
La Place
Annie Ernaux
lu, vu, entendu par Silomoderne - le 12/10/2022
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« La place » débute par la mort du père de la narratrice le jour où elle obtient son Capes. C’est un récit court dont la forme narrative simple nous dévoile la relation complexe entre un père et sa fille, un récit bouleversant composé par petites touches successives.
Dans ce roman « presque autobiographique », l’auteur raconte les moments essentiels d’une relation entre un père ouvrier et sa fille qui va, peu à peu, se démarquer, par l’école, de son milieu d’origine.
L’œuvre est en réalité un hommage à la figure paternelle, un homme qui ne cessa de travailler toute sa vie, commençant par louer sa force de travail, très jeune, chez les fermiers riches de la région, comme son grand-père avant lui.
La communication difficile et la complexité de la relation père / fille traduit un écart de plus en plus béant entre deux mondes inconciliables : celui du père, entre condition précaire et moyenâgeuse du monde paysan, son évolution vers la ville en tant qu’ouvrier (l’usine et le confort de la ville), et celui de sa fille, brillante élève obtenant son Capes, enseignante et mariée à un cadre administratif issu de la bourgeoisie. Une relation et une distance insurmontable, inexprimable qui n’éludent en rien tout l’amour qu’elle porte à ce père.
Annie Ernaux décrit merveilleusement bien ce passé lointain et oublié, renié même. Elle ressuscite ainsi par l’écriture sa culture populaire et patoisante comme dans l’expression « péter par la sente » (aller bien), ou encore le milieu ouvrier. Les mots restituent aussi une rencontre impossible, improbable entre le monde d’antan, dépassé du petit épicier et le monde de la modernité et de la bourgeoisie dans lesquels l’autrice évolue.
Une histoire de rupture et de trahison indicible comme la citation de Jean Genet qui, en liminaire du récit, dévoile et prévient l’insoutenable vérité : « Je hasarde une explication : écrire c’est le dernier recours quand on a trahi »
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