Esclavage : l’ “impossible” réparation

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 09/07/2016 par Admin linflux

A l'occasion du 10 mai 2015, journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage, la bibliothèque organise le 13 mai une conférence sur le thème de l'esclavage et des réparations dues aux victimes de la traite négrière.

"Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises"  François-Auguste Biard, 1849
"Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises" François-Auguste Biard, 1849

Esclavage : l’impossible réparation, conférence et débat à la bibliothèque de la Part Dieu

Sur les réparations

La question des réparations est en débat aujourd’hui en France. En effet depuis la loi Taubira de 2001 qui reconnait l’esclavage comme un crime contre l’humanité, mais dont la Commission des lois a retiré l’article 4 prévoyant la mise en place de réparations, des associations militent et interpellent le gouvernement pour revenir sur cette décision.
Pourtant, et malgré une promesse de Jean-Marc Ayrault en 2012, M. François Hollande a affirmé en 2013 que la réparation était “impossible”. Il répondait au CRAN qui venait de déposer une plainte contre l’État français et la Caisse des dépôts et consignations, concernant une demande de réparation pour Haïti.

Du 9 au 12 avril 2015, s’est tenu le Sommet international pour les réparations à New York, où le CRAN a pu rencontrer de nombreuses personnalités et commissions pour les réparations.
Au niveau international, la conférence de Durban en 2001 avait posé la question des réparations liées à la traite négrière et certains pays d’Afrique avaient demandé des réparations pour les dommages subis. En 2013, les membres de la CARICOM, la communauté des pays caribéens, ont lancé une campagne pour demander réparations aux anciens colonisateurs européens. Aujourd’hui, la question a peu avancé bien que le 10 décembre 2014, l’Assemblée Générale des Nations Unies ait lancé la Décennie Internationale pour les Personnes d’Ascendance Africaine (2015-2024) : Volume collectif sur les Traites négrières, Esclavages et Abolitions : perspectives plurielles.
Cela fera-t-il avancer la question des réparations ?

Pour comprendre cette revendication, il est très utile d’en connaître l’histoire, car la question n’est pas nouvelle ; elle se posait déjà à l’époque de l’esclavage et au moment des abolitions.

Ce petit ouvrage de Louis-Georges Tin présente les textes essentiels à connaître sur ce thème, de Condorcet à Malcom X, de Charles X à Aimé Césaire…

 

Celui-ci dresse une histoire des réparations et expose les enjeux majeurs de cette question.

Après avoir exhumé le Code noir en 1987, Louis Sala-Molins présente ici les textes de deux clercs oubliés de la fin du XVIIe siècle, défendant la libération de tous les esclaves, mais aussi leur dédommagement, et tous les deux enfermés à plusieurs reprises pour leurs positions. Cet ouvrage très intéressant nourrit le débat sur les réparations dues aux victimes et descendants de l’esclavage. Il montre que la demande de réparation justifiée par le droit mais dénoncée par ses détracteurs comme un anachronisme par rapport à la réalité de la période de l’esclavage, existait déjà à ce moment-là mais était réprimée et étouffée par les États. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Pour approfondir la réflexion sur la question de la réparation des crimes de l’histoire, voici quelques ouvrages intéressants :

Sur le Code noir et autres lois…

Le débat aussi a lieu concernant le Code noir rédigé en France en 1685. En effet, il pose toute la question de la légalité de l’esclavage, du rapport entre traite des noirs, pouvoir et justice, et soulève celle de l'”humanité des noirs”. Si tout le monde est d’accord pour dénoncer la monstruosité de ce code, certains veulent la relativiser en expliquant son adéquation avec le droit de l’époque, ou démontrer son aspect “positif”, tandis que d’autres continuent de dénoncer toute son inhumanité même au regard du droit…

Interrogation tout à la fois philosophique, théologique et juridique, cet ouvrage essentiel de Louis Sala-Molins raconte l’histoire du Code Noir de son édiction en 1685 à son abolition en 1848. Dans une première partie, il le remet en contexte, en analysant les conceptions que se faisaient les blancs philosophes et théologiens sur l’homme noir et en démontre les préjugés. Puis, il étudie article par article le texte du Code, donnant à voir la réalité de la traite et de la vie des esclaves et expose la monstruosité juridique du texte. Enfin, dans une dernière partie, il revient sur les positions des Lumières face à l’esclavage et sur la façon dont parfois ils s’en sont accommodés…

En réponse à l’ouvrage de Louis Sala-Molins qu’il juge trop « militant », Jean-François Niort, historien du droit, revient sur le Code Noir et reprend un certain nombre d’idées reçues sur le texte, sur sa rédaction, sur son contenu. Il insiste sur la conformité du Code avec le droit de l’époque, faisant une distinction entre personne et humanité, qui explique selon lui que le code puisse conjointement reconnaitre une humanité à l’esclave et le considérer comme un bien meuble. Enfin, il semble attribuer au Code un caractère protecteur pour l’esclave… Son ouvrage a suscité de vives réactions de certaines associations en Guadeloupe, entrainant un débat au sein des historiens, et une pétition de soutien à Jean-François Niort par le Conseil national des universités.

Au regard de toutes ces crispations et de l’actualité avec l’inauguration du mémorial ACTe de Pointe à Pitre, on mesure le travail de dialogue, de mémoire et de construction d’un savoir commun qu’il reste à accomplir.

A ce titre, une base de données regroupant de nombreux textes juridiques relatifs à la traite négrière a été mise en place : Textes juridiques internationaux, nationaux et locaux concernant les traites et les esclavages en Europe, en Afrique et dans les Amériques du XVe au XXe siècle

Parutions récentes et état de la recherche

Les éditions Karthala ont lancé une collection intitulée “Esclavages”, née de leur association avec le Centre International de Recherches sur les Esclavages (CIRESC) du CNRS. Ici, deux de leurs publications sur ce thème.
La première est composée de 23 essais sur la signification de l’esclavage depuis l’Antiquité jusqu’à la période contemporaine aux Amériques, en Afrique, et dans la Méditerranée et le monde musulman. Des contributions à la croisée d’éléments politiques (tel le débat sur la colonisation et la décolonisation) et de demandes sociales autour des questions coloniales et de la mémoire de l’esclavage.

Une histoire de la traite négrière et de la traversée de l’Atlantique des 14 millions d’africains qui ont constitués entre le XVe et le XIXe siècle la plus grande main d’œuvre gratuite de masse du nouveau monde. Marcus Rediker, spécialiste de l’histoire maritime atlantique propose ici une démonstration brillante du terrible quotidien des esclaves à bord des monstrueux négriers, ainsi que celui des marins, entre rapports hiérarchiques difficiles, peur face aux prisonniers rebelles et violence extrême.Cette sombre période de l’histoire est relatée avec une grande lucidité grâce à un grand nombre de sources, archives, témoignages… et illustré par diverses cartes et gravures.

Cet ouvrage s’applique à remettre en cause la perspective dominante de l’historiographie axée sur le commerce triangulaire entre les XVIIe et XIXe siècles, en élargissant le point de vue géographique et chronologique. Il met en avant les différents maillons de l’esclavage et de la traite, notamment l’esclavage africain et le fait que de nombreux esclaves furent déportés “en droiture” soit directement de l’Afrique à l’Amérique par l’Atlantique sud. Plus que l’histoire de l’esclavage, c’est celle des esclaves qu’il dresse, à partir notamment des récits de vie et s’intéresse à leur influence sur l’évolution des pays africains, des sociétés métissées en Amérique et sur l’invention de nouvelles formes de résistance.

Deux nouvelles approches :

  • l’autre où la connaissance et la mémoire de l’esclavage se construisent grâce à l’archéologie : Archéologie de l’esclavage colonial, sous la direction de André Delpuech et Jean-Paul Jacob

Textes clés et autres regards…

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