La vie secrète des bigotes

Deesha Philyaw

lu, vu, entendu par Clémence - le 17/12/2022

Ce recueil de nouvelles explore les secrets et les fantasmes des femmes noires d'une paroisse. Pour ces grenouilles de bénitier, c'est jamais avant le mariage, pas de tromperies, pas de tricheries. Mais les apparences, elles, sont trompeuses, car le démon de la chair rôde...

Olivia est persuadée que Dieu en personne débarque chez sa mère les lundis pour manger de la tourte aux pêches. Sa mère reçoit le révérend de la paroisse et lui prépare cette gourmandise, à laquelle Olivia n’a pas le droit de gouter, à son grand désespoir.

Quatre sœurs écrivent à leur demi-sœur inconnue, née hors mariage, pour la prévenir que leur père est mort, mais qu’elle n’a pas trop de regrets à avoir : il ne valait pas vraiment la peine d’être connu !

Deesha Philyaw aborde avec humour et malice la sexualité, les questions raciales et de genre, le poids de la religion, et comment certaines réussissent à s’en affranchir, et d’autres pas. Les hommes sont souvent défaillants, les femmes seules, mal aimées, cabossées par la vie mais qui tiennent debout malgré tout.

Elle crée une empathie immédiate envers ses héroïnes, en quelques pages seulement, d’une écriture ciselée. Il y a beaucoup de dérision dans ces histoires, qui font souvent sourire.

Extrait

Il y a dix ans, quand Eula et moi en avions trente, nous étions les meilleures amies du monde depuis déjà la moitié de nos vies. Nous nous sommes connues en seconde au lycée, seules filles noires de notre classe d’excellence d’anglais. Eula était nouvelle ; sa famille venait de Caroline du Nord. Elle avait besoin d’une amie et moi aussi. Nous étions des rêveuses, nous organisions notre double mariage hawaïen dans la marge de nos cahiers de maths. Nos maris seraient cheminots, comme nos pères. Nous enseignerions au lycée, rejoindrions les dames patronnesses de la paroisse et serions voisines. Nos enfants joueraient ensemble.
Mais quand nos trente ans sont arrivés, nous étions professeures au lycée et faisions partie des dames patronnesses sans que nos autres rêves se soient réalisés. Nous avons fêté l’anniversaire d’Eula dans son appartement avec un trop grand nombre de vins panachés. Elle a terminé la soirée sur mes genoux, la jupe relevée jusqu’à la taille. J’ai vu son slip en coton blanc entre ses grosses cuisses noires. Elle sentait la vanille.

Deesha Philyaw a obtenu de nombreux prix pour ce recueil de nouvelles aux Etats-Unis, dont le PEN/Faulkner award 2021.