La coloration naturelle

- temps de lecture approximatif de 8 minutes 8 min - Modifié le 17/12/2018 par Département Sciences et Techniques

Qu'est ce qu'une couleur naturelle ? Peut-on reproduire le bleu du ciel en utilisant des pigments naturels ? Les couleurs vives sont-elles uniquement chimiques ? Peut-on obtenir un blanc parfait sans mettre sa santé en danger ? Petit tour d'horizon des différentes utilisations possibles des pigments et colorants naturels.

Laine teintée
Laine teintée

 

Colorer les cheveux

L’histoire des colorations végétales, le henné, la camomille, le noyer, remonte à plusieurs millénaires, en Orient et en Europe. Mais l’usage de la chimie semble lui aussi ancestral. Ainsi, les égyptiens employaient le nitrate d’argent, l’acétate de plomb, des peignes en plomb trempés dans le vinaigre et divers autres sels minéraux pour colorer leurs cheveux en noir. Les gaulois obtenaient de l’ammoniaque en faisant fermenter de l’urine animale.

Les colorations permanentes actuellement employées contiennent de l’ammoniaque destinée à écarter les écailles de la cuticule. Et un composé hautement oxydant, généralement du peroxyde d’hydrogène, qui altère la mélanine et éclaircit ou décolore les cheveux. Les composants du révélateur facilitent également la réaction d’oxydation à la base de la coloration. Le flacon de colorant contient des précurseurs qui réagissent ensemble et donnent une teinture fortement absorbée par la fibre capillaire et très peu sensible au lavage et au rinçage. La base est constituée de diaminotoluènes, des diaminobenzènes, des aminophénols, des diphénols, des polyphénols et des naphtols.

Parmi les principaux tanins végétaux, la juglone, la lawsone, l’alizarine, la curcumine, la carthamine sont assez proches chimiquement : il s’agit de quinones. Les autres familles de colorants sont principalement des polyphénols, comme la grenade, le thé, la camomille, et plus rarement des caroténoïdes. Tous se comportent de la même manière : ils se fixent naturellement à la kératine et enveloppent la cuticule sans qu’il soit nécessaire de modifier la fibre capillaire, ni d’ajouter un fixateur ou un oxydant. Seul un mordant est parfois employé pour servir d’intermédiaire entre les protéines et le pigment. Il n’est pas vraiment possible d’éclaircir les cheveux, même avec de la camomille. Seul l’usage en masque de certains ingrédients, comme le citron, la rhubarbe, le miel ou la cannelle, peut à la longue donner un ton légèrement plus clair, mais sans comparaison avec le “blond peroxydé”.

Pour aller plus loin :

Coloration végétale : comment ça marche ? , article paru dans la revue Sens & santé

 

 

 

 

 

 

 

Colorer les aliments

La couleur est un élément décisif dans l’appréciation d’un aliment. Nous sommes conditionnés à ce que les aliments ayant le goût de fraise soient roses, ceux au citron, jaunes, etc. Les colorants alimentaires ont plusieurs usages. Ils sont utilisés pour intensifier la couleur naturelle des produits, comme un colorant vert dans les crèmes à la pistache qui sont naturellement jaune clair. Ils remplacent aussi les colorants naturels qui ont été détruits par le procédé de fabrication, comme dans le sirop de menthe qui est normalement jaunâtre.

Les colorants alimentaires permettent également de mimer des ingrédients qui sont tout simplement absents dans la formulation de l’aliment, comme dans les yaourts aromatisés aux fruits qui ne contiennent pas de fruits mais des arômes de fruits, incolores. Les colorants servent à rendre plus appétissants certains aliments, comme les bonbons ou les sodas. La couleur est un indicateur de la qualité de l’aliment. Plus la couleur est attrayante et plus le consommateur a l’impression que le produit est de bonne qualité.

Pendant des siècles, les colorants alimentaires étaient tous d’origine naturelle aussi bien végétale (safran, caramel, curcuma, rouge de betterave, etc.) qu’animale (cochenille, encre de seiche, etc.).

Au XIXe siècle, les progrès de la chimie organique ont permis dans un premier temps de comprendre la composition des colorants naturels, d’en connaître les molécules et les atomes qui les composent. Dans un deuxième temps, les chimistes ont été capables de se passer des colorants naturels. Les premiers colorants artificiels ont été synthétisés à partir du goudron de houille. Ils ont rencontrés un large succès en raison de leur faible coût de production : le goudron de houille était à l’époque un déchet de production du gaz d’éclairage.

Revenir aux colorations naturelles, c’est s’habituer aux couleurs pastels et l’irrégularité des teintes. C’est aussi accepter des processus de fabrication contraignants, dépendants des récoltes et au résultat incertain.

Pour aller plus loin :

Colorants alimentaires, par la Société chimique de France

Colorant alimentaire, la couleur et ses mystères : excellent dossier de Futura Sciences sur la couleur, élaboré par une enseignante de Sciences naturelles

Les Additifs Alimentaires ou rendre nos assiettes appétissantes, dossier élaboré par Culture SciencesChimie, de l’ENS

 

 

 

 

 

 

 

 

Teinter, colorer les matières naturellement

Les couleurs des pigments naturels sont obtenues par absorption de la lumière. Mais quelques couleurs dans la nature résultent de processus physiques de diffraction. En particulier, aucun animal vertébré ne contient de pigment bleu : leurs marques bleues sont produites par une légère diffraction.

Les pigments d’origine minérale sont extraits dans des mines. Ce sont des sels métalliques, c’est-à-dire des combinaisons d’atomes de métal comme le cuivre, le fer ou le soufre, avec d’autres atomes comme l’oxygène ou le plomb par exemple : cinabre, orpiment, malachite, lapis-lazuli, vert-de-gris, minium, céruse. Tous ces pigments sont conservés en poudre, pour être ensuite mélangés à des liants. Ils ont été largement utilisés pour réaliser les enluminures médiévales, ou les fresques, malgré leur toxicité pour certains d’entre eux, ou les problèmes d’altération à la lumière.

Il existe pléthore de plantes riches en colorants, dont un bon nombre est utilisable pour la fabrication des encres. Contrairement aux pigments minéraux, les colorants contenus dans ces plantes sont des molécules organiques, c’est-à-dire contenant du carbone, de l’oxygène et de l’hydrogène. Les chimistes les classent en une dizaine de catégories, en fonction de leurs propriétés et de leur couleur. ce sont essentiellement : les tanins, les flavonoïdes, les anthocyanes et les quinones.

Les termes de pigment et de colorant recouvrent des sens divers en fonction des domaines où ils sont employés. Dans les domaines de la biochimie, de la botanique, de la physique ou de la peinture, ces deux termes ont des significations légèrement différentes.

Dans le domaine des encres, le pigment est une substance insoluble dans l’eau, c’est une poudre qui reste en suspension dans le liquide, ou qui se dépose au fond du récipient.

Dans le monde de la teinture sur tissu, la substance destinée à transmettre la couleur au textile doit être soluble dans l’eau, ce doit donc être un colorant. Le colorant dissout dans l’eau doit pénétrer profondément à l’intérieur de la fibre, et réagir chimiquement avec la fibre textile (laine, coton ou autre) pour y être fixé.

Pour aller plus loin :

La prévention des risques chimiques des colorants et pigments: L’exposition permanente des travailleurs à des colorants et pigments induit des effets pathologiques variés. Certaines molécules, les amines aromatiques et sels métalliques notamment, peuvent avoir une grave toxicité. Par inhalation sous forme de poussières ou par contact cutané, les colorants et pigments peuvent être responsables de pathologies respiratoires, de cancer des voies urinaires et du poumon, d’effets nocifs sur les globules rouges, d’effets cutanés allergiques…

Colorer les murs

Les pigments naturels

Les ocres sont des argiles colorées par oxydation naturelle, qui se présentent sous forme pulvérulente, c’est à dire sous forme de poudre. Elles sont toutes compatibles entre elles et ont l’avantage d’être parfaitement stables aux rayons ultraviolets et de bien résister aux intempéries. Les ocres ne sont pas toxiques, donnant des rouges et des jaunes d’une grande variété, grâce à la présence de fer oxydé. On les retrouve abondamment dans les enduits de murs à la chaux.

La terre de Sienne est composée principalement d’oxyde de fer et d’oxyde de manganèse ainsi que d’argile. Il existe deux versions du pigment : naturelle ou brûlée, contenant 45 à 70 % d’oxyde de fer rouge et beaucoup plus d’oxyde de manganèse que la Sienne naturelle. Plus rouge et opaque, sa teinte varie selon le degré de calcination. La terre de Sienne est plus transparente que les autres terres. Les pigments que l’on trouve dans le commerce sont aujourd’hui souvent produits à partir d’équivalents de synthèse, le PY42 et le PR101, qui, dénués de manganèse, absorbent moins l’huile. Le bleu indigo n’est plus le pigment NB1, issu de l’indigotier, mais son équivalent de synthèse, le PB66.

Conservatoire des ocres et de la couleur

Le blanc imparfait

Les pigments blancs ont toujours posé problème en terme de couvrance, de toxicité ou de fabrication.

La céruse est un pigment blanc très couvrant à base de plomb. malgré sa haute toxicité reconnue, provoquant une maladie, le saturnisme, la céruse a été trop longtemps utilisée, surtout en peinture murale. Même en cosmétique, la céruse entrait dans la composition des fards blancs du XVIIIe siècle. Sa production industrielle pour la peinture était fatale aux ouvriers. En Hollande au XIXe siècle, un tiers des ouvriers périssaient chaque année. Une loi, résultant de mouvements de grèves massifs et d’une joute acharnée dans les milieux politiques et syndicaux, interdit son utilisation en France en 1909. Mais la loi tarde à être appliquée, les ouvriers peintres sont même accusés de ne pas se protéger efficacement. La responsabilité des industriels finira par être fermement établie en 1919. Cette polémique aboutira à l’instauration d’un système de réparation des pathologies liées au travail, une première en France.

Le blanc de céruse est remplacé aujourd’hui par le blanc de titane ou dioxyde de titane. Utilisé pour son fort pouvoir opacifiant et pigmentaire, on le retrouve dans le papier, les céramiques; les médicaments; les dentifrices, certaines pâtisseries, la crème solaire et bien sûr les peintures. Des alternatives existent, à base de kaolin, c’est à dire de l’argile blanche, du blanc de Meudon ou de la poudre de marbre.

Pour aller plus loin :

Histoire et compositions des pigments, dossier du CNRS

La production de céruse en France au XIXe siècle : évolution d’une industrie dangereuse

Poison légal. Une histoire sociale, politique et sanitaire de la céruse et du saturnisme professionnel (XIXe siècle – premier XXesiècle)

 

 

Pour aller toujours plus loin :

Une bibliographie sur la couleur : Histoires de couleurs

Un livre indispensable et passionnant

Histoire vivante des couleurs : 5.000 ans de peinture racontée par les pigments

Cette lecture scientifique de l’histoire de la peinture s’attache à montrer les liens qui existent entre l’évolution des couleurs (apparition de nouveaux pigments, composition chimique, utilisation des couleurs industrielles…) et l’évolution de cet art.

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