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Ce que vit le rhinocéros lorsqu’il regarda de l’autre côté de la clôture

Théâtre

Jens Raschke

Tous les dimanches les "bottés" viennent passer un bon moment au zoo avec leurs enfants. Les animaux vivent heureux, ignorant les milliers de "rayés" qui vivent de l'autre côté de la clôture.

Un jour, on retrouve le rhinocéros mort, l’air profondément triste. Un jeune ours rejoint le zoo. Il pose beaucoup de questions malgré les mises en garde des autres animaux. D’où vient cette odeur nauséabonde ? Pourquoi n’y a-t-il plus d’oiseaux dans le ciel ? Qu’a vu le rhinocéros qui l’a rendu si triste ?

Les autres animaux vivent comme si de rien n’était. Ils ignorent complètement ce qu’il se passe de l’autre côté de la clôture : ce que les “bottés” peuvent faire aux “rayés”. On reproche à l’ours d’être trop curieux et de les mettre en danger. Séparé de sa famille et malheureux par cette situation, l’ours tente un acte désespéré.

Un zoo a réellement existé dans le camp de concentration de Buchenwald, en 1937, en Allemagne. C’est ce qui a donné chez Jens Raschke l’envie d’écrire cette pièce.
En prenant le point de vue des animaux du zoo, l’auteur aborde la Shoah. La langue, apparemment simple et enfantine, se révèle d’une extrême puissance. Les passages doux et poétiques, même parfois drôles, alternent avec passages plus violents. La pièce est très poignante.

La pièce donne à réfléchir. Au-delà du sujet des camps de concentration, elle traite du rapport de l’individu au groupe et de la force du mutisme généralisé. L’acte désespéré de l’Ours est un appel à ne pas se laisser aveugler par notre confort.

Ce texte a été récompensé par de nombreux prix en Allemagne et il a été lauréat des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre en 2022.

Jens Raschke est auteur, metteur en scène, dramaturge allemand. Il est également critique indépendant spécialisé dans le théâtre jeune public.

Extrait

1. Imaginez un zoo

[…]

PREMIER.– On y trouve des jolies maisons et des
vilaines maisons, comme dans toutes les villes.

DEUXIÈME.– Ce qui change de toutes les villes, c’est
qu’entre les jolies et les vilaines maisons, il y a une
clôture.

TROISIÈME.– Une clôture qui bourdonne et vrombit,
avec du barbelé dessus et des tours de garde tous
les quelques mètres avec des gardiens dedans
qui font tous des têtes renfrognées, comme s’ils
venaient de mordre un citron.

PREMIER.– La clôture n’est pas là pour les animaux
du zoo –

QUATRIÈME.– eux ils ont leur propre clôture –

PREMIER.– la clôture est là parce que les hommes
dans les jolies maisons ne veulent surtout pas que
les hommes dans les vilaines maisons viennent
chez eux et

DEUXIÈME.– dégivrent leurs frigos,

QUATRIÈME.– vident l’eau du bain,

TROISIÈME.– trempent des biscuits dans leur lait,

DEUXIÈME.– ou juste qu’ils leur serrent la main et leur
disent, un sourire radieux au visage et dans cinquante langues différentes :
TOUS.– Salut voisin, il fait beau aujourd’hui, non ?

PREMIER.– Ce zoo, les hommes dans les vilaines
maisons n’ont le droit de l’observer que de loin, à
travers leur clôture qui bourdonne et vrombit.

TROISIÈME.– Mais, en fait, même ça ils n’en ont pas
le droit.

DEUXIÈME.– En fait, ils n’ont le droit de rien du tout.

PREMIER.– Car cette ville, qui ne fait que ressembler
à une ville, est en vérité

TOUS.– une prison.

DEUXIÈME.– Une prison?

QUATRIÈME.– me demanderez-vous,

DEUXIÈME.– une vraie prison-prison ?

TROISIÈME.– Car qui a jamais entendu parler d’un zoo
dans une prison ?
Pas moi en tout cas.

PREMIER.– Moi non plus.

DEUXIÈME.– Moi non plus.

QUATRIÈME.– Et moi non plus.

TROISIÈME.– Et sûrement pas le rhinocéros.

PREMIER.– Hélas –

TOUS.– le rhinocéros

Pour aller plus loin

Voir le carnet artistique et pédagogique [sur www.editionstheatrales.fr]

Voir dans le catalogue de la BML

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