L’image des journalistes en demi-teinte

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 25/03/2020 par alcollomb

Insultes, menaces, tel est le quotidien des journalistes dont l’image s’est fortement dégradée. Le traitement médiatique de la Révolution roumaine de 1989, les images de la Guerre du Golfe en 1990-1991 ou encore les commentaires bienveillants des éditorialistes à l’égard de la Réforme Juppé, en 1995, ont initié un clivage qui s’est transformé, aujourd’hui, en véritable défiance. Les cinéastes et écrivains se sont emparés au cours des siècles, de toutes ces facettes pour témoigner, dans leurs œuvres, du rôle du journaliste, tour à tour célébré et détesté.

machine à écrire
machine à écrire Pixabay

Le contexte

Aujourd’hui, le divorce est acté et la haine est à son paroxysme. Aux tweets malveillants s’ajoutent désormais des actes d’une rare violence. Lors des manifestations, les journalistes ne sont plus uniquement pris à partie mais malmené-es, pourchassé-es, accusé-es d’être aux ordres du gouvernement, de ne pas retranscrire correctement les évènements. Un cap dans la rupture est franchi et le journalisme n’en sort pas grandi.

On est loin, en effet, de l’image d’Epinal du sympathique Tintin, reporter qui agit en détective amateur pour lutter contre tout ce qu’il estime être mal et déjouer ainsi toutes les énigmes. Plus tard, en 1942, apparaît dans le Journal de Spirou, le non moins charmant Fantasio, journaliste loufoque, parfois grincheux mais toujours pardonné. En revanche, là aussi, l’image se dégrade lorsque Fantasio, devenu secrétaire de la rédaction du Journal de Spirou, se transforme en manager atrabilaire qui ne cache pas son agacement face à un Gaston Lagaffe fantaisiste.

Le portrait du/de la journaliste fluctue au gré des époques, des évènements et évolue sous l’action du réalisateur, de l’auteur. De l’enquêteur chevronné au personnage alcoolique ou insolent, l’image du journaliste est au cinéma et en littérature, tour à tour sanctifié ou au contraire honni.

Le journalisme au cinéma

Le journalisme au cinéma

Dans  Le Journalisme au cinéma, Sonia Dayan-Herzbrun revient sur ces diverses perceptions et recense un certain nombre de films montrant le journalisme sous un jour favorable, de son utilité pour soulever les grandes enquêtes ou au contraire, dès Citizen Kane, alertant sur la montée en puissance des « magnats » de la presse et de la mise en place d’empires médiatiques. Des films qui, témoins directs, scrutent les « tensions et conflits auxquels est soumis la profession de journalistes ».

 

Alors qu’actuellement, dans le monde entier, les journalistes sont accusé-es de ne plus être vecteur de vérité, le cinéma américain met souvent en exergue – et sert en cela d’exemple à de nombreux réalisateurs –  l’importance de la liberté de la presse, de l’accès à l’information.

Si Citizen Kane  a été l’un des premiers films à évoquer tous les aspects du journalisme et à insister sur le rapport à la vérité, cette vision a été de nombreuses fois partagée. Pour ne citer que quelques-uns d’entre eux, Les hommes du président revientaffiche sur l’affaire du Watergate et plus précisément sur l’enquête menée par deux journalistes du Washington Post, Carl Bernstein et Bob Woodward, ayant entraîné, en 1974, la démission du président Nixon tandis que George Clooney avec Good Night and good Luck expose comment le présentateur du journal télévisé de CBS de l’époque, Edward R. Murrow et le producteur Fred Friendly contribuèrent à la chute du sénateur Joseph McCarthy, mettant ainsi fin à une rude période de «  chasse aux rouges » où toutes celles et ceux, jugé-es communistes, furent traqué-es et condamné-es.

affiche good night, and good luck

N’oublions pas non plus que déjà en son temps, Superman, le héros combattant le mal personnifié au service de la vérité et de la justice, était journaliste au Daily Planet. Nous pourrions ainsi poursuivre l’énumération de films mettant en exergue la responsabilité de la presse dans la défense de la démocratie.

 

Mais, parallèlement à ce rôle de pourfendeur de la liberté, une autre vision du journalisme se fait jour. Moins idyllique, plus acerbe. Du journaliste alcoolique, incarné  par Johnny Depp dans Rhum Express,  en passant par  la journaliste carriériste capable du pire comme le met en scène Gus van Sant dans Prête à tout jusqu’à l’image dans Night Call d’un journalisme sordide où le scoop l’emporte sur l’éthique et où le diktat de l’audience n’est jamais bien loin, la vision du journalisme n’est plus aussi auréolée et révèle bien d’autres évocations, beaucoup moins flatteuses. Le journaliste n’échappe pas non plus aux jugements littéraires.

 

La figure du journaliste dans la littérature

 

La figure du journaliste dans la littérature a beaucoup évolué tout au long du XXè siècle. Le reporter Joseph Rouletabille, créé en 1907 par Gaston Leroux comme une réponse aux Sherlock Holmes et Hercule Poirot d’outre-Manche, pouvait encore se contenter de son sens de la déduction et de sa bonhommie pour stupéfier son monde. Mais cette insouciance ne survivra pas à la belle époque : témoin et acteur de son temps, le journaliste de papier, bon gré mal gré, devra bientôt choisir son camp.

 

C’est le cas de Blèmia Borowicz dit Boro, héros de  huit romans publiés par Dan Franck et Jean Vautrin entre 1987 et 2009. Juif hongrois immigré à Paris à une époque où il ne fait pas bon être cosmopolite, Boro, reporter photographe inspiré de Robert Capa, vivra tous les soubresauts de l’Europe des années 30 et 40, marquées par la montée de l’extrême-droite, la guerre d’Espagne, le nazisme, clandestinité… Sans se départir de son sens de la justice et de sa conscience sociale. L’archétype du journaliste engagé.

 

couverture de livre Perfidia

James Ellroy

Il en est autrement dans l’Amérique des années 40 à 70 décrite dans les romans de James Ellroy. Pour l’auteur d’American Tabloïd, l’humanité entière semble irrémédiablement corrompue et malsaine. Œuvrant dans la presse à scandale, à moins que comme dans Perfidia (2017) il n’anime la radio du Ku Klux Klan, le reporter ellroyesque a le voyeurisme pour vocation, le commérage pour cœur de métier et le chantage pour hobby. Si bien que lorsque le très réel Fred Otash (1922-1992) sera au centre du court roman Extorsion sorti en France en 2014, on ne s’étonnera pas si c’est depuis le purgatoire qu’il s’exprime.

 

Né sous la plume nordique de Stieg Larsson et repris en 2015 par David Lagercrantz, Mikael Blomkvist, héros de la saga

Millénium, évolue dans un monde plus contemporain, mais pas moins noir. Le héros, accusé de diffamation, peine à maintenir à flot le magazine qu’il a co-fondé. Il ne peut compter que sur l’appui d’une équipe soudée, et l’aide de la hackeuse punko-asperger Lisbeth Salander.  Qui ne seront pas de trop, car c’est maintenant un pouvoir politico-financier aux ramifications mondiales qu’il faut affronter, dans une démocratie en crise où l’indépendance de la presse est un combat de tous les jours.

 

Cinéma, littérature ou tout simplement vie quotidienne, la figure du journaliste ne laisse pas indifférent. Aussi, A bout de souffle, nous vous encourageons à parcourir les ouvrages suivants et vous rappelons qu’aujourd’hui est la Journée mondiale de la liberté de la presse.

Pour aller plus loin sur l’image du journalisme dans les Arts :

Pour aller plus loin sur la situation de la presse :

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