Sida : du mal aux mots

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - par alcollomb

Correspondances, journaux intimes, autobiographies sont autant d’écrits qui dès le milieu des années 1980 témoignent de l’ampleur de l’épidémie du sida.

Source : pixabay,
Source : pixabay, représentation du virus du sida

Face à une réalité complexe, le roman reflète le malaise qui entoure ce «mal », sorte d’anathème céleste selon une vision traditionnelle conservatrice qui réprouve toute « déviance ». Les auteur-es livrent une vision intime qui sert de catharsis, d’exutoire, comme une dernière tentative pour décrire la maladie, ses symptômes et revenir sur le processus de médicalisation.

Mais, pour beaucoup, c’est aussi un retour sur soi où sont autant abordés les questions de la mort, de l’amour parfois, de la fraternité et de l’angoisse. Conrad Detrez, Valérie Luiria, Guy Hocquenghem, Alan Barnett, David Feinberg, Hervé Guibert, Cyrill Collard font partie de ces premiers auteurs qui ont eu le courage d’écrire leur maladie. La liste serait longue pour leur rendre hommage et nous nous contenterons des publications incontournables ou des auteur.es qui nous ont particulièrement touchées :

 

  L’immeuble Christodora, Tim Murphy, Plon, 2016

Le premier roman de Tim Murphy raconte l’histoire d’activistes ayant lutté contre le sida aux Etats-Unis et tout particulièrement à New-York. Richement documenté, ce roman polyphonique qui s’écoule sur plusieurs décennies et qui a pour cadre une élégante tour de 16 étages est un tour de force du point de vue de la narration. Le roman dénoue peu à peu une série d’événements totalement inattendus mais tous liés entre eux et restitue tout un contexte culturel et social : apparaît alors en filigrane une période  marquée une véritable déstabilisation sexuelle et de stigmatisation des malades, une époque de combats et de luttes pour les droits fondamentaux.

 

N’essuie jamais de larmes sans gants, Jonas Gardell, Gaïa éditions, 2016

En Suède au début des années 80. Le jeune Rasmus débarque à Stockholm, loin de sa province natale, en espérant pouvoir vivre pleinement son homosexualité. Il rencontre Benjamin, témoin de Jéhovah, qui finira par surmonter ses croyances religieuses pour assumer son amour pour Rasmus. Autour d’eux gravite tout un microcosme gay, où les deux jeunes hommes trouveront une seconde famille. Un bonheur qui va être ébranlé par l’apparition du sida.

A noter que le roman a fait l’objet d’une adaptation en mini-série télé, sous le titre Snö.

 

Positive, Paige Rawl, Hachette Romans, 2016

Paige Rawl avait tout pour réussir jusqu’au jour où elle révèle sa séropositive à son amie. Son secret dévoilé, Paige Rawl fait face à l’hostilité de ses camarades. L’auteure livre une description de ces années de harcèlement et de lutte qui souligne combien la maladie demeure incomprise et honnie. Cette autobiographie expose la maladie sans détours tout en introduisant des explications sur les différences entre VIH et sida.

 

A moi seul bien des personnages, John Irving, Editions du Seuil, 2013

Du milieu du XXe siècle jusqu’à nos jours, John Irving nous invite à suivre les aventures amoureuses de Billy, écrivain aux amours volcaniques, que ce soit aussi bien avec des hommes, des femmes ou des transsexuels. Ce roman touffu et baroque, qui démarre comme un réjouissant plaidoyer pour la liberté sexuelle, dans une Amérique encore sévèrement corsetée, va prendre un ton autrement plus grave et tragique avec l’arrivée du sida, qui fera des ravages dans l’entourage du narrateur. Comme le prix à payer pour avoir osé vivre pleinement sa sexualité.

 

 Deux romans de l’incontournable Edmund White :

 Jack Holmes et son ami, Edmund White, 2013

« J’aime explorer les thèmes de la vie et du roman homos qui ne sont pas encore épuisés. On n’a jamais vraiment parlé de l‘amitié entre un homo et un hétéro, ce qui est très courant dans la vie mais que je n’ai jamais lu dans un roman. Je voulais aussi montrer l’évolution de la vie gay à New York sur trois décennies : la libération des gays dans les années 60, le libertinage dans les années 70, puis le sida dans les années 80 ». (entretien avec Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles, octobre 2013)

 

L’homme marié, Edmund White,  2002

C’est l’histoire d’Austin, un journaliste américain installé à Paris et séropositif, qui reste fidèle en amitié à son ancien amant Peter, atteint du sida, et Julien qui tombe malade. Grand admirateur de Nabokov, Edmund White s’impose ici comme un grand romancier de la culture gay et radiographie un triangle amoureux passionné. Devenu un classique.

 

 

 

Le mausolée des amants, Hervé Guibert, Gallimard, 2001

Dix ans après sa mort, paraît cet ultime volume du journal intime de l’écrivain. Ces notes sont celles d’un homme “dévoré” par le sida, et qui n’existe plus qu’en résonance avec ce mal. Hervé Guibert dissèque sa vie, et cherche, dans une démarche d’entomologiste acharné, à capter chez chaque être, sur chaque chose les indices de vieillissement, de salissures, de perversité.

« Je pense toujours à la mort, mais j’ai peur de la destruction de mon corps. Sa seule imagination possible, maintenant (outre la syncope, l’arrêt du cœur), réside dans l’image d’une étreinte avec T., où je ne l’emporterais pas, mais où, en le serrant dans mes bras, je tirerais de sa cachette un revolver de derrière mon lit, et je me ferais éclater la tête. Je le prierais alors de ne pas s’effrayer des rougeoyances giclantes, et de voir ça comme une danse, une valse, le gigotement peut-être obscène que la mort imprimera à mon corps. »

Hervé Guibert est mort du sida le 27 décembre 1991. Il avait tout juste 36 ans.

 

 

A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Hervé Guibert, Gallimard, 1990

Ce roman, qui allait populariser Hervé Guibert auprès du grand-public, se présente comme une auto-fiction où l’auteur relate la lutte désespérée que lui et son entourage mènent contre le sida ; maladie encore méconnue à l’époque et qui laissait peu d’espoir à ceux qui en étaient atteint. On retrouvera ici, sous les traits de certains protagonistes, plusieurs personnalités de l’époque, comme Michel Foucault, ami proche de Hervé Guibert et séropositif comme lui, ou encore Isabelle Adjani.

Récompensé par le Prix Colette, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie est une lecture à compléter avec deux autres ouvrages d’Hervé Guibert : Le Protocole compassionnel et L’Homme au chapeau rouge.

 

 Eve, Guy Hocquenghem, Albin Michel, 1987

  Philosophe, poète, romancier et journaliste engagé, Guy Hocquenghem découvre sa séropositivité en 1986 et avec elle l’urgence de livrer de derniers témoignages. Il écrit ainsi Eve, Voyages et aventures extraordinaires du frère Angelo et entame son autobiographie L’amphithéâtre des morts, qu’il n’aura le temps d’achever, emporté en 1988 par la maladie. Eve est à la fois un roman et un témoignage qui décrit la maladie, sans jamais la nommer, évoque la déchéance physique et questionne la vie jusqu’à une description précise de la prise en charge médical et de l’univers hospitalier.

 

 

 

Bande dessinée

 

Pilules bleues, Frédérik Peeters, Atrabile, 2001

L’auteur raconte sa relation amoureuse avec une de ses anciennes amies du lycée devenue séropositive. Il décrit notamment la manière dont le couple gère la maladie, et fait part de ses doutes et questionnements : la compassion, la pitié, la peur de la mort, la paternité sont autant de questionnements qui jalonnent son récit largement autobiographique. Avec cette histoire simple et universelle, qui jamais ne tombe dans le pathos voire le sensationnalisme, Frédérik Peeters dévoile en même temps une œuvre graphique pleine de fraîcheur et d’humour.

Une bande dessinée qui continue à marquer les esprits et à (re)découvrir.

 

Pour aller plus loin

 

 

 

 

Cet article fait partie du dossier Urgence : sida.

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