OVPP : l’affaire du chœur de Bach
Publié le 24/04/2014 à 23:00 - 22 min - Modifié le 17/11/2016 par Département Musique
One voice per part, dit-on en anglais... une voix par partie. Les « chœurs » de la musique de Bach, et plus généralement de la musique baroque allemande n'étaient-ils constitués que de la réunion des solistes qui chantaient les airs et les récitatifs ? Il n'y aurait donc pas eu de chœur à proprement parler mais juste 1 soprano, 1 alto, 1 ténor et 1 basse qui chantaient ensemble ! Un scandale, quand on pense que choristes et chefs de chœurs ont été les premiers artisans du « retour à Bach » depuis près de deux siècles...
La théorie est encore passionnément controversée, mais elle donne lieu à de plus en plus de concerts et d’enregistrements remarquables… on peut en remercier celui qui l’a énoncée le premier, Joshua Rifkin qui a fêté ses 70 ans ce 22 avril. Mais auparavant…
1- Essayons de comprendre la thèse de l’OVPP ses tenants et aboutissants
2- Passionnons-nous pour l’histoire de cette querelle intellectuelle et musicale
3- Découvrons quelques enregistrements typiques
4- Faisons connaissance avec le personnage étonnant par qui c’est arrivé…
1- Essayons de comprendre la thèse de l’OVPP ses tenants et aboutissants
Il est difficile de trouver en français une explication favorable ou neutre de l’OVPP. L’article de Wikipédia est bien court ! L’article de Muse baroque, Bach as-tu du chœur ?, plus détaillé, fait preuve d’une certaine mauvaise foi anti-OVPP et n‘a pas toujours consulté les sources qu’il mentionne. Même l’exposé de Gilles Cantagrel dans l’indispensable ouvrage de référence Les cantates de Bach (pages 81-83) présente d’abord la thèse de l’OVPP, ensuite sa critique, ce qui donne l’impression que la critique l’emporte, d’autant que la longueur du résumé ne peut pas rendre justice à l’OVPP, qui n’est pas si simple.
Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 140 (choeur initial) / La Petite Bande – Sigiswald Kuijken
On reprendra donc les arguments des uns et des autres dans une perspective plus favorable à la thèse d’une voix par partie dans les chœurs. Les arguments reposent globalement sur les mêmes sources :
l’Entwurff
Entwurff en allemand signifie esquisse, projet : en 1730, Bach, particulièrement énervé par ses difficultés quotidiennes auxquelles s’ajoute une querelle avec l’organiste de ses « patrons » envoie aux élus municipaux de Leipzig, un mémoire pour demander davantage de moyens, qu’il intitule Kurtzer, iedoch höchstnöthiger Entwurff einer wohlbestallten Kirchen Music (…) qu’on peut traduire par Esquisse brève mais extrêmement nécessaire d’une musique d’église bien ordonnée…
les partitions manuscrites de l’époque
Celles de cantates, par exemple, ont été partagées entre Carl Philip Emmanuel (qui les a toutes conservées) et Wilhelm Friedmann qui en a beaucoup perdues et vendues. Il n’en reste pas moins qu’elles constituent un corpus important se partageant entre partitions autographes qui donnent toutes les parties et ensembles de copies pour l’exécution, nous offrant la partition séparée de chaque partie (vocale ou instrumentale). Celles-ci donnent du grain à moudre aux polémistes sur le nombre de chanteurs !
des images de concerts ou de répétition en Allemagne à la fin de l’époque baroque…
Elles sont souvent utilisées comme documents secondaires à l’appui des autres sources…
le contexte musical et historique de l’époque, voire le contexte politico-financier de la Ville de Leipzig fournit quantité d’arguments et modifie le mode de lecture des documents…
L’Entwurff est au cœur de la querelle.
Bach y demande (alinéa 8) : « chaque chœur musical doit avoir au moins trois sopranos, trois altos, trois ténors et autant de basses, de sorte que si une personne tombe malade (ce qui arrive souvent […]) au moins un motet à deux chœurs puisse être chanté. » Bach ajoute même entre parenthèses que ce serait mieux s’il y avait 4 personnes par partie.
- Entwurff source : Aski.org
Après une lecture rapide de ce texte, l’affaire est jouée : il faut 3 ou 4 chanteurs par partie dans les chœurs de Bach… Mais si l’on est attentif à la seconde partie de la phrase (on veut pouvoir chanter un motet à deux chœurs avec 2 chanteurs en tout) et si l’on fait une lecture qui tienne compte du contexte de ce mémorandum, c’est-à-dire une lecture attentive et historique (pas une lecture particulière, comme la nomment les adversaires de l’OVPP), il semble bien que cet alinéa 8 de l’Entwurff présuppose une voix par partie.
Bach était le Cantor de Saint-Thomas, c’est-à-dire le maître de musique des élèves de la Thomasschule (une sorte de collège avec horaires aménagés pour la musique, dirait-on en faisant un gros anachronisme), à ce titre, il devait la musique dans les 4 églises de Leipzig (en dehors de l’université), et non dans la seule église Saint Thomas. La musique était surtout développée dans les 2 principales, Saint Thomas et Saint Nicolas, où les « cantates » (Bach n’employait pas ce terme) étaient données en alternance : la cantate jouée dans l’une le dimanche matin l’était dans l’autre pour les vêpres, en alternance d’une semaine sur l’autre. Mais dans l’autre église, un chœur intervenait tout de même pour chanter une pièce plus simple, dite « motet ». (Attention, de nos jours, la distinction entre cantate et motet n’est plus la même, la cantate comporte des parties musicales indépendantes de la voix, alors que dans le motet, les instruments se contentent de doubler les voix). Les élèves de Bach les moins doués formaient également des chœurs pour les deux autres églises, mais il est probable que lorsqu’il emploie l’expression « chœur musical » (musicalischen Chor), Bach pense aux chœurs qui œuvrent à Saint-Thomas et Saint Nicolas seulement. Quoi qu’il en soit ses demandes portent bien sur l’ensemble des moyens qu’il doit utiliser pour sa charge et non sur les besoins d’une seule église.
D’autres passages de ce texte prêtent à controverse : sans les étudier tous, citons le début du texte :
« Une musique d’église bien ordonnée comprend des chanteurs et des instrumentistes.
Dans cette ville, les chanteurs proviennent de l’école de Saint-Thomas et sont divisés en 4 catégories : aigus, altos, ténors et basses.
Pour que les chœurs de musique d’église soient bien constitués, il faut encore distinguer 2 catégories de chanteurs, les concertistes et les ripiénistes.
Les concertistes sont d’ordinaire 4 et même 5, 6 7 et jusqu’à 8 si l’on veut jouer de la musique ainsi per choros. [les 2 expressions en italique sont telles quelles dans le texte original]
Les ripiénistes doivent aussi être au moins huit, soit deux par voix.
[ensuite Bach énumère les besoins en instrumentistes.] »
Là encore l’affaire est vite réglée si l’on n’est pas trop attentif : 2 concertistes + 2 ripiénistes = 4 par tessiture… Mais l’alinéa sur les concertistes montre que ceux-ci sont importants pour les chœurs, il en faut 8 pour faire de la musique per choros, soit avec plusieurs chœurs, ce qui revient à insister sur le rôle des concertistes dans les chœurs. Il demande 2 ripiénistes par voix, ce qui pourrait laisser entendre que pour un seul chœur on a besoin d’un soliste et de 2 ripiénistes, soit 3 chanteurs par partie, effectif utilisé souvent par Herreweghe. Mais les ripiénistes ne sont pas pour Bach les « tuttistes » ou les « choristes », ce sont des renforts qui interviennent seulement à certains moments. 150 ensembles de partitions originales pour l’exécution ont été conservées parmi les œuvres de JS Bach ; sur ces 150 ensembles, seuls 9 (8 cantates et la Passion selon saint Jean) comportent des partitions pour ripiénistes, et ceux-ci ne chantent pas dans tous les chœurs (sauf dans la Passion et les cantates BWV 29 et 63), ils ont un rôle subordonné à celui des solistes (notamment dans les chœurs fugués) et sont même indiqués comme optionnels dans la BWV 71. Andrew Parrott signale la présence de ripiénistes dans 4 autres cantates et dans la messe en la BWV 234, mais sans qu’on en ait les partitions. Dans tous ces cas, Bach utilise les ripiénistes pour un effet particulier et dans des circonstances où il peut avoir davantage de moyens qu’à l’ordinaire (Noël, Trinité, inaugurations ou autres circonstances particulières).
L’examen de ce paragraphe est lié à la querelle sur le nombre de partitions. Les tenants de l’OVPP postulent que chaque musicien ou chanteur lisait sur la sienne et que les partitions n’étaient pas partagées. Il semble bien que ce soit une habitude de l’époque, au moins en Allemagne, et que dans les rares cas où, pour une raison ou une autre (problème de copie, par exemple), 2 ou plusieurs chanteurs ou musiciens devaient lire sur la même partition, ce soit mentionné. Donc, lorsqu’on n’a trouvé qu’une partition pour une partie dans un ensemble bien conservé, cela signifie qu’il n’y a un chanteur, et c’est le cas dans la quasi-totalité des œuvres vocales de Bach dont on a conservé l’ensemble des partitions d’exécution (pour l’essentiel, celles qui avaient été dévolues à Carl Philip Emmanuel à la mort de son père). Les images de musiciens de l’époque jouent un grand rôle dans cette dispute, mais on a même argumenté sur l’éclairage des églises de l’époque… les tenants de l’OVPP ajoutent que si plusieurs chanteurs devaient utiliser la partition d’un soliste, leurs entrées et sorties seraient bien indiquées sur cette partition, ce qui n’est pas le cas. Il semblerait aussi que les ripiénistes aient été généralement disposés en groupe distinct des solistes. Ces arguments ne convainquent bien sûr pas les anti-OVPP.
Les arguments purement musicaux sont beaucoup plus difficilement objectivables : ainsi Sigiswald Kuijken explique-t-il que les arguments musicologiques ont corroboré le malaise qu’il éprouvait en écoutant l’attaque d’une fugue chorale par 4 ou 5 chanteurs à l’unisson.
Il est impossible d’aller plus loin dans la compréhension des arguments des uns et des autres avec des documents en français.
- Parrott The Essential Bach Choir
En anglais mais facilement accessible, on trouvera le livre d’Andrew Parrott The essential Bach choir , qui date de 2000 ; contrairement à ce qu’indique le site Muse baroque, ce n’est pas un recueil d’articles de Rifkin, mais on y trouve en annexe le texte que Joshua Rifkin avait prévu de prononcer à la conférence qui a inauguré la querelle de l’OVPP. Le livre de Rifkin Bach’s Choral Ideal est plus difficile d’accès : il doit être commandé directement à l’éditeur de Dortmund (formulaire en allemand) et nous ne l’avons pas consulté. Le site indispensable Bach’s Cantatas présente plusieurs points de vue dans ses rubriques Articles et General Topics (rubrique Choirs, discussion sur l’OVPP en 21 (!) parties). Il est toutefois largement dominé par les articles et interventions de Thomas Braatz, vigoureux opposant à la théorie de Joshua Rifkin.
2- Passionnons-nous pour l’histoire de cette querelle intellectuelle et musicale
Es Erhub sich ein Streit BWV 19 / Montreal Baroque – Eric Milnes
C’est un vendredi 13 que l’affaire a éclaté, le 13 novembre 1981, à Boston (Massachussetts, Etats-Unis). Le congrès annuel de l’American Musicological Society proposait une après-midi consacrée à Jean-Sébastien Bach. Le dernier intervenant était Joshua Rifkin et son intervention s’intitulait sobrement Bach’s choir. Il n’a pas pu la terminer : le tollé qu’il a déclenché parmi ses honorables confrères a été trop grand.
La vision de la musique vocale de Jean-Sébastien Bach avait déjà bien évolué depuis le début du siècle ; on était loin des gigantesques ensembles vocaux qui interprétaient Bach il y a 100 ans. Selon la « norme » que Joshua Rifkin critiquait, il y avait 3 chanteurs par partie – un soliste auquel se joignaient pour les chœurs 2 ripiénistes. Aller en dessous de cette norme paraissait impensable. Autre facteur de scandale : Rifkin ne sortait pas de document inédit de sa manche : il se référait à ceux que tout le monde avait déjà pu lire et il les lisait autrement…
La réaction immédiate fut le tohu-bohu ; puis quelques réponses plus élaborées furent faites. Robert L. Marshall se chargea de représenter la conception dominante en polémiquant contre Joshua Rifkin dans les revues au début des années 80. A cette époque, Rifkin convainquit peu de monde, la majorité des interprètes de Bach ne se sont pas intéressés à la question, pensant sans aller y regarder de près que la pratique dominante de chœurs à 3 ou 4 (voire jusqu’à 6 chez Gardiner) chanteurs par partie était l’aboutissement de la recherche d’interprétations historiquement fondées (HIP) ou, comme le dit Sigiswald Kuijken : « Quand j’ai entendu parler pour la première fois des recherches de Rifkin, je me suis dit : voilà encore un de ces Américains agressifs qui arrive avec sa dernière nouveauté ».
Notre pauvre Joshua n’était pas tout-à-fait comme Job sur son tas de fumier : il avait convaincu un tout petit nombre de musiciens et de musicologues, parmi lesquels le tenace Andrew Parrott, chef du Taverner Consort ; sa maison de disques allait accepter de publier quelques cantates qu’il enregistrerait selon sa conviction, mais pas forcément avec des chanteurs de premier plan et sans le laisser aller jusqu’au bout de la série ; les revues le laissaient d’autant plus volontiers s’exprimer que la polémique qui suivait attirait du lectorat. Pour la plupart de ses confrères, c’était un marginal un peu obsessionnel qui ne valait pas qu’on s’en préoccupe. Les plus vindicatifs d’entre eux s’autorisaient une petite séance de Rifkin-bashing de temps en temps pour se détendre. Mais le bougre répondait, et s’il ne le faisait pas, ce diable d’Andrew Parrott, pugnace comme un bouledogue, s’en chargeait.
- Andrew Parrott Source : Bach Cantatas Website
Il arrivait que des musiciens ou musicologues aient la faiblesse de leur prêter attention. Bref, le cadavre mort-né de l’OVPP bougeait encore.
L’approche du 250ème anniversaire de la mort de Bach sonna l’heure du réveil. La plupart des « baroqueux » voulaient marquer cet évènement et pour cela, ils ont repris leurs travaux préliminaires pour apporter leur version ou une nouvelle version de leur interprétation de Bach. La période est marquée par l’intervention d’un grand musicien, élève de Leonhardt, auteur d’une intégrale des cantates, Ton Koopman. Koopman n’est pas un musicologue universitaire, mais un grand interprète, et il déteste imaginer que ce qu’il fait n’est pas conforme à ce que pouvait offrir Bach. Sa réaction est opposée à celle de Philippe Herreweghe qui, sachant qu’il n’a pas les compétences musicologiques de Parrott ou Rifkin, s’appuie simplement sur le fait que c’est avec un petit chœur à 3 ou 4 voix par partie qu’il préfère jouer cette musique. Le Néerlandais, lui, a tendance à remplacer les arguments subtils de Rifkin et Parrott par de plus faciles à contrer (voir son article de 1999). Il s’énerve vite, taxe des tenants de l’OVPP de mauvaise foi : « Certains continuent à clamer qu’on devrait utiliser des solistes et pas de chœur pour Bach : c’est peut-être juste parce que c’est bien moins cher de voyager avec juste 4 solistes et sans chœur professionnel qu’avec les deux ! » Ses propos à la limite de l’insulte ont plutôt desservi la cause qu’il souhaitait défendre. Cette seconde phase de la bataille fit prendre la thèse de Rifkin et Parrott au sérieux par de nombreux musiciens – dont Sigiswald Kuijken – et c’est de là que viennent les enregistrements de Bach à une voix par partie ou avec ce parti-pris qui se sont multipliés au XXIème siècle.
Depuis ce temps, la polémique continue, la musique aussi heureusement…
3- découvrons quelques enregistrements de Bach à une voix par partie
… en écoutant d’abord le choeur initial de la cantate BWV 110 interprété par le Ricercar consort sous la direction de Philippe Pierlot. Vous pouvez aussi le voir, il n’y a que 4 chanteurs
https://www.youtube.com/watch?v=nVmOww70nQ8
La question n’a pas encore été posée : finalement qu’est-ce qui distingue le son à une voix par partie du son d’un chœur de toute petite taille ?
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ce n’est pas tant la balance entre la puissance des instruments et celle des voix, d’abord parce que l’oreille humaine n’entend pas de manière proportionnelle au volume sonore émis (un doublement du volume sonore correspond approximativement à une augmentation de 3 décibels dans notre perception, le chœur à 4 voix nous donne donc à peu près 6 décibels de plus qu’une voix par partie), ensuite parce qu’on ne peut imaginer une voix par partie avec un grand orchestre, la balance est donc facilement rétablie…
Ce qui change le plus, c’est donc la texture du chant. Lorsqu’on cherche à écouter très attentivement pour suivre le lien entre la musique et le sens des paroles, l’OVPP rend la diction plus claire. Les grands chœurs fugués sont plus faciles à suivre. Lorsque Bach recherche un effet particulier en jouant sur le nombre de voix, on l’entend mieux lorsqu’il tranche avec une seule voix que lorsqu’il ne s’agit que du doublement de voix déjà multiples.
Est-ce si important ?
La structure des cantates est le plus souvent celle-ci :
un chœur initial, souvent très complexe et fugué
une série d’arias et de récitatifs chantés par des solistes
un choral final chanté le plus souvent par toutes les voix à l’unisson
Bien sûr, il y a des variantes et parfois plusieurs chœurs complexes, mais aussi parfois pas de chœur du tout… L’OVPP ne fait entendre toute sa différence que dans les chœurs complexes ; lorsque toutes les voix chantent à l’unisson avec un accompagnement colla parte (qui double les voix), difficile de faire la différence entre une voix par partie ou un petit pupitre. Et dans les parties solistes la question ne se pose même pas.
- Messe en si Rifkin
Dans une messe, le rapport entre chœurs et soli est différent et l’on comprend que la querelle se soit focalisée sur la Messe en si (BWV 232). Les arguments tirés de l’Entwurf y sont moins forts que pour les cantates. Il en va de même en ce qui concerne les Passions, puisque c’était la seule musique jouée (et dans une seule église) l’après-midi du vendredi saint. Les arguments musicaux et les goûts personnels y ont donc davantage de poids.
Bref, non seulement on a des enregistrements pour tous les goûts, mais ceux-ci peuvent se rejoindre sur une grande partie des œuvres vocales… On peut reconnaître un travail exceptionnel sans avoir la même pratique de travail choral. C’est ainsi que René Jacobs a invité le Cantus Cölln dans son domaine privé à la Cité de la Musique
pour jouer une messe brève et des cantates à une voix par partie.
La Médiathèque de la Cité de la Musique permet aux abonnés de la Bibliothèque municipale de Lyon (ou d’autres bibliothèques) de comparer deux belles inteprétations du choeur Sei nun wieder zufrieden meine Seele de la cantate BWV 21 Ich Hatte viel Bekummernis, par Ton Koopman (notice 0831174) et par le Cantus Cölln (notice 0832468).
Mais commençons ce petit florilège d’enregistrements par les deux pionniers. Ensuite, comme la vague de l’OVPP s’est propagée d’ouest en est depuis l’Amérique de Rifkin, nous suivrons arbitrairement ce parcours géographique pour présenter quelques interprètes et au moins un de leurs enregistrements.
Joshua Rifkin avec le Bach Ensemble qu’il a fondé en 1978
A tout seigneur, tout honneur, Joshua Rifkin a enregistré plusieurs cantates de Bach, même s’il n’a pu mener à bien un cycle complet. C’est un spécialiste de la Messe en si, dont il a produit une édition de référence (partition), mais il est difficile d’écouter son enregistrement ailleurs que sur YouTube. Il est possible de suivre les paroles en même temps sur le site Bach Cantatas.
Du côté du disque, signalons un double compact qui intéressera particulièrement ceux qui ne peuvent s’offrir beaucoup de cantates ou qui doivent faire un choix cornélien pour emporter dans une île déserte, c’est le coffret de « 6 favourites cantatas » qui regroupe quelques-unes des cantates les plus appréciées de tous.
La BML ne vous propose qu’un disque, mais publié 10 ans plus tard et consacré à une période où Bach avait du temps, puisqu’il ne devait produire qu’une Cantate par mois, c’est une pure merveille : 3 cantates de Weimar.
Andrew Parrott, autre grande figure et polémiste de l’OVPP, avec le Taverner Consort
Pour faire connaissance avec l’oeuvre de Bach enregistré par le premier qui a compris la recherche de Rifkin, voici d’abord une production traditionnelle : l’ Oratorio de Pâques BVW 249 couplé avec la cantate pour le jour de Pâques Christ lag in Todes Banden BWV 4, que Parrott interprète avec son Taverner Consort en 1984.
L’autre est un exercice auquel les baroqueux qui allient recherche et interprétation adorent se prêter, la reconstitution. Sous le nom de Trauer Music : music to mourn Prince Leopold, Parrott propose une reconstitution de la musique pour la cérémonie funéraire de l’ancien patron et ami de Bach, le prince de Cöthen, connue sous le nom de cantate BWV 244a, en raison de ses liens avec la Passion selon saint-Mathieu BWV 244, mais qui est aussi largement inspirée d’une autre cantate funèbre (BWV 198). C’est Parrott lui-même qui a composé la musique des récitatifs, suivant la formule qu’on emploie pour les restaurations de livres dans les bibliothèques : il faut que le travail du restaurateur se distingue aisément de l’original, question d’honnêteté.
Montreal Baroque – Eric Milnes
Tous les ans en juin, Montreal organise un festival de musique baroque, et c’est ce festival qui a demandé au claviériste et chef de choeur new-yorkais Eric Milnes de prendre en charge un cycle complet de cantates enregistrées avec une seule voix par partie.
- Bande Montreal Baroque Site Eric Milnes
L’ensemble Montreal Baroque se réunit pour le festival et prévoit un programme thématiquement cohérent. Les enregistrements ne suivent donc ni l’ordre du catalogue (comme l’intégrale de Harnoncourt et Leonhardt), ni celui des dates de composition comme celui de Suzuki. Le projet n’avance pas vite et les parutions (chez ATMA classique) se sont interrompues pendant 4 ans avant de reprendre récemment ; de ce fait on ne dispose pour le moment que de 17 cantates en 5 disques. Cette tentative reçoit semble-t-il un bon accueil en Amérique – elle est largement ignorée en Europe. La Bibliothèque de Lyon vous en propose quelques joyaux.
Gabrieli consort and players – Paul McCreesh
L’ensemble mancunien fondé par Paul McCreesh en 1982 a tellement diversifié sa production qu’il n’est finalement que passé par Bach, enregistrant au début de ce siècle le Magnificat et l’Oratorio de Pâques (que la BML vous propose), deux ans avant une Passion selon Saint Matthieu qui a fait date et qu’on peut encore trouver dans le commerce.
Dunedin Consort – John Butt
Au contraire, l’ensemble écossais de John Butt a considérablement travaillé Jean-Sébastien Bach depuis le début du siècle, cherchant en dehors des sentiers battus. C’est ainsi que sa Passion selon Saint Jean a pour ambition de reconstituer la cérémonie liturgique d’un vendredi saint à Leipzig du temps de Bach et comprend donc, autour de l’œuvre centrale, des chœurs chantés par les fidèles et des chorals d’orgue.
Quant à la Passion selon Saint Matthieu, il nous la fait écouter dans la dernière version donnée par Jean Sébastien Bach, le 23 mars 1742, qui ne diffère de la « traditionnelle » version de 1736 que par des détails d’instrumentation… mais la plupart des commentateurs du Bach Cantatas website la considèrent comme encore supérieure à la version des Gabrieli Consort.
Sigiswald Kuijken – La petite bande
Sigiswald Kuijken, violoniste de formation, compagnon de Gustav Leonhardt, fondateur de La petite bande est musicien, pas musicologue. La théorie de Joshua Rifkin l’a convaincu dès qu’il l’a examinée sérieusement, à la toute fin du vingtième siècle. Seuls ses travaux de ce siècle sont donc OVPP et il a revisité des oeuvres enregistrées antérieurement fort de sa nouvelle conviction mais aussi de progrès, d’approfondisssements dans sa réflexion notamment sur la scansion, sur l’instrumentation, le violone et le violoncelle.
- PSJ Kuijken
Outre un enregistrement de la Messe en si et un de la Passion selon saint Jean, le cadet des frères Kuijken enregistre le seul cycle de Cantates encore en cours avec celui du Montreal Baroque : ce n’est pas une intégrale, il ne comprendra qu’une cantate par date de l’année liturgique, lorsqu’il y a le choix, celle que Kuijken préfère… 20 disques sont prévus et 17 déjà enregistrés par la Petite Bande avec une équipe très stable – seule la soprano change assez souvent – et une très belle voix d’alto féminine, celle de Petra Noskaiovà. L’attention portée à tous les détails, une diction remarquable, des enregistrements de grande qualité, en font des documents en tous points recommandables dont la BML vous propose un petit choix.
Certes, les disques n’offrent que rarement une suite logique de cantates correspondant à une partie de l’année liturgique, certes la traduction en français des textes est déficiente (se reporter à celle du Bach Cantatas website ou à celle du livre de Gilles Cantagrel), mais les commentaires des livrets, rédigés par Sigiswald Kuijken lui-même sont passionnants, et l’interprétation est un sommet qui tire toutes les conséquences de l’interprétation à une voix par partie.
Philippe Pierlot – Le Ricercar Consort
Le question de l’OVPP n’épouse pas les querelles lingistiques en Begique. L’Ardennais Philippe Pierlot enregistre lui aussi beaucoup Jean-Sébastien Bach, avec son Ricercar Consort et une voix par partie, celle d’alto étant ici le contre-ténor espagnol Carlos Mena dans le Magnificat, et le même accompagné de Jan Börner dans la Passion selon Saint Jean.
Marc Minkowski – Les Musiciens du Louvre
Les Grenoblois qui viennent d’interpréter la Passion selon Saint Jean à Lyon ont enregistré une Messe en si d’une profondeur poignante à Saint-Jacques de Compostelle.
Konrad Jünghanel – Cantus Cölln
L’ensemble du luthiste allemand fait partie des préférés de Musiquazimuts qui avait consacré un coup de cœur à leur anthologie en 10 CD… sans Jean-Sébastien Bach.
Mais la BML vous propose un choix des premières cantates du grand Bach publié sous le titre Actus Tragicus et une Messe en si différente de celle de Minkowski et tout aussi admirable. On y trouve la pureté lumineuse autant que rigoureuse qui caractérise le travail du Cantus Cölln qui fait triompher l’interprétation solistique des chœurs dans Jean-Sébastien Bach comme dans toute la musique ancienne et baroque.
La Médiathèque de la Cité de la Musique propose également un concert (notice 0825920) donné à l’invitation de René Jacobs, consacré exclusivement à Bach : 2 cantates, une messe luthérienne et en rappel le chœur de la cantate Ich Hatte viel Bekummernis que nous vous suggérions déjà de comparer avec la superbe interprétation MVPP de Ton Koopman.
4- Faisons connaissance avec le personnage étonnant par qui c’est arrivé
Joshua Rifkin vient de fêter ses 70 ans. Il ressemble au modèle de l’universitaire américain anticonformiste. Mais il est un peu plus que cela ou peut-être en est-il la quintessence.
C’est définitivement le genre de personne qu’on ne peut pas ranger dans une catégorie. A 20 ans, il joue dans un groupe de musique traditionnelle américaine dans un style qu’on qualifierait de country et rag déjanté. Il est au piano et chante avec le truchement d’un kazoo. En même temps, l’été il suit les classes de Stockhausen à Darmstadt … c’est là qu’il prend une souscription pour l’édition complète des œuvres de Jean-Sébastien Bach, la Neue Bach Ausgabe. Cet intérêt pour la musique baroque se traduit par une pochade très élaborée sortie en disque en 1965, Le Beatles Baroque Book
Le succès commercial lui vient lorsqu’il redécouvre et enregistre Scott Joplin en 1970. Il continue à jouer du ragtime, enregistrant au passage un disque pour Decca en 1990.
Mais parallèlement il est devenu un respectable universitaire, professant la musicologie à la Brandeis University de 1970 à 1982 avant d’enseigner à Harvard, New-York et Yale pour terminer à l’université de Boston. Ses travaux universitaires sont essentiellement consacrés à la renaissance et l’époque baroque, particulièrement Josquin Desprez, Schütz et Jean-Sébastien Bach. Leur point culminant est probablement l’édition critique de la Messe en si parue en 2006 chez Breitkopf, en Allemagne.
Souhaitant jouer la musique autant que l’étudier, il fonde en 1978 le Bach Ensemble. On a donné ci-dessus quelques titres de ses disques de Bach, mais il joue beaucoup plus qu’il n’enregistre, et il sait toujours sortir du sentier battu, passer où on ne l’attend pas.
Lorsque le Three Choirs Festival lui demande, en 1996, une Passion selon Saint Mathieu, elle l’attend à une voix par partie. Mais Joshua Rifkin ne le sent pas comme ça dans ce temple de la musique chorale. C’est un musicologue, un chercheur, et il retrouve tous les documents relatifs à l’exécution de cette même œuvre au même endroit, en 1911, par Ivor Atkins et Edward Elgar – la version de référence pour une interprétation avec pompe et circonstance, chœurs et orchestres immenses, un sommet de la tradition du 19ème siècle et du premier vingtième dans l’interprétation de Bach ! Il avoue y avoir pris beaucoup de plaisir.
Son dernier disque -aujourd’hui – s’intitule Vivat Leo !. Il est construit autour d’un recueil manuscrit offert à Laurent de Médicis mais primitivement destiné à son oncle, le scandaleux pape Léon X (1513-1521), celui-là même qui condamna Luther ! Certes, ce manuscrit comprend 2 œuvres de Josquin Desprez, l’autre grand sujet d’études de Joshua Rifkin, mais ce Vivat Leo ! de la part du spécialiste d’un des plus grands luthériens qui ait existé montre la suprême liberté d’un grand érudit, amoureux de toutes les musiques.
Ein’ feste Burg ist unser Gott BWV 80 / The Bach Ensemble – Joshua Rifkin
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