Meshuggah “Nothing” (2002)

- temps de lecture approximatif de 3 minutes 3 min - Modifié le 18/07/2023 par Julien R

Le 27 juin dernier, les suédois de Meshuggah étaient de passage au Transbordeur pour venir défendre leur dernier album en date, "Immutable", sorti l’année dernière. Avec plus de 35 ans de carrière, le groupe de metal expérimental est toujours aussi populaire puisque cette date affichait complet. Il faut dire que les suédois ont une influence certaine qui continue de s’étendre même auprès des groupes plus récents. Pourtant, leur style extrême et alambiqué a de quoi déstabiliser les non-connaisseurs. Retour sur un des albums phares des suédois, "Nothing", publié en 2002, qui montre que derrière une apparente brutalité se cache une grande finesse d’écriture qui en a inspiré beaucoup.

Remettons un peu de contexte : à leur formation, Meshuggah s’apparente davantage à un groupe de thrash metal très influencé par Metallica et Anthrax. C’est ce que montre notamment leur premier album, Contradictions Collapse, sorti en 1991. Le groupe commence à affirmer une personnalité plus marquée, plus extrême et plus technique, avec Destroy Erase Improve en 1995, suivi de Chaosphere en 1998.

Il faut attendre 2002 pour que Meshuggah définisse une identité solide. Si le groupe évolue constamment d’album en album, Nothing pose les fondations d’un style reconnaissable entre mille et souvent imité sans être égalé.

Tout d’abord, le groupe conserve une marque de fabrique : l’apparente déstructuration des compositions. Sur un motif de batterie régulier viennent se poser des riffs saccadés, ce qui donne une impression que les musiciens jouent des morceaux totalement différents en même temps. Mais c’est justement ce qui fait le sel du groupe : derrière un sentiment d’instabilité se cache une finesse de composition et une précision telles que les suédois savent parfaitement les reproduire sur scène.

À cela s’ajoute une nouveauté : l’usage de guitares à huit cordes. Jusque-là, Fredrik Thordendal et Mårten Hagström employaient des guitares à sept cordes, au son déjà très lourd grâce à une corde grave supplémentaire. Avec l’ajout d’une deuxième corde grave et de fait l’abaissement de l’accordage des guitares, Meshuggah creuse davantage la lourdeur de leur son.

Les suédois font également la part belle aux tempos modérés ou lents tout au long de cet album. Tout cela fait de Nothing une expérience étrangement hypnotique : la complexité des compositions combinée à la lourdeur du son fait que l’auditeur peut se laisser porter dans une sorte d’expérience aussi écrasante que planante.

À de rares exceptions (les solos et interludes de Closed Eye Visuals, Straws Pulled At Random), la mélodie n’est pas particulièrement mise en avant dans cet album. L’essentiel est de poser des rythmiques syncopées et dévastatrices. Les quelques solos de guitares sont souvent atonaux et chaotiques. Même le chant de Jens Kidman, bien plus agressif que dans les albums précédents, joue avec le découpage des mots et des phrases de manière saccadée. Enfin, les paroles, principalement écrites par le batteur Tomas Haake, vont dans le sens d’un délire à la fois violent et contemplatif.

L’ensemble de l’album est plutôt homogène et c’est probablement un de ces défauts : difficile de distinguer des morceaux parmi la masse tant l’expérience prend son sens dans son intégralité. On pourrait cependant relever Rational Gaze qui a bénéficié de plusieurs clips, Straws Pulled at Random qui est encore souvent joué en concert ou encore l’atmosphérique Spasm porté par la voix parlée de Tomas Haake.

Nothing est une étape-clé dans le parcours musical de Meshuggah. Pour la petite histoire, l’album a été précipité sur plusieurs points, notamment vis-à-vis du mixage et du mastering qui ont dû être effectués en trois jours. Preuve de l’importance de l’opus dans leur discographie, les membres ont décidé en 2006 de le remasteriser et de partiellement le réenregistrer. De plus, à partir de Nothing, les suédois ne vont cesser d’expérimenter et de complexifier leur musique. obZen, sorti en 2009, en est un exemple saisissant par ses motifs tortueux et ses prouesses techniques.

Mais Meshuggah ont également contribué à faire émerger tout un vivier de groupes tels que Periphery, Tesseract, Animals as Leaders ou encore Vildhjarta. Ces derniers revendiquent largement l’influence que les suédois ont pu avoir sur eux, que ce soit à travers la complexité rythmique de leur musique, leurs habitudes de production ou encore l’emploi de guitare à sept ou huit cordes. Meshuggah ont ainsi laissé une réelle empreinte dans le monde du metal progressif et expérimental.

Voir dans le catalogue.

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