La culture pour refuser la misère

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 20/10/2017 par Pam

Mardi 17 octobre, c'est la 30ème journée du refus de la misère, un anniversaire qui permet de porter un éclairage sur la pauvreté et les moyens pour la combattre (et plus précisément par la réponse culturelle).

main tendue, pixabay

La pauvreté : un constat mondial

Ce mardi 17 octobre a lieu une nouvelle journée mondiale du refus de la misère, l’occasion de faire entendre la voix des plus démunis, mobiliser citoyens et responsables publics et en faire un point d’appui pour une lutte de fond contre la pauvreté. Un moment privilégié pour mettre en lumière les invisibles, ceux que l’on ne veut pas voir.

Tombant fort à propos, la toute dernière enquête de Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti et Jules Naudet, Ce que les riches pensent des pauvres étudie la question de la perception de la pauvreté par les classes supérieures à travers trois métropoles : Paris, São Paulo et Delhi. Et le résultat est édifiant : «l’élite brésilienne conçoit la pauvreté comme une classe sociale violente, donc dangereuse, contre laquelle il faut se protéger, à Delhi, elle incarne davantage la saleté et l’insalubrité, porteuse de maladies, alors qu’à Paris, elle est surtout la conséquence – culturelle – d’une mauvaise éducation. » Pratiquant une solidarité distanciée, refusant la mixité sociale, les classes dominantes font en sorte de maintenir un système qui conserve l’entre-soi. La peur de modes de vie jugés nuisibles met à mal le vivre ensemble, le vivre à côté sans porosité perdurant allègrement. (article de  l’Humanité)

 

La situation dans le monde

Si les données récentes de la Banque mondiale montrent que le nombre d’êtres humains vivant dans l’extrême pauvreté est faible (en 2013, une personne sur 10 vit en dessous du seuil international d’extrême pauvreté contre 4 sur 10 en 1990), d’autres éléments jettent un voile bien sombre sur ces chiffres prometteurs.

Un choix sélectif de lieux fortement touchés :

En Afrique, d’après Le Monde, le taux de pauvreté recule, mais le nombre de pauvres augmente :

Le rapport de la CNUCED sur les perspectives de l’économie en Afrique donne le chiffre accablant de plus de 500 millions d’Africains vivant sous le seuil de pauvreté avec moins de 2 dollars par jour. La classe moyenne, définie par la Banque africaine comme ayant un revenu compris entre 2,2 dollars et 20 dollars par jour, compte 350 millions de personnes. La différence est clairement ténue. Paradis pour les entreprises et les classes dirigeantes, le continent africain est économiquement une mine de richesses pour les classes au pouvoir et un gouffre de misère et de souffrance pour les autres, une terre d’inégalités toujours croissantes.

En Allemagne, selon Marianne, la misère se cache derrière la baisse du chômage :

Pays considéré comme le plus performant, véritable «locomotive économique de l’Europe», il compte tout de même l’un des plus gros secteurs d’emplois à bas salaire (22,5 % des actifs gagnent moins de 10,50 € de l’heure). Le taux de pauvreté monte à 15,7% (12,9 Millions de personnes) et un Allemand sur cinq est en situation de précarité. A Berlin, un enfant sur trois est considéré comme pauvre et 26% des retraités sont obligés de travailler pour compléter leur maigre pension. Le modèle économique n’en est plus vraiment un.

40 % des enfants espagnols sont sous le seuil de pauvreté, c’est la donnée effarante divulguée par euractiv :

« L’Espagne a le troisième taux le plus élevé de pauvreté infantile dans l’UE après la Roumanie et la Grèce. » Directement liée à la crise, la pauvreté infantile gagne du terrain dans les pays riches selon l’Unicef.  Dans le cas de l’Espagne, on assiste à une hausse de neuf points de pourcentage entre 2008 et 2014.

« Un Européen sur quatre fait face à une ou plusieurs des situations suivantes : revenus faibles, privations matérielles importantes, et, ou, exclusion sociale. » En 2015, 3 pays membres de l’UE, la Bulgarie, la Roumanie et la Grèce ont vu le tiers de leur population en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. (euronews)

The Bottom 100 offre un classement atypique, en effet miroir de celui des plus grandes fortunes, un top 100 des plus bas revenus au travers du parcours d’individus ou de familles originaires d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique latine. « Ils sont réfugiés, sans-abri, paysans, nettoyeurs, ouvriers. Leur point commun? Vivre avec un revenu de misère. Une photo prise sur fond bleu – un simple tissu, une bâche, une toile de tente – et une courte biographie accompagnent chaque profil. »Une manière saisissante de faire un focus bien tangible, plus parlant que des statistiques, sur des êtres humains bien réels.(Tribune de Genève)

Enfin, en Francel’Observatoire des inégalités dresse un triste bilan :

Entre 5 et 8,9 millions de pauvres, c’est sans appel. 600 000 personnes de plus en 10 ans au seuil à 50 % du niveau de vie médian et près d’un million au seuil à 60 %.Depuis 2008 et la crise financière, la pauvreté a nettement augmenté avec une stagnation depuis 2012, mais à moduler vu le glissement des difficultés sur les classes moyennes. Et, record peu glorieux, le taux de pauvreté en France (14,2% en 2015) dépasse maintenant celui des Etats-Unis (13,5% aussi en 2015). Selon le Secours populaire, plus d’un Français sur trois a connu la pauvreté et un sur cinq vit  avec un découvert bancaire, et la vulnérabilité touche de plus en plus les seniors : près d’un sur deux craint de connaître ou a déjà connu une situation de pauvreté.

Si l’on ajoute les actuelles mesures gouvernementales concernant la baisse des aides au logement (Le Monde), la volonté de faire disparaître les sdf (Le Télégramme) ou encore la suppression de l’ISF (Libération), la pauvreté a encore de “beaux” jours devant elle.

 

Sauf si on la refuse …

Journée mondiale du refus de la misère

Journée mondiale du refus de la misère

La misère : un refus mondial – Le rôle de la culture dans la lutte contre l’exclusion

 

Dans la lutte contre la misère, « l’action culturelle est effectivement primordiale. Elle permet de poser la question de l’exclusion humaine d’une manière plus radicale que ne le fait l’accès au droit au logement, au travail, aux ressources ou à la santé. On pourrait penser que l’accès à ces autres droits devient inéluctable, lorsque le droit à la culture est reconnu » Joseph Wresinski dans Culture et grande pauvreté

 

Les droits culturels, un concept récent …  vieux de soixante-dix ans

Si l’on considère la pauvreté comme la privation de ressources essentielles à la vie, la dimension culturelle n’est pas d’emblée évoquée. Or, celle-ci est intimement liée aux droits de l’homme et aux conditions d’émancipation et d’épanouissement individuel. Aujourd’hui, l’accès aux ressources culturelles (langue, éducation, patrimoine, arts et savoirs) est au cœur des politiques publiques et la société s’accorde à dire que le lien entre la culture et la lutte contre la pauvreté est primordial.

Ce sont justement ces « droits culturels » qui garantissent au citoyen le libre accès à la culture. La loi NOTRe de 2015 (qui redécoupe notamment la France en 13 nouvelles régions) inscrit explicitement en son sein ce nouveau principe : les territoires sont garants de la protection de ces droits. Ils se définissent alors comme « l’ensemble des références culturelles par lesquelles une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue, communique et entend être reconnue dans sa dignité ». Seulement, ces droits ne sont pas nouveaux et découlent d’une prise de conscience vieille de soixante-dix ans.

En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans l’article 22, stipule que « toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent », celle-ci « est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité ». En 1982, Jack Lang, alors Ministre de la Culture s’insurge à Mexico contre l’impérialisme culturel américain dans un discours resté fameux (vidéo ina).

Douze ans plus tard, à Marrakech, la culture tente de se soustraire des impératifs économiques du capitalisme mondial, la notion « d’exception culturelle » est née. Ce principe est entériné par la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001 et la Convention du même nom en 2005. La « diversité » est rapidement préférée à « l’exception », il s’agit alors de rappeler son caractère inclusif et universel. Enfin, en 2007, le groupe de Fribourg, dirigé par Patrice Meyer-Bisch, reprend l’ensemble de ces droits, les explicite et les érige au rang des droits humains (Déclaration de Fribourg).

 

 

La culture, alors considérée comme un droit de l’homme, ne peut être séparée du principe de développement, de construction personnelle et d’épanouissement. A ce titre, l’Agenda 2030 des Nations-Unions mentionne pour la première fois la fonction centrale des bibliothèques dans le processus de développement.

Comment la culture peut-elle participer à la lutte contre la pauvreté ?

La culture peut contribuer à faire émerger des compétences, consolider l’identité, la confiance en soi, favoriser la participation à la vie sociale de la cité ; autant de piliers essentiels à la lutte contre l’exclusion sociale (liée à l’exclusion économique… et inversement).

Si la culture n’a pas pour vocation première de lutter contre la pauvreté, elle est un moyen, une contribution, une condition essentielle. Il s’agit alors de favoriser cette culture pour tous, encourager l’accès au plus grand nombre : la gratuité, l’accès aux personnes handicapées, la décentralisation, l’éducation artistique et culturelle . Mais les moyens ne suffisent pas. C’est un désir de culture qu’il  faut alors insuffler.

A ce titre, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels du Conseil économique et social des Nations Unies propose une typologie des personnes vulnérables faisant l’objet d’une vigilance particulière dans l’exercice de leurs droits culturels : femmes, enfants, personnes âgées, personnes handicapées, minorités, migrants, peuples autochtones et personnes vivants dans la pauvreté. Celle-ci est alors reconnue comme une restriction à l’exercice de ces droits, mais l’inversion du jugement est également possible : ces droits permettent de s’élever hors de la pauvreté.

Là où la culture est liée au développement

L’inclusion sociale génère une inclusion économique et ce sont les villes qui semblent aujourd’hui le mieux à même de développer cette idée. Le concept de « ville créative » s’est rapidement développé : l’idée est de favoriser le développement d’un territoire par la culture.

L’implantation du musée Guggenheim à Bilbao a permis à la ville de sortir de la crise dans laquelle elle était plongée. De plus, les capitales européennes de la culture Lille et Liverpool ont revalorisé les villes et leur image. La culture est aujourd’hui partie prenante des processus de sortie de crise.

A l’échelle humaine, des initiatives permettent aux populations délaissées, défavorisées, en situation de détresse sociale, de tenter des processus d’inclusion sociale par la culture. On pense ici aux Ideas Box, bibliothèques portatives, numériques et participatives imaginées par Philippe Starck et l’ONG Bibliothèques sans frontières. L’idée est de faire venir la bibliothèque au sein des camps de réfugiés ; garder un lien à la culture c’est préserver du lien social. Les droits culturels des plus démunis sont aujourd’hui au centre des processus de reconstruction. (ideas box)

 

 

Au citoyen et au politique de penser et de construire aujourd’hui ces droits culturels. Son introduction dans la Loi NOTRe pose aujourd’hui question aux élus locaux mais a le mérite d’ouvrir des pistes de réflexion fertiles.

 

Pour aller plus loin

Pauvreté et développement dans un monde globalisé (France Culture)

La pauvreté mondiale pourrait être réduite de moitié si tous les adultes achevaient leurs études  (Unesco)

Pour lutter contre la pauvreté, il faut combattre les inégalités (Observatoire des inégalités)

Des associations de lutte contre la pauvreté entrent en campagne (Le Monde)

Droits culturels et pauvreté. Observer la honte (ATD Quart Monde)

Droits culturels : controverses et horizons d’action (l’Observatoire des politiques culturelles)

vies ordinaires (Bilan Forum Démocratie mars 2017)

Le parlement des invisibles / Pierre Rosanvallon

30ème journée mondiale du refus de la misère (ATD Quart Monde)

 

« Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. »

Joseph Wresinski

 

Partager cet article