d’un Dodin Bouffant plus dodu que dodin du reste. 

Pandiculation

Un deuxième mot qui nous fait bondir d’extase tant il nous promène vers des contrées insoupçonnées : pandiculation. Et dire que vous la pratiquez sans même le savoir. La pandiculation consiste à étirer les bras vers le haut, renverser la tête et le tronc en arrière, étendre les jambes, et surtout elle s’accompagne d’une série  assumée de bâillements profitables. Bonheurs de l’étirement.

Vous l’aurez compris, tout le monde a pandiculé au moins une fois dans sa vie. On imagine très bien Gaston Lagaffe pandiculer beaucoup à ses heures perdues (ma foi fort nombreuses, surtout sur son temps de travail) et comme le suggère son génial créateur, l’irrésistible Franquin, cela n’empêche pas notre héros de bande dessinée d’être un collègue exemplaire si tant est que le ratage systématique de contrats soit un gage de haute compétence professionnelle.

Popine

Diable ! Toute votre vie vous vous êtes présentés sous les meilleurs auspices, chemise à carreaux pour vous, monsieur, serre-tête  et foulard Hermès pour vous, madame. Et si vous vous encanailliez un peu en fréquentant –n’ayons pas peur du mot – une popine ? Oui, vous m’avez bien lu : une POPINE. Autrement dit une gargote, un bouge, une taverne, un de ces lieux (mal) fréquentés par les ivrognes, les pochards, les forts en gueule et autres galope-chopine. C’est qu’il se raconte souvent de drôles d’histoires dans ces lieux où l’on se plaît  à refaire le monde. Un conseil : faites donc un tour prochainement dans le bar à Jo, et vous y trouverez, à coup sûr, des boxeurs sur le retour, des tueurs, des médecins ou des philatélistes qui, à des heures indues, vous feront sans doute battre le cœur.

Prendre la lune avec les dents

Il était tentant de voyager dans le cosmos pour prendre la mesure des choses, nous qui sommes si petits dans cet univers si grand (Blaise Pascal, si tu nous écoutes). Eh bien voici la Lune qui s’invite ici en guest-star (si vous permettez cette irruption anglo-insulaire dans la phrase), nichée dans une expression de notre 16ème siècle gouleyant. Une curieuse façon de dire que la vie nous réserve bien des surprises et qu’il faut parfois s’armer de courage et d’une audace à toute épreuve pour continuer à avancer . À l’image virevoltante de l’héroïne de bande dessinée de Geoffroy Monde et Mathieu Burniat, l’irréductible Ysa, qui ne s’en laisse pas conter et qui entend bien tordre le cou à tous ces vieux coucous de mâles hirsutes et autres hordes de démons.

Cornegidouille !

On ne pouvait pas passer sous silence une de ces interjections dont notre langue française a le secret. Et avouons qu’on avait également un faible pour cordieu, turlurette, ventrebleu, jarnicoton ou vertuchou ! Autant de jurons qui expriment l’étonnement avec parfois quelques raccourcis édulcorés pour ne point trop déplaire à Dieu, lui qui se montre souvent si susceptible. Utilisez l’une d’entre elles à un pot de départ au travail et vous êtes assurés de vous faire de nouveaux amis (s’il vous en manquait, bien entendu).

En attendant et plus proche de nous, nous avons un faible tout particulier pour Hoka Hey ! – autre vie autres mœurs – ce cri de guerre est celui de la tribu des Lakota et qui donne le titre à une bande dessinée puissante et graphiquement sublime, signée d’un tout jeune auteur, prometteur. On évitera tout de même le hoka hey au pot de départ de votre collègue Janine qui vous en fit voir pourtant des vertes et des pas mûres (surtout des pas mûres) sur le champ de bataille de vos logiciels fatigués.

Un argus barbatif

Ne cherchez pas midi à quatorze heures, la pause méridienne ne vous vaut rien du tout. Et si vous avez du mal à vous débarrasser des éteignoirs et autres peine-à-jouir qui peuplent parfois un peu trop votre quotidien, ayez le réflexe du néologisme barbare qui fait taire les impétrants et les vaniteux. Un argus barbatif ? Mais oui. Allez-y, placez-le dans une phrase savamment construite et vous verrez les cuistres baisser la garde tout en se demandant où diable vous vous égarez. Merci Perec de nous offrir l’occasion de citer ici l’une de vos nombreuses trouvailles langagières ! Votre vie mode d’emploi a été si bien évoquée par Claude Burgelin récemment qu’on ne pouvait pas la passer sous silence, dans ce monde par ailleurs si bruyant de futilités.

Petit Robert

Certains l’appellent Bébère, d’autres Bobby à la pointe, mais cette familiarité n’est pas de mise par chez nous. Nous, c’est Monsieur Robert (précisons : monsieur n’a rien à apprendre à madame, on est bien d’accord) et on lui doit de renouveler notre langue chaque année avec l’apparition de nouveaux mots car ainsi que le disait un philosophe inspiré : « Les nouveaux mots sont toujours un miroir de la société ». Ou pour paraphraser Alain Rey, notre Panoramix enchanté : « Le Petit Robert est un observatoire, pas un conservatoire ».

150 nouveaux mots sont donc à prévoir dans l’édition 2024 du P’tit Robert. Ça en fait du monde. Aquaponie. Metaverse. Wingfoil. Flexoffice. Megabassine. Disquette. Cougnou. Spoiler. Vous avez de quoi briller dans vos dîners en ville ou mieux, au camping de la Valponne, 853 mètres d’altitude, soirée paella le jeudi. Et si vous êtes en mode PLS parce que votre crush vous a ghosté, vous avez encore tant à (re)découvrir pour retrouver le sourire, bande de veinards :

lisez Florence Cestac, Claire Brétecher, Florence Dupré la Tour, Catherine Meurisse ou Lisa Mandel, ces autrices si inspirées.

Et si vous êtes patients – mais vous l’êtes – rendez-vous le 12 octobre prochain à la galerie d’exposition de la bibliothèque de la Part-Dieu pour une rétrospective alléchante et rieuse de l’artiste Willem !

La citation qui va bien, c’est par ici car il faut bien conclure :

Le devoir de qui aime les hommes est peut-être de faire rire de la vérité, faire rire la vérité, car l’unique vérité est d’apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité.

Umberto Eco, Faire rire la vérité

Joli, non ?

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