Pour qui je me prends
Lori Saint-Martin
lu, vu, entendu par Benoît S. - le 04/04/2024
On ne pourrait trouver plus belle déclaration d’amour à la langue française que ce témoignage littéraire. Tellement plus efficace que tous les dispositifs institutionnels imaginés par l’Etat français pour faire briller la francophonie, à l’international. Car, le français a sauvé Lori Saint-Martin, née dans une famille exclusivement anglophone (Saint-Martin est le nom qu’elle s’est choisie dans sa langue d’adoption) de la ville de Kitchener, dans l’Ontario.
La langue française l’a sauvée d’un devenir prolo, d’un déterminisme sans éclat et étriqué, qui broie les imaginaires, à l’image du slogan de la ville de Kitchener « Let’s keep Kitchener clean as a kitchen. »
Depuis toujours, elle s’est sentie différente, mal à l’aise dans son corps social. Le français va alors incarner, de façon totalement inattendue, son évasion vers l’air libre, lors de sa découverte, en classe, à l’âge de 10 ans. “J’ai appris le français pour fuir l’anglais, pour fuir mon destin.” Cela n’a rien d’évident au début, au milieu des railleries de ses camarades, qui ne souhaitent rien tant d’autre que se conformer à la médiocrité ambiante. Mais elle s’accroche à ces phrases dérisoires comme à une bouée, ces phrases d’enseignement primaire rudimentaires et quelque peu absurdes, équivalentes françaises de nos « Where is Brian ? He is in the kitchen » La rupture avec son milieu, avec sa mère devient alors radicale et irréversible (“Who do you think you are ?! ” ainsi s’adresse-t-elle, en désespoir de cause, à cette fille qu’elle ne reconnaît plus). Car, on le sait, il n’existe pas de chemin de retour pour les transfuges de classe, exilés d’eux-mêmes et traîtres à leur milieu.
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