Heidegger : l’introduction du nazisme dans la Philosophie
Autour des séminaires inédits de 1933-1935
Emmanuel Faye
lu, vu, entendu par Antisthène - le 18/12/2021
Une étude historique et philosophique de l'influence du nazisme sur la construction de l'oeuvre de Martin Heidegger.
Le parcours de Martin Heidegger en Allemagne sous le IIIème Reich était connu depuis des décennies, mais la publication, depuis 1984, de ses « cahiers noirs » jette une lumière nouvelle sur la construction de sa pensée.
Outre le fait qu’il ait été adhérent au parti hitlérien de 1933 à 1944, il apparait que son œuvre emprunte, sous un vocable d’apparence philosophique, ses concepts aux racines mêmes de la doctrine nazie. C’est ce qu’a voulu montrer Emmanuel Faye dans ce livre très rigoureusement documenté, paru en 2005, qui se base entre autres sur les séminaires d’Heidegger des années 1933 à 1935, alors qu’il était professeur à Fribourg.
Antisémitisme et « pensée de la race »
Les défenseurs de Heidegger en France ont toujours reconnu son engagement national-socialiste, mais l’exonèrent de tout antisémitisme. En réalité, il apparaît que, bien avant la parution de son ouvrage principal « Être et temps » en 1923, l’antisémitisme de Heidegger se manifeste clairement, lorsqu’il écrit à sa femme Elfride en 1916 :
« L’enjuivement de notre culture et de nos universités est en effet épouvantable et je pense que la race allemande devrait rassembler assez de force intérieure pour parvenir au sommet. »
Plus troublant encore, l’adhésion de Heidegger au nazisme semble confiner à une admiration irrationnelle de la figure même d’Hitler. En effet, lorsque Karl Jaspers lui écrit “Comment un homme aussi inculte que Hitler peut-il gouverner l’Allemagne? “, Heidegger n’hésite pas à répondre “La culture est sans importance du tout, regardez seulement ses mains admirables ! ” (1)
Concepts philosophiques ou propagande national-socialiste ?
On a souvent mis le concept d’ « enracinement » au cœur de la pensée heideggérienne, un mot à double sens (philosophique ou racial). Or, cet enracinement s’apparente le plus souvent, dans son œuvre, à l’appartenance à une « communauté de race et de sang », par opposition au cliché nazi du « nomade sémite » déraciné et coupé de sa relation à « l’Être ». Heidegger le formule ainsi dans son séminaire de l’hiver 1933-1934 :
« La nature de notre espace allemand […] ne se manifestera peut-être jamais aux nomades sémites »
La critique heideggerienne de la “domination du monde par la technique” reste aujourd’hui un des arguments principaux des défenseurs d’Heidegger pour en démontrer la modernité, tendant même à en faire un précurseur de l’Écologie. Au fondement de la technique, la notion heideggerienne d’ «affairement» (Machenshaft), qui réduirait le monde à un ensemble de choses commercialisables et calculables, et qui participe à ce que le penseur qualifie comme un « oubli de l’Être », est imputée aux juifs, selon un cliché antisémite très en vogue sous le national-socialisme, et encore tenace aujourd’hui.
Le livre d’Emmanuel Faye apporte donc un éclairage passionnant sur les sous-entendus proprement nazis qui se cachent sous un langage heideggerien souvent obscur. Il révèle toute l’ampleur de l’adhésion du penseur aux valeurs national-socialistes, y compris lorsqu’il s’est agit, en tant que recteur, d’exclure avec zèle tous les éléments dits “non aryens” de l’université de Fribourg.
Pour aller plus loin :
Le livre de Victor Farias “Heidegger et le nazisme”, à consulter au silo moderne de la Part-Dieu
Un article de Wikipédia sur Heidegger et le nazisme.
Le livre de Peter Trawny (traducteur et défenseur de Heidegger) : “Heidegger et l’antisémitisme”.
Voir dans le catalogue de la BML
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