Ecovillages

partager l'habitat durable

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 29/08/2022 par Maud C

Le vivre-ensemble est un phénomène qui prend de l’ampleur, notamment dans les zones urbaines, pour lutter contre la déshumanisation des rapports sociaux. Aux quatre coins du globe, d’autres modes de vie partagés se réinventent en ville, à la campagne ou en pleine nature : ce sont les écovillages. Suivant un itinéraire bis du progrès, ces nouveaux collectifs ne renoncent pas aux défis technologiques mais redonnent de l’importance aux liens sociaux, à l’entraide, au partage, dans un double respect de la nature et des individus.

BedZED ecovillage, Hackbridge, London, Tony Monblat, Wikimedia
BedZED ecovillage, Hackbridge, London, Tony Monblat, Wikimedia

Définition d’une utopie concrète

Ecovillage

« Tiers-lieu, lieu autogéré, oasis, cohabitat, écoville, écoquartier, écovillage »… tous ces termes renvoient aux « écolieux », néologisme employé pour désigner un « lieu de vie en transition vers un idéal écologique, solidaire, en équilibre économique », selon l’association Ecolien.

Parmi ces substantifs, l’ « écovillage » semble se généraliser, dans sa définition la plus vaste, donnée par le  Global Ecovillage Network (GEN):

« Communauté rurale ou urbaine consciemment conçue à travers des processus participatifs locaux dans les quatre dimensions de la durabilité (sociale, culturelle, écologique et économique) pour régénérer son environnement social et naturel. »

Ces projets ont en commun la vision d’un monde meilleur, tourné vers plus de communauté, moins d’isolement et d’aliénation. Ces nouveaux modes d’habitat ont pour objectifs de pallier les lacunes de la société actuelle : individualisme, superficialité, déconnection sociale et environnementale. Ils sont pensés à contre-courant des modèles démographiques qui se sont imposés après la seconde guerre mondiale : maisons unifamiliales, engorgement urbain, éclatement des banlieues et multiplication des mobilités professionnelles.

Communautés intentionnelles

Diana Leafe Christian, auteure de Vivre autrement : écovillages, communautés et cohabitats et rédactrice en chef du magazine Communities depuis 1993, préfère employer le mot « communautés intentionnelles ». Ces groupes de personnes choisissent de vivre ensemble, ou très près les unes des autres, pour pratiquer un style de vie commun ou travailler à atteindre des buts partagés. Petites communautés indépendantes et autosuffisantes, elles seraient plus à même de survivre aux catastrophes qui pourront déferler sur nous à mesure que diminueront les réserves de combustibles fossiles.

Le terme « écovillage » apparaît au début des années 1990 dans un rapport pour l’organisation Gaia Trust, qui a été présenté à l’occasion du Sommet de la Terre de Rio, en 1992 mais le phénomène a véritablement pris son essor en France depuis le milieu des années 2010.

Utopies concrètes

Le sociologue Maxime Cordellier, auteur d’une thèse intitulée « Recherche d’autonomie et architecture du commun dans les styles de vie communautaires » révèle dans un entretien au journal Le Monde que les écovillages ne sont pas un retour sur les communautés « historiques » : Kibboutz, communautés inspirées de l’œuvre de Thomas Moore aux Etats-Unis et au Brésil, ou hippies des années 70. Toute pensée dogmatique, prosélytisme religieux ou politique y sont rejetés, au profit de valeurs telles que l’épanouissement personnel et la gouvernance partagée.

Par ailleurs, le sociologue précise que le terme « communautés » est connoté péjorativement dans la langue française, renvoyant aux mouvements issus de mai 1968 ou à des dérives sectaires. On préfère parler de « collectifs » pour traduire cette forme d’association libre entre individus.

Au fil des décennies, les projets ont progressivement changé de forme, passant d’écovillages situés plutôt dans le sud de la France, sur des territoires agricoles où le prix du foncier était bas, à des expérimentations basées autant en zones urbaines que rurales, avec des candidats aux profils sociaux-professionnels très variés.

Maxime Cordellier définit les écovillages comme des utopies concrètes, à la recherche d’une forme sociale alternative. Que cherchent ces groupes qui décident de se réunir pour expérimenter des formes d’échanges non marchands et non monétaires ? Une meilleure qualité de vie, en adéquation avec le respect de la biodiversité mais aussi l’espoir de se changer soi-même avant de changer la société.

 

De Auroville à Eotopia en passant par L’Oôberge

Pionniers des écovillages

Le Global Ecovillage Network recense plus de 800 écovillages sur sa carte interactive, répartis sur toute la planète. En voici trois parmi les plus anciens :

Auroville a été fondée en février 1968 dans le sud de l’Inde par Mirra Alfassa, une Française de Pondichéry, surnommée “la Mère”. Cette cité sans argent, sans gouvernement et sans religion est composée de 3 300 résidents, originaires de 52 nationalités, en quête de spiritualité et de valeurs écologiques. Cet écovillage est un véritable laboratoire du vivant, pionnier en matière d’urbanisme écologique.

Le village écossais de Findhorn, 600 membres, fait figure de modèle écologique: autosuffisant en alimentation, autonome en énergie et en traitement des eaux usées… La prochaine étape est de viser la neutralité carbone. En 1962, le couple anglais Eileen et Peter Caddy, ainsi que leur amie canadienne Dorothy Maclean, se retrouvent sans logement à la suite de leur licenciement par l’hôtel Cluny Hill. Sans connaissance en jardinage mais à l’écoute de la nature, ils décident de démarrer un potager. Grâce à leur labeur, la terre réputée infertile donne de nombreux légumes : Findhorn est né.

Communauté bien connue de la mouvance hippie, The Farm (La Ferme), a été établie en 1971 dans le Tenessee, près de la ville de Summertown. Le lieu a été choisi au terme d’une tournée de conférences à travers les États-Unis, organisée par Stephen Gaskin et ses amis, qui voyageaient dans une caravane de 60 bus scolaires colorés. Cette communauté se veut un lieu de formation international pour les étudiants et les collectifs en devenir. Avec ses 220 habitants actuels, The Farm est l’un des écovillages les plus importants et les plus durables des États-Unis.

La France compte quant à elle 1200 projets d’écovillages, recensés par la Coopérative Oasis et la Habitat participatif France sur la carte des Oasis. L’Oôberge et Eotopia font partis de ces nombreux projets.

L’Oôberge

L’OôBERGE est  un habitat participatif situé en milieu urbain, dans le centre-bourg de Dol-de-Bretagne, qui a vu le jour en septembre 2021. A l’origine de ce projet, François, qui arrive en 2011 sur la place du marché de Nançy avec une étonnante pancarte « Cherche voisins »…Cela l’amène à rencontrer une bande de copains qui, eux aussi, veulent initier un projet d’habitat partagé.

Ils définissent les grands lignes de leur future habitation partagée : l’intergénérationnel et l’accessibilité, puis abordent les aspects financiers, mettent en place de bons outils pour s’écouter et travailler ensemble sur des objectifs rationnels. Viens ensuite la recherche d’un terrain, en zone périurbaine, pour rester accessible. La mairie de Dol voit un intérêt de regagner en « vivre ensemble » et accepte le projet. La construction démarre avec le bailleur social Emeraude Habitation.

Particularité des formes urbaines, semi-collective, les 23  logements sont imbriqués en petits ilots avec chacun son entrée individuelle, qui donnent sur un jardin collectif, non clôturé, avec potager et verger. Les habitants ont également en commun un réfectoire multi-usages qui permet de prendre des repas entre voisins ou avec sa famille et ses invités quand ils sont nombreux. Le bâtiment sert également à organiser des soirées jeux, cinéma, théâtre et même des petits événements culturels (conférence, concert…) en lien avec plusieurs associations du territoire. Cet ensemble est complété par un espace de travail partagé, ouvert à tous, équipé de connexions internet, de mobilier de bureau, d’une imprimante et d’un atelier dédié au bricolage avec des outils mutualisés.

 « Je me suis rendu compte que ce n’était pas un toit que je cherchais, c’était un art de vivre. » François, habitant de l’Oôberge

Eotopia

« Un espace expérimental orienté vers une économie axée sur le don inconditionnel et le respect du vivant », c’est ainsi qu’est défini l’écovillage Eotopia. Dans son ouvrage Eotopia : une communauté écologique décidée à vivre autrement, Benjamin Lesage, son fondateur, revient sur la genèse de cet ambitieux projet. En 2010, il entreprend de partir au Mexique avec son ami Raphaël, sans argent ni avion. A l’issue de ce voyage, germe l’idée d’un lieu, sorte de laboratoire, qui leur permettrait de mettre en place une économie sans échange monétaire.

En 2013, Benjamin et sa compagne Yazmín reviennent en France pour concrétiser le projet. Une première réunion de présentation est organisée à Freiburg en Allemagne à laquelle 30 personnes de multiples nationalités participent pour seulement s’informer ou s’impliquer plus durablement.

En 2016, après de nombreuses péripéties, le groupe parvient enfin à trouver un lieu pour accueillir Eotopia : une maison d’un étage installée sur un terrain de trois hectares à Cronat, petit village à la frontière de la Saône-et-Loire et de l’Allier. Une association, Vert de Terre, est créée pour faire l’acquisition du bien immobilier grâce aux contributions financières de ses membres.

Mûrement élaborés lors de ses années de conception, l’écovillage repose sur des piliers garantissant un espace de vie harmonieux et équitable : économie du don, vivre ensemble, véganisme, libre apprentissage, création artistique et écologie/permaculture.

Les membres permanents sont au nombre de six. Les autres visiteurs, une centaine depuis la création du lieu, viennent en immersion quelques jours à l’occasion des stages et retraites organisés régulièrement ou encore pour le festival annuel Eofest. Certains décident de rester quelques mois, d’autres partent pour entreprendre à leur tour un projet d’écovillage et d’autres encore reprennent tout simplement leur vie. Tous en ressortent avec une vision du monde profondément bouleversée par cette expérience.

« On vit comme ça depuis des années. À part le monde occidental, tout le monde vit comme ça. Avec ce lieu, on sécurise notre présent. Mais on ne va pas s’empêcher de vivre aujourd’hui au nom d’un avenir incertain. » Benjamin Lesage, à propos de l’avenir d’Eotopia

 

Du rêve à la concrétisation

Définir son projet

Des dizaines de milliers de citoyens rêvent de créer un écovillage. Cependant la plupart des groupes ne prennent jamais leur envol faute de terrain, de financement ou encore à cause de conflits. Pour passer du rêve à la concrétisation, ils ont à la fois besoin d’être inspirés, mais aussi d’être soutenus par le biais d’outils et de connaissances qui s’affinent grâce à l’expérience des pionniers. C’est pour faire face à ce constat que Nathalie Boquien et Marie Thirier, deux cousines respectivement agronome et éditrice, ont publié en 2021 : Autonomie solidaire, écovillages & habitats participatifs, témoignages et clefs pour votre projet.

Leur ouvrage se veut une boîte à outils, regroupant les compétences, connaissances et processus nécessaires à l’aboutissement d’un projet d’écovillage.

Dans un premier temps, il s’agit de définir la raison d’être du projet par une vision et des valeurs communes : Quelles activités seront développées au sein du lieu ? Dans quel objectif ? Quelle sera la taille du groupe ? A ce propos, le GEN préconise un minimum de 8 personnes pour construire un lieu assez grand pour être résilient tout en gardant une dimension collective.

Le lieu est une question des plus importantes. Quel type ? Quelle taille ? Quelle localisation ? Une fois que le cahier des charges est établi, il est possible de se rendre sur des sites de petites annonces tels que Ecovillage global ou encore Habitats participatifs France, qui permettront de chercher le lieu idéal pour son écovillage mais aussi ses futurs cohabitants.

S’outiller

Passées ces premières étapes, arrive le moment des montages juridiques et financiers. Il convient en effet de choisir les statuts adaptés à son projet : copropriété, société civile immobilière (SCI), coopérative d’habitants (CH), sociétés de programmes… ainsi que son mode de financement : emprunt collectif, financeur privé, bailleur social, financement participatif…

Pour la plupart des écovillages, l’écologie est le moteur du projet. Les collectifs ont à cœur de renforcer le lien à la nature en composant avec l’existant. En ville, cela peut se traduire par des petits potagers, des constructions écologiques ou la réduction des déchets et à la campagne par la permaculture ou la phytoépuration. L’autonomie est une autre valeur chère aux écovillages. Elle s’applique autant à des domaines techniques : alimentation, énergie, traitement des déchets, que sociaux : entraide pour les personnes âgées ou handicapées, instruction en famille ou écoles alternatives…

Le choix du type d’habitat, qui prend en compte des critères de résilience, contribuera à l’identité du futur écovillage. Il peut être neuf, existant, dur ou léger : yourtes, zômes, dômes géodésiques, tiny houses, roulottes, cabanes, kerterres, tipis, écoquilles, mobil-homes… Ces nouveaux modes d’habitats, en pleine émergence, ont leur représentant auprès des collectivités : l’Association d’Habitants de Logements Éphémères ou Mobiles (HALEM).

S’entourer

Enfin, au delà de ces compétences techniques nécessaires, il convient de ne pas faire l’impasse sur le vivre-ensemble, un facteur déterminant pour la pérennisation de nombreux projets. Les activités collectives, la volonté d’autodétermination des groupes, les fluctuations de ces derniers, le mode de gouvernance, la communication, l’intimité dans le groupe sont autant d’enjeux à ne pas négliger afin d’éviter les tensions et de faire en sorte que chaque membre du collectif se sente à sa place.

Tous ces outils du vivre ensemble ne s’acquièrent pas seuls. Un projet d’habitat participatif nécessite de vaincre ses peurs et de sortir du modèle de l’habitat individuel. C’est pour cela qu’il est nécessaire de se faire accompagner par des professionnels mais aussi par des pairs dès les prémisses du projet ou sur un point précis. Plusieurs organismes se sont donné  cette mission. C’est le cas de la coopérative OASIS, notamment avec son MOOC gratuit “Concevoir une Oasis” qui a déjà rassemblé plus de 30 000 personnes. Gaïa Éducation, équipe du réseau Global Ecovillage Network (GEN), partage des expériences et des leçons vécues dans la création et le développement d’écovillages. Son cours Éducation au Développement Durable est accessible dans 43 pays.

 

Pour découvrir d’autres écovillages inspirants, voici quelques ressources audiovisuelles :

-Vidéo témoignages autour du projet de L’OôBERGE

-Chaîne Youtube de Julien Malara, qui propose de nombreux reportages sur les écolieux, dont un sur Eotopia

Community, podcast de GEN Europe

La voix des Oasis, podcast d’Alexandre Sattler en partenariat avec Colibris

 

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