Musique & cinéma

Les sons du muet

- temps de lecture approximatif de 17 minutes 17 min - Modifié le 02/11/2016 par Département Musique

L’expérience cinématographique telle que nous la vivons aujourd’hui en tant que spectateurs est bien différente de celle des premiers temps du cinéma. Il faut dépasser l’idée que le cinéma avant le parlant est un film en noir et blanc, accompagné par un pianiste improvisateur dans une salle de cinéma. Le cinéma d’avant 1914 est tout sauf uniforme, aussi bien dans ses modes d’exploitation que dans ses formes stylistiques.

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1885-1905 : Le cinématographe

Les lieux de projection

Les typologies des lieux d’exploitation à la naissance du cinématographe sont très hétérogènes mais possèdent un dénominateur commun, ce sont des lieux de loisirs. La projection de vues cinématographiques est itinérante, temporaire, mise en œuvre par des tourneurs qui proposent leurs services à travers la France dans les salles des fêtes, les cafés et les théâtres.
Il existe alors deux grandes catégories de lieux proposant des spectacles : des établissements spécialisés qui en proposent régulièrement, et des lieux hétérogènes qui ne proposent qu’occasionnellement des représentations musicales ou des cafés-concerts. En tant que nouvelle attraction, le cinématographe va naturellement s’intégrer dans les programmes existants.

A cette époque les films sont achetés par les tourneurs et les forains qui les exploitent jusqu’à leur destruction. Il est trop tôt pour parler d’exploitant et le terme qu’on lui préfèrera sera celui d’exibiteur. Il ordonne l’ordre de passage des vues, prépare son boniment et choisit une musique ou un musicien pour l’accompagner. Il s’approprie les films qui ne sont que des éléments de son spectacle.

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Bien loin du silence religieux de nos salles de cinéma actuelles, il existe une porosité avec l’environnement du lieu de projection. La tente de toile du forain n’isole pas le spectateur des bruits environnants de la fête foraine. Les projections de vues voisinent avec les orgues de foire et leurs groupes électrogènes, les cages des fauves et les bonimenteurs haranguant les foules de badauds. La salle des cafés-concerts, bavarde et bruyante, propose les « Vues Lumières » au milieu des conversations, des commandes et des bruits de vaisselle. Ce sont des lieux de vie et de divertissement.

La ville de Lyon connaît un développement de l’exploitation cinématographique comparable à celle d’autres grandes villes.

« En dehors des locaux des frères Lumière ou du Progrès, le cinématographe est nomade. Il est exploité dans l’agglomération lyonnaise en deux endroits bien distincts : les salles de spectacle, qu’il s’agisse des théâtres ou, plus souvent, des salles de café-concert, et les fêtes foraines. » Renaud Chaplain, Les cinémas dans la ville. La diffusion du spectacle cinématographique dans l’agglomération lyonnaise (1896 – 1945)

Le film

Le cinématographe est, dans ses premières années, une attraction divertissante au même titre que la femme à barbe ou le chansonnier. C’est un renouvellement d’une forme de spectacle déjà existante, en vogue au début du 19ème siècle, que sont les lanternes magiques et leurs « fantasmagories ». Les films de Georges Méliès en sont les héritiers directs (Le Voyage dans la lune) .
Les films n’excèdent pas quelques minutes et sont projetés par un projecteur le plus souvent actionné par une manivelle. Ces « Vues » exposent des situations de la vie courante (Le repas de bébé, La sortie des usines), comiques (L’arroseur arrosé) ou des actualités (Fêtes du couronnement de S.M. le Tsar Nicolas II).

cinematographe_lumiereCes « vues » ne présentent aucune mise en scène : filmées en noir et blanc, en cadrage général, muettes et d’une durée de 50 secondes (durée d’un bobineau de pellicule). Tout le langage cinématographique reste à inventer. Progressivement les films vont évoluer vers un mode plus narratif mais restent proches du spectacle comique et du théâtre filmé. Jusqu’en 1903, l’essentiel de la production cinématographique est composé de vues très simples, de situations plus que de narration.

« A Lyon, le cinématographe constitue jusqu’aux années 1904-1905 une simple attraction scientifique, non un véritable spectacle, ce qui transparaît dans la fréquentation des premières salles de projection. […] Mais si les gens se sont précipités pour voir la nouvelle invention, ils se sont très vite lassés. En tout cas, les chiffres de la fréquentation montrent clairement l’absence de fidélisation d’une clientèle » Renaud Chaplain, Les cinémas dans la ville. La diffusion du spectacle cinématographique dans l’agglomération lyonnaise (1896 – 1945)

 

Le son

Bien que qualifié de « muet », ce cinéma des premiers temps est le plus souvent accompagné de bruits, de voix et de musiques.

 

  • Les bruits de coulisses

A la naissance du cinéma, les appareils de prises de vue ne sont pas en mesure d’enregistrer le son simultanément avec l’image. Pourtant, en l’absence de possibilités techniques exploitables commercialement, le cinéma va emprunter au spectacle vivant des techniques préexistantes pour se donner de la voix. Pour les bruitages, un bruisseur placé à l’arrière de l’écran ou dans la fosse, accompagne l’action du film avec tout un ensemble de sons : vaisselle qui casse, klaxons, sifflets, coups de feu….

« Pour l’Arrivée du train en gare, le trucage était très répandu : avec une espèce de vélo, l’employé pédalait, il y avait des lames de bois, comme dans les moulins à eau, qui venaient taper le parquet ; ça donnait le bruit du train en route. » Souvenirs d’Alfred Bonamy, Martin Barnier, Bruits, cris, musiques de films : Les projections avant 1914,

 

  • Le conférencier et le bonimenteur / bonisseur.

bonimenteur

L’absence de son synchronisé limite la compréhension de l’action. L’utilisation de cartons (plans fixes où le texte des dialogues apparaît) permet de remédier à ce problème. La lecture n’étant pas encore maîtrisée par l’ensemble de la population, un bonimenteur est alors chargé de lire les cartons. Dans les campagnes, il commente en patois ou en langue régionale pour le public.
Le bonimenteur joue également le rôle de conférencier. A la manière des séances de lanterne magique, il commente les vues pour les spectateurs et fait le lien entre les différents moments du spectacle. Ce rôle peut également être joué par l’opérateur lui-même.

 

  • La musique : le pianiste improvisateur / l’orchestre / le phonographe

La musique est également présente pour accompagner les premières années du cinéma. Mais quelle est sa fonction par rapport aux images ?

« C’est comme si l’on demandait pourquoi au cirque les trapézistes ne présentent pas en silence leur numéro, pourquoi la musique accompagne les tours de magie, et pourquoi chez Shakespeare il y a souvent place pour une chanson » Michel Chion, La musique au cinéma

« La musique, confrontée à des photographies animées, leur apporte aussi tout autre chose qu’au spectacle de cirque, par exemple. Elle crée un espace « supérieur » qui englobe à la fois l’espace de la salle et celui figuré à l’écran, formant une sorte de barrière autour de chaque spectateur. Au départ, donc, elle sert à isoler le spectateur du bruit du projecteur, des toux, des commentaires chuchotés, etc. De ce point de vue-là, l’introduction de la musique dans les lieux de projection constitue le tout premier pas délibéré vers ce qui sera plus tard l’interpellation institutionnelle du ciné-spectateur comme individu. Avec la mise en cabine du projecteur et le développement du cinéma forain en Europe, puis du nickelodeon aux États-Unis, la fonction de la musique sera de combattre la contamination du « silence » diégétique par des bruits incontrôlés venus de l’extérieur, par le va-et-vient du public dans les salles, les conversations, etc., en leur substituant un espace sonore organisé, sorte de « fil rouge tendu entre le film et le spectateur » selon l’expression de Marcel L’Herbier. » Noël Burch, la Lucarne de l’infini, Naissance du langage cinématographique.

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Comme au théâtre, des musiciens accompagnent l’action et lui donnent sa dramaturgie.
Le musicien ou l’orchestre peut être placé dans la fosse ou derrière l’écran. Des instruments spécialement dédiés à l’accompagnent des films vont voir le jour comme l’orgue de cinéma (orgue Würtlitzer) qui propose en plus de la musique toute une série de bruitages (cloches, sirènes, tonnerre…) pour agrémenter les projections. La musique est aussi présente à l’extérieur des salles pour attirer le public.

 

  • Le son synchronisé

Des essais pour synchroniser des sons enregistrés avec le film vont également être tentés. Les difficultés techniques dans cette entreprise se rencontrent à la prise de son lors du tournage, et lors de la projection.
Dès 1894, Thomas Edison rêve déjà d’un cinéma parlant et en couleur. Edison va expérimenter un premier procédé de synchronisation de l’image avec du son gravé sur un cylindre ou un disque de cire (la prise de son s’effectuant en direct, en même temps que la prise de vue).

Un certain nombre de procédés vont émailler la période de 1895 à 1927 allant jusqu’au dépôt de brevet et la commercialisation d’un matériel qui reste encore perfectible.

« On retrouve notamment à Lyon le Ciné-phono Pathé au cinéma Grolée en 1908, puis les films parlants et phonoscènes Gaumont à la Scala à partir d’août 1912, à la Gaieté Gambetta en janvier 1914. Avec ces procédés, les grands noms du café-concert parisien, tels Charlus, s’invitent à Lyon. Voir et entendre une vedette de la scène chanter ou danser sans qu’elle ne soit physiquement là constitue assurément pour le public de l’époque un véritable exploit technique.» Renaud Chaplain, Les cinémas dans la ville. La diffusion du spectacle cinématographique dans l’agglomération lyonnaise (1896 – 1945)

Cette volonté de voir le cinéma parler et chanter de manière synchrone va faire partie des grandes évolutions qu’il va connaître dans la décennie suivante.

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La transition 1905-1908

Cette période est marquée par une transition multifactorielle. Il s’agit d’une évolution progressive et générale qui touche aussi bien le film lui-même, ce qu’il montre et sa manière de le faire, et la typologie des lieux où il est projeté.

 

Les salles exclusives

C’est au tournant des années 1905-1910 que va s’amorcer une évolution dans les modes de diffusion du cinématographe. La naissance de salles exclusivement consacrées aux projections cinématographiques marque cette rupture. L’exploitation cinématographique devient progressivement comparable à celle que nous connaissons. C’est-à-dire une salle de cinéma aménagée avec des rangées de fauteuils et un écran, proposant un spectacle exclusivement cinématographique. C’est le modèle standardisé de la salle de spectacles qui s’impose. C’est aussi le début de l’industrialisation de l’exploitation cinématographique avec l’apparition de grandes sociétés que sont Pathé puis Gaumont.

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Jusqu’ici les films étaient achetés par les tourneurs et les forains. En 1907, Pathé décide de louer les films. Ce changement de mode de diffusion des films va progressivement condamner l’exploitation foraine en privilégiant les salles fixes et en particulier le réseau des salles Pathé qui est en pleine expansion. Ces grands réseaux ont l’avantage de concentrer toute la chaîne, de la production à l’exploitation des films.

A Lyon, « La première de ces salles, le cinéma Idéal, ouvre ses portes entre novembre et décembre 1905 au 83 rue de la République, et propose dès lors des séances d’une demi-heure sans interruptions de 15 à 22 heures […]
Le modèle de la salle de cinéma sédentaire commence à se diffuser largement à partir de 1910. […] Le confort et la qualité de projection sont aléatoires selon les établissements dont les politiques tarifaires dessinent une hiérarchie des publics. » Renaud Chaplain, Les cinémas dans la ville. La diffusion du spectacle cinématographique dans l’agglomération lyonnaise (1896 – 1945)

 

 

Le film

Le film en lui-même évolue progressivement pour se rapprocher des modes narratifs du cinéma actuel.

  • D’un point de vue technique

Des évolutions techniques vont avoir un impact plus profond sur le cinéma et vont permettre de le faire passer d’attraction à spectacle. Le perfectionnement des systèmes de projection permet d’allonger considérablement la durée des films, condition indispensable pour donner le temps nécessaire au récit de se déployer sur l’écran. Dans les années 1910 les films deviennent des longs métrages. Composés de plusieurs bobines ils dépassent une heure.

Evolution de la production Pathé des films de fiction (1901-1908) – Métrage des films

1901

1902

1903

1904

1905

1906

1907

1908

moins de 50 mètres

55

73

52

33

64

30

7

0

de 50 à 99 mètres

1

5

4

21

31

86

96

64

de 99 à 199 mètres

3

3

3

7

22

76

135

300

plus de 200 mètres

2

2

3

3

6

7

27

62

Total

61

83

62

64

123

199

265

426

 

  • Pour une grammaire cinématographique : de monter à raconter.

En 1904-1905, avec l’allongement de la durée des films, les intrigues se développent et se complexifient. Les films deviennent plus attractifs pour le public. Les films deviennent plus attractifs pour le public. Le cinéma se dote progressivement d’un langage cinématographique et ses procédés narratifs s’enrichissent avec les avancées de l’Ecole de Brighton (Royaume-Uni de 1898 à 1908) puis D. W. Griffith aux États-Unis. Les réalisateurs commencent à faire des gros plans, à découper les séquences en plusieurs plans, découvrant et développant les principales techniques du montage narratif.

« Les cinéastes du cinéma primitif ont inventé la forme des films au fur et à mesure qu’ils tournaient leurs films, la résolution de problèmes techniques les a amenés à mettre au point des outils de récit. Ainsi, lorsque Laurie Dickson se filme en saluant en direction de l’objectif du Kinétographe, il découvre le plan qui est la base du nouveau langage.
Et il emprunte aux arts graphiques le cadrage. Mais si certains des outils formels sont parfois des adaptations de techniques exportées des autres arts, comme les fondus, ou le flash back, ou encore la musique qui soutient la chorégraphie des corps filmés et qui donne la tonalité dramatique d’une scène, d’autres s’imposent comme des points spécifiques au cinéma. L’arrêt de caméra, par exemple, qui est au cœur de la création de Georges Méliès. Ou la marche arrière qui révèle l’inimaginable d’un temps inversé. Et aussi les mouvements de caméra, comme le travelling, qui sont loin d’être des évidences… En moins d’une génération, c’est-à-dire en à peine dix-sept ans, le cinéma invente une grammaire qui lui est propre. Et lorsque Griffith découvre en 1908 le secret des actions parallèles, le cinéma possède désormais tout ce qui lui est nécessaire pour raconter toutes les histoires du monde. Les films de l’âge d’or du cinéma muet (1910-1930) sont construits de la même façon que les films sonores qui leur succèdent. Aujourd’hui, les cinéastes utilisent toujours les mêmes points de grammaire, et c’est leur habileté respective à jouer avec ces points, à les conjuguer pour former des figures de style, qui caractérise le talent de chacun d’eux. » Marie-France Briselance, Jean-Claude Morin, Grammaire du cinéma.

 

La musique d’accompagnement

Le rôle de la musique évolue également. Elle n’est plus un simple accompagnement, ou le liant entre différents éléments hétérogènes et épars d’un spectacle. Il se crée une symbiose entre musique et images. La musique est au service de la narration.

« Dans un manuel pour pianistes et organistes de cinéma publié en 1920 on lit que « La fonction première de la musique qui accompagne les films est de refléter le climat de la scène dans l’esprit de celui qui écoute, et d’éveiller plus facilement et plus intensément dans le spectateur les émotions changeantes de l’histoire en images. » Michel Chion, La musique au cinéma

L’industrialisation du cinéma va aussi avoir un impact sur le traitement sonore des films. Pour gagner de nouveaux publics, en particulier bourgeois, il faut leur proposer des films de qualité à même de concurrencer les spectacles donnés dans les plus grands théâtres. Les producteurs font alors appel aux grands noms de la scène théâtrale et font accompagner leurs films par de grands compositeurs. Sous l’impulsion des sociétaire de la Comédie Française, la Société de production les Films D’Art est fondée en 1908 par Paul Laffitte pour porter à l’écran des scènes historiques, mythologiques ou théâtrales filmées.
Le film change de statut et devient un art. L’Assassinat du duc de Guise,  projeté pour la première fois le 17 novembre 1908 marque selon Georges Sadoul « un tournant dans l’histoire du cinéma » (Histoire générale du cinéma, t. 2). Le film est écrit par l’académicien Henri Lavedan et réalisé par André Calmettes et Charles Le Bargy. Il reçoit un accueil enthousiaste du public et bénéfice pour la première fois pour un film d’un article du critique théâtral Adolphe Brisson dans Le Temps. La musique est spécialement composée pour le film par Camille Saint-Saëns.

https://www.youtube.com/watch?v=zqvrHv7sz8E

Gagnant ses lettres de noblesses et les éloges de la critique intellectuelle, le cinéma bénéficie d’un regard bienveillant de la part des artistes qui vont s’en emparer.
En tant qu’œuvre artistique, les réalisateurs vont ressentir le besoin de contrôler leur création dans son ensemble, y compris la musique. Or, les choix d’accompagnement dépendent encore des salles et pas des producteurs ou réalisateurs.

Afin de conserver la main sur ces choix musicaux, les producteurs vont proposer aux exploitants des manuels d’accompagnement pour les pianistes et organistes de cinéma, composés de partitions réparties par genre. Les salles se constituent des bibliothèques musicales et des catalogues de compositions pour le cinéma sont proposés par les éditeurs de musique à la fin des années 1910. Ces catalogues regroupent les morceaux par thème, tempo et ambiance. Par exemple la collection de partitions musicales Kinotecks est établie en 1919 et publiée par l’Allemand Giuseppe Becce. On peut y choisir les musiques selon les besoins narratifs du film (scènes comiques, dramatiques, d’amour, de poursuite, etc…). La Kinotecks deviendra très populaire.

L’un des inconvénients de ces catalogues est l’apparition de « modes » dans la musique d’accompagnement. Par exemple la surabondance d’extraits de Claude Debussy dans les années 20 pour accompagner des scènes romantique ou encore « la Marche nuptiale de Lohengrin » de Richard Wagner pour les scènes de noce.

« Depuis les balbutiements du cinéma, depuis les premières bandes accompagnées par un piano ferrailleur, qui jouait n’importe comment sur n’importe quoi jusqu’à l’apparition du film parlé, l’adaptation de la musique à l’image se perfectionna jusqu’à devenir un art véritable. Le commentaire musical se fait précis, suggestif, éloquent. On rechercha les bons auteurs et les pièces de qualité […] beaucoup de baisers à l’américaine furent accompagnés par la Mort d’Yseult, beaucoup de scènes de ménage par « l’Orage » de la Symphonie pastorale de Beethoven.» Guido Bagier, « Deux industries – un seul but », dans Machines parlantes et Radio, Phono-Ciné, n° 146.

Mais la réutilisation d’œuvres préexistantes nécessite souvent des adaptations pour coller avec la durée réduite des séquences. Aussi l’improvisation et surtout la composition de musiques pour le cinéma se développe. Dans les années 20, les compositeurs de musique de concert sont nombreux à écrire pour le cinéma, comme ils le font pour le ballet.

 

Le son synchronisé

Pour permettre cet accompagnement musical sans recours à un orchestre coûteux pour les petites salles, les producteurs vont privilégier les solutions techniques. Deux procédés techniques vont d’abord cohabiter : le son diffusé sur un support externe, avec les difficultés de synchronisation que l’on suppose, et le son sur pellicule, qui va progressivement s’imposer.

Dans la lignée des expériences d’Edison en 1894, les expérimentations pour parvenir à synchroniser image et son se poursuivent. Des dizaines d’expériences de synchronisation disque-film se succèdent au début du vingtième siècle : Electrograph, Phoneidograph, Picturephone, Phonoscope, Cine-phone (Grande-Bretagne)

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En France, de 1908 à 1917, les phonoscènes Gaumont sont projetées et diffusées grâce au Chronophone. C’est un procédé de synchronisation du cinématographe et du phonographe (cylindres puis disques) développé par Léon Gaumont à partir de 1902 et perfectionné jusqu’en 1910.

En 1908, aux Etats-Unis, la caméraphone est développée par E. E. Norton pour la Graphophone Company (qui deviendra Columbia Records). Le son était enregistré sur un disque, puis l’artiste était filmé en mimant les paroles devant la caméra.

En 1913, Edison développe le Kinetophone. Le procédé repose sur la visualisation individuelle d’un film sur un kinétoscope, associée à l’audition d’un cylindre de cire gravé, lu sur un phonographe.

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En 1905-6  le Vivaphone est inventé par Cecil Hepworth. Un catalogue de films pour Vivaphone est publié en 1909. Le brevet du Vivaphone est déposé le 26 avril 1910 (British Patent No. 10417). Il est commercialisé en 1924. Graveur de disques et caméra sont équipés chacun d’un moteur électrique synchrone qui tourne à une vitesse constante, assurant ainsi le synchronisme de l’image et du son. Même couple à la projection. Les films Don Juan en 1926, puis le Chanteur de jazz  en 1927, considéré comme le premier film parlant, ouvrent l’ère du cinéma sonore avec le Vitaphone. Le Chanteur de jazz (réalisé par Alan Crosland) ne comporte en réalité que 281 mots prononcés, l’essentiel du film faisant encore usage des dialogues écrits.

 

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Le second procédé de synchronisation son/image sera celui retenu par l’industrie cinématographique : le dispositif d’enregistrement photographique du son sur pellicule le long des photogrammes. Il présente l’avantage de réunir sur un même support l’image et le son, ce qui limite les risques de désynchronisation. Les brevets du procédé Movietone sont achetés par la Fox Film Corporation en juillet 1926. C’est en 1927 que la Fox utilise pour la première fois ce procédé dans le cadre d’une exploitation commerciale. Il s’agit du film L’Aurore de Fridrich Wilhelm Murnau. Ce chef-d’œuvre marque la fin de l’ère du cinéma des premiers temps.

 

Après 1914 : vers une industrialisation du cinéma

charlie_chaplinLa première guerre mondiale est un point de bascule pour l’économie du cinéma. Le cinéma européen qui dominait jusqu’ici le marché des films est supplanté par les débuts de l’industrie hollywoodienne. Max Linder cède la place à Charlie Chaplin. Le “cinéma muet” disparaîtra avec son premier film sonore (Les Temps modernes, 1936) et son premier film parlant (Le Dictateur, 1940). Le son au cinéma ne connaîtra plus que des évolutions qualitatives (le multicanal (1931), le dolby (1931), le dolby stéréo (1977), le numérique (1990)) et le dispositif de la salle de cinéma ne connaîtra plus de changement majeur.

L’ère du cinéma de masse commence.

 

 

Pour aller plus loin

Renaud CHAPLAIN Les cinémas dans la ville. La diffusion du spectacle cinématographique dans l’agglomération lyonnaise (1896 – 1945)

Le numéro 155 de la revue 1895 consacré à la musique au cinéma
Une histoire du cinéma sonore (eng)

La bande son dans ses aspects techniques
Définitions du son au cinéma

Histoire du cinéma avec extraits
Histoire de l’exploitation cinématographique
Petite histoire du cinéma forain
Histoire des salles de cinéma

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