Jeux vidéo et santé

Le jeu vidéo: cause de troubles ou outil thérapeutique ?

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 19/11/2018 par Silo moderne

Le 18 juin 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) inscrit dans sa classification internationale des maladies, le trouble addictif du jeu vidéo. Le débat autour de l’impact du jeu vidéo sur la santé a toujours intéressé les chercheurs et médecins. Qu’en est-il vraiment ? Est-il sain de jouer aux jeux vidéo ?

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Le trouble du jeu vidéo :

La décision par l’Organisation Mondiale de la Santé d’ajouter le « trouble du jeu vidéo » à la liste des troubles mentaux liés aux comportements addictifs ne repose pas sur une notion nouvelle. En effet, les chercheurs et médecins débattent du sujet depuis les années 80, et plus particulièrement depuis une quinzaine d’années, non seulement autour du jeu vidéo, mais aussi autour des pratiques numériques en général et l’utilisation d’Internet. Pour l’OMS, ce trouble se décrit par « un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables. »

Les jeux vidéo sont donc mis en lien avec les autres addictions listées par l’OMS : alcool, drogues et plus particulièrement jeux d’argent. Il est important de noter que le trouble du jeu vidéo ne touche, selon l’OMS, qu’une petite partie des joueurs, et un diagnostic ne peut être établi que lors d’une altération sévère du comportement et des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles… L’intérêt premier de l’OMS est de donner un statut de reconnaissance officiel au trouble. Ceci permet de faciliter une prise en charge des personnes potentiellement affectées, une mise en place de campagnes de prévention etc… D’autre part, la définition du trouble permet de différencier une activité intensive d’une réelle pathologie. Selon l’organisme, la définition au sein de la classification internationale des maladies, permet d’établir et de clarifier quels sont les symptômes liés à une addiction au jeu vidéo et permet aux joueurs et à leurs proches d’identifier si, potentiellement, ceux-ci se retrouvent dans la description de ce trouble.

 

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Nouvelles pratiques et gameplay addictif :

Les pratiques autour du jeu vidéo ont bien évolué depuis les premières bornes d’arcades des années 70 et 80. Avec une expansion de plus en plus forte, celui-ci est aujourd’hui l’un des piliers de la consommation culturelle dans le monde. Le jeu vidéo se place parmi les premiers produits de consommations culturels, avec le livre, la musique et le cinéma. La France est d’ailleurs le consommateur le plus important d’Europe. En effet, d’après l’étude “l’essentiel du jeu vidéo 2018” , 74% des français jouent au moins de manière occasionnelle (51% régulièrement), avec une répartition homme/femme presque égale (53% d’hommes contre 47% de femmes) et une moyenne d’âge de 39 ans.  Une pratique aussi répandue permet de comprendre l’intérêt des chercheurs et des médecins sur les effets des jeux vidéo, particulièrement chez les enfants et les adolescents. Il est à noter que ces recherches portent tout autant sur les effets potentiellement négatifs que bénéfiques sur ce public.

L’idée d’addiction est présente, comme déjà évoqué plus haut, depuis de nombreuses années dans le milieu du jeu vidéo, mais est rentrée dans la sphère du grand public particulièrement après l’arrivée des grands jeux en ligne de ces 15 dernières années. On parle aussi plus généralement d’addiction numérique et à Internet, qui incorpore de manière naturelle le jeu vidéo. On trouve des exemples de temps excessif de jeu relayés dans les médias par rapport aux MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Game) tels que World of Warcraft, pour citer l’un des plus connus. Effectivement, ce genre de jeu en ligne demande au joueur beaucoup de temps et de dévouement afin d’atteindre les plus hauts niveaux et acquérir les meilleurs objets et armures. Le jeu est constamment mis à jour, ce qui induit un nombre presque infini de quêtes et de temps de jeu.

Un des modèles populaires de production de jeux vidéo des 10-15 dernières années est le Free to play (littéralement gratuit à jouer). De nombreux jeux sont accessibles initialement de manière gratuite, mais se financent par des améliorations ou des produits dits cosmétiques (costumes, habits, armes destinés aux personnages du jeu) qui eux sont payants. Ces améliorations et cosmétiques peuvent aussi être vendus aux joueurs à travers ce qu’on appelle des Loot Box. Ces boîtes virtuelles proposent des accessoires de manière aléatoire, que le joueur peut gagner progressivement en jouant, ou encore en les achetant directement aux développeurs du jeu. Le côté aléatoire de ces récompenses rappelle dans leur forme les jeux de hasard. Certains jeux tels que Counter Strike, jeu de tir bien connu, ont vu une réelle économie se construire autour de ces objets cosmétiques (notamment des armes virtuelles pouvant atteindre des prix astronomiques de l’ordre de centaines ou même milliers d’euros).

 

Addiction ou usage excessif ? :

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Jusqu’à présent, la notion d’addiction était très largement débattue au sein de la communauté médicale. L’association Américaine de psychiatrie (APA) inclut en 2013 le « trouble de l’usage des jeux vidéo en ligne » (Internet gaming disorder) comme syndrome à investiguer. Malgré cette définition, beaucoup de médecins et chercheurs préfèrent parler d’un « usage problématique » du jeu vidéo. Le psychiatre Serge Tisseron, spécialiste dans le domaine du numérique, nous parle d’effets secondaires médicaux en lien avec un usage excessif du jeu vidéo : épilepsie photosensible, hallucinations auditives, problèmes d’incontinence, problèmes musculaires et cutanés, paralysies partielles, tendinites, douleurs articulaires. Il précise tout de même que ces symptômes extrêmes sont très exceptionnels et ne relèvent pas tous directement du jeu. De plus, selon lui, ces troubles ne sont pas liés à une dépendance ou addiction au jeu vidéo. Pour le psychiatre, il paraît important de séparer un usage excessif d’une définition finalement assez vague et interchangeable entre addiction, dépendance, obsession. On pourrait parler ici plus précisément d’usages pathologiques, plutôt que d’addiction en tant que telle. Le jeu peut être utilisé comme échappatoire à une dépression, des angoisses et il est nécessaire que le joueur ne se perde pas, ne s’immerge pas totalement dans le jeu pour s’en sortir. Il semble important de pouvoir faire la distinction entre passion et addiction, comprendre le passage d’un loisir à une souffrance qui peut affecter la vie du joueur. En ce sens, la définition du trouble du jeu vidéo peut faire ses preuves et permettre de déterminer plus facilement le moment où le jeu prend le dessus, comme décrit plus haut, sur les activités personnelles, familiales, sociales, éducatives et professionnelles.

 

Effets bénéfiques du jeu vidéo :

Certains chercheurs et médecins prennent une position tout autre sur le jeu vidéo. Différentes études pointent du doigt les effets potentiellement bénéfiques de ce media. Parmi ceux-ci, on trouve des capacités d’attention visuelle accrues, particulièrement lorsque les personnes jouent à des jeux d’actions et de tirs. Ces jeux rapides, qui demandent une grande concentration et une rapidité d’analyse de l’environnement, poussent les joueurs à augmenter leurs capacités cognitives. Les jeux de réflexion et de puzzle, tels que Tetris, améliorent quant à eux les temps de rotation mentale et de visualisation spatiale : un bon joueur de Tetris est capable de rapidement faire les bons choix d’agencement des blocs car il arrive à visualiser de manière efficace l’espace de jeu. Ces études sur les effets positifs des jeux vidéo nous montrent aussi comment une utilisation régulière de l’ordinateur et des jeux vidéo permet d’améliorer chez les enfants la motricité, l’apprentissage de l’alphabet et des nombres, et d’appréhender les concepts de taille, de classement, de temps, de quantité…

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Le jeu vidéo peut aussi avoir un effet socialisant. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, un grand nombre de français sont joueurs. Le jeu vidéo fait partie d’une culture commune, sur laquelle les individus peuvent se rencontrer et partager, entre pairs ou dans le cercle familial. Beaucoup de jeux, particulièrement ceux avec un accès en ligne permettent aux joueurs de se retrouver, de partager des stratégies, de travailler ensemble ou de rivaliser avec d’autres joueurs. Le joueur apprend à gagner mais aussi à perdre. Il apprend aussi à résoudre des problèmes. Enfin, les jeux vidéo permettent de solliciter la curiosité des joueurs, leur créativité et, non le moindre, la gestion de leur image de soi. La création d’un personnage, d’un avatar, permet de créer un espace cathartique, où le joueur peut se représenter de la manière qu’il veut face aux autres.

 

Le jeu vidéo comme outil thérapeutique :

Certains thérapeutes, psychologues et médecins voient quant à eux dans le jeu vidéo un outil thérapeutique nouveau et qui pour certains fait déjà ses preuves. Avant toute chose, les spécialistes nous rappellent que le jeu vidéo est un support à la thérapie et en aucun cas l’élément unique de guérison d’un patient. Le jeu vidéo est utilisé dans certaines thérapies psychologiques en tant que média communicationnel, en particulier chez les adolescents. La médiation à travers l’art, le culturel et le jeu n’ont rien de nouveau en soi, mais le jeu vidéo permet une nouvelle approche de ce support à la thérapie. La grande différence du jeu vidéo par rapport aux autres médias, repose sur l’interactivité. Le joueur n’est pas simplement passif devant l’écran, il est au centre de l’action, de la réflexion. Les thérapeutes sont intéressés par le rapport à l’image que nous entretenons, plus particulièrement avec les représentations créées par le numérique. Une fois de plus, Serge Tisseron propose d’envisager une culture de l’écran et du numérique. Par le jeu vidéo et le numérique, les individus expérimentent « des identités multiples à travers le choix de pseudos, sur les forums, et d’avatars de personnages, dans les jeux ». L’image et l’interaction avec celle-ci est productrice d’émotions, miroir des états intérieurs et vecteur de lien social. Dans les jeux vidéo, le joueur est souvent représenté par un héros avec une quête grandiose. Face à lui, est mis en place un « autre virtuel », incluant des personnages qui mettent des obstacles sur sa route. Ces personnages rivaux, amicaux ou ennemis servent de surface de projection et permettent aux joueurs d’entrer dans un processus d’identification et de contre-identification.

Le jeu vidéo, comme d’autres médias, permet, comme déjà évoqué plus haut, une certaine décharge émotionnelle cathartique. De plus, le jeu peut être utile dans la réalisation de simulations et de mises en situation particulières qui permettent de travailler sur différents pans psychologiques, notamment sur des sources de phobies. Une mise en situation à travers le jeu vidéo, et même la confrontation avec une réalité virtuelle, permet de travailler par exemple sur la peur de l’avion, grâce à un simulateur de vol. Le jeu vidéo est aussi utilisé comme support à des thérapies visant des personnes souffrant de stress post-traumatique, tels des vétérans de guerre. Au-delà de l’outil thérapeutique, il existe toute une branche du jeu vidéo nommé Serious Games dont l’idée est de s’approprier le jeu vidéo dans un but pédagogique ou parfois médical.

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Est-il donc sain de jouer aux jeux vidéo ? Comme dans n’importe quelle activité, l’excès peut apporter son lot de répercussions plus ou moins graves sur la vie d’une personne. Ce qui semble important à retenir est principalement comment tracer cette frontière entre la passion, le loisir et l’usage excessif, addictif et pathologique. La définition de l’OMS du trouble du jeu vidéo nous donne un outil pour reconnaître de manière plus officielle les difficultés que peuvent potentiellement ressentir certains joueurs. Malgré cela, il ne faut tout de même pas oublier que pour la grande majorité, le jeu vidéo est une source de plaisir et d’amusement. Au-delà de l’aspect médical, le jeu représente une manière unique et interactive de mettre en avant un récit, une réflexion, de l’action et le sentiment de partir à l’aventure !

 

 

À partir du mois de décembre, des rencontres et des activités autour du jeu (au sens large) sont organisées sur le réseau de la bibliothèque de Lyon. Retrouvez toutes ces informations dans le Topo de novembre-décembre, spécial jeu !

 

 

Une bibliographie pour aller plus loin :

 

 

Soigner des jeux vidéo / soigner par les jeux vidéo: article de Thomas Gaon et Michel Stora disponible en ligne et sur place à la bibliothèque

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