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Penser (avec) le virus

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 09/05/2020 par Log

Si les mots qui reviennent souvent en ce temps de confinement sont plutôt de l'ordre de la mise entre parenthèses de la pensée : sidération, hébétude, état de choc, ... les penseurs sont à la fois sollicités par les média, et actifs pour faire entendre leur voix. C'est que l'apparition du coronavirus et le confinement qui s'en est suivi posent toutes les questions philosophiques et anthropologiques essentielles. De la finitude de l'homme à ses rapports avec la nature, du statut du soin à la vulnérabilité, de la notion de liberté au rôle de la politique, sans parler de notre rapport à la vieillesse et à la mort, au travail ou au temps ...

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Voici une sélection de ressources pouvant donner matière à réflexion et un focus sur deux sujets très souvent abordés,  l’homme et la nature, et la question de la liberté en ces temps de confinement.

Ressources :

A lire :

  • Sur le site de Télérama, sans abonnement, Penser au temps du confinement :
    Pascal et la misère du confiné, Rousseau et le bonheur du promeneur solitaire ou encore Thoreau et les trésors de la solitude.
  • Tracts de crise, sur le site de Gallimard : « Chaque jour, durant cette période de crise, « Tracts » publie, sous forme numérique, des textes brefs et inédits d’auteurs déjà publiés dans la collection ou se sentant proches de celle-ci. Ces textes sont proposés gratuitement en téléchargement aux lecteurs ». Avec des auteurs de tous les horizons, un grand choix de réflexions.

 

 

 

 

 

 

A voir ou écouter :

  • Sur France Culture, on peut suivre en podcast la série Philosophie de l’épidémie. Où l’on retrouve Frédéric Keck sur les enjeux anthropologiques de l’épidémie, mais aussi la viralité des idées avec Dan Sperber ou la Peste de Camus.
    Les philosophes face à la maladie, autre série proposée, permet de relire Montaigne ou Canguilhem sur la santé, Molière et son Malade imaginaire et Foucault et la surveillance. Les grands classiques appliqués !

 

Les Philistins frappés par la peste. Etienne Picart

  • Antivirus philosophiques : Joseph Cohen, un des organisateurs des Rencontres philosophiques de Monaco y reçoit dans des entretiens de 5 à 15 minutes des penseurs très actuels, tels Bernard Stiegler, Dominique Bourg, Emmanuele Coccia, Cynthia Fleury, Sandra Logier … Presque tous les enjeux de cette pandémie sont évoqués.

  • Philosopher en temps d’épidémie, chaîne YouTube (présentée par exemple par le quotidien Libération) :  le philosophe Jérôme Lèbre y invite des collègues des quatre coins du monde à livrer leurs réflexions sur cette étrange période.

Focus :

Parce qu’ils résonnent avec l’avant pandémie, deux sujets sont souvent mis en avant, notre rapport à la nature et l’atteinte aux libertés.

Une nature mise à mal :

Il est tentant de lier cette crise sanitaire à la crise environnementale qui occupait la une avant le virus. Ainsi, la pandémie est présentée comme une vengeance de la nature, ou à minima comme un sérieux avertissement.

La vengeance de la nature … :

Frédéric Keck, anthropologue sur le point de publier Les sentinelles des pandémies : chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine, s’est naturellement vu beaucoup sollicité. Dans l’article La vengeance du pangolin, conversation avec François Moutou et Frédéric Keck, il explique cette idée de vengeance :

« Il y a un discours scientifiquement très solide dans l’écologie des maladies infectieuses émergentes qui revient à dire que la nature se venge en nous envoyant de nouveaux virus. Celui qui est à l’origine de ce discours est un Américain d’origine française, René Dubos. La phrase que l’on cite toujours est plus exactement, « la nature contre-attaque ». Autrement dit, nous utilisons contre la nature des armes telles que les vaccins et les antiviraux et pour autant, à chaque fois qu’on invente une arme, la nature en crée une nouvelle. »

Il ne s’agit bien sûr pas d’envisager la nature comme une divinité vengeresse et intentionnelle, mais bien de montrer l’interdépendance entre l’action humaine et les écosystèmes.

A écouter : Il y a un décalage entre la petitesse du coronavirus et l’ampleur des phénomènes politiques qu’il cause, interview du même auteur dans la Midinale sur Regards.

 

 

Ou une sorte de continuum du vivant ?

Emanuele Coccia, auteur de La vie des plantes l’exprime de façon plus lyrique dans un article du Monde : La terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures

« A la différence de ce que nous voudrions imaginer, cette pandémie est la conséquence de nos péchés écologiques : ce n’est pas un fléau divin que la Terre nous envoie. Elle est juste la conséquence du fait que toute vie est exposée à la vie des autres, que tout corps héberge la vie des autres espèces, est susceptible d’être privé de la vie qui l’anime. » […]

« Personne, parmi les vivants, n’est chez soi : la vie qui est au fond de nous et qui nous anime est beaucoup plus ancienne que notre corps, et elle est aussi plus jeune, car elle continuera à vivre lorsque notre corps se décomposera. »[…]

« Et pourtant cet agrégat de matériel génétique en liberté a fait s’agenouiller la civilisation humaine techniquement la plus développée de l’histoire de la planète. Nous avons rêvé d’être les seuls responsables de la destruction. Nous faisons l’expérience que la Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures. »

Liberté(s) :

Déjà quelque peu mises à mal par les lois édictées à l’issue des attentats terroristes, de nombreuses libertés publiques et individuelles sont pour l’instant mises entre parenthèses, par nécessite sanitaire. Mais nécessité doit-elle faire loi ?

Des libertés confisquées … :

Le philosophe Giorgio Agamben s’en indigne dans l’article : « L’épidémie montre clairement que l’état d’exception est devenu la condition normale » (Le Monde 24/03/2020)

« La peur est une mauvaise conseillère et je ne crois pas que transformer le pays en un pays pestiféré, où chacun regarde l’autre comme une occasion de contagion, soit vraiment la bonne solution. La fausse logique est toujours la même : comme face au terrorisme on affirmait qu’il fallait supprimer la liberté pour la défendre, de même on nous dit qu’il faut suspendre la vie pour la protéger.»

Ou  provisoirement aménagées ?

Au contraire pour le philosophe slovène Slavoj Žižek, « dénoncer les mesures de confinement au nom de la liberté est une erreur » :

«Le défi qui se pose à l’Europe consiste à démontrer que ce que la Chine a fait peut l’être de façon plus transparente et démocratique. “La Chine, écrit le sociologue Benjamin Bratton, a mis en œuvre des mesures que l’Europe occidentale et les Etats-Unis ne toléreraient probablement pas, peut-être à leurs dépens. Pour le dire franchement, c’est une erreur que d’interpréter toutes les formes de détection et de modélisation comme de la surveillance et toute gouvernance active comme du contrôle social. Nous avons besoin d’un vocabulaire de l’intervention sociale différent et plus nuancé”. Tout dépend de ce« vocabulaire plus nuancé » : les mesures nécessitées par l’épidémie ne devraient pas être automatiquement ramenées à l’habituel paradigme de la surveillance et du contrôle tel qu’il a été popularisé par des penseurs comme Foucault» .
(Surveiller et punir ? Oh oui, s’il vous plaît ! L’Obs 18/03/2020) 

A écouter : Le temps du débat sur France Culture Coronavirus : jusqu’où sommes-nous prêts à limiter nos libertés ? Quatre intervenants ( William Dab, Guillaume Le Blanc, Olga Mamoudy et Antoine Flahaut débattent :

« A l’heure du renforcement d’une politique d’urgence sanitaire, les mesures contraignantes prises par les autorités publiques interrogent la capacité de ces dernières à arbitrer entre liberté et sécurité. Comment assurer les libertés fondamentales tout en protégeant la sécurité des populations ? »

 

Pour conclure, à la veille d’un déconfinement qui ne saurait être le monde d’avant, d’aucuns en profitent pour penser déjà le « monde d’après ». Dans Les entretiens confinés, « Camille Crosnier s’entretient à distance avec des personnalités pour nourrir notre réflexion et construire le fameux “monde d’après” , avec Philippe Descola, Pierre Charbonnier, Vinciane Despret, Etienne Klein, et de nombreux autres penseurs.

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