France, terre des maths ?

- temps de lecture approximatif de 14 minutes 14 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

La France est incontestablement, et l'histoire en est témoin, un grand pays des mathématiques. De François Viète à Pascal, d'Henri Poincaré à Laurent Schwartz et Jacques-Louis Lions, et Cédric Villani aujourd'hui, retour sur cinq siècles de mathématiques françaises.

© Pixabay
© Pixabay
Il n’y a pas de prix Nobel des mathématiques. On ignore pourquoi, malgré les légendes tenaces courant sur la femme de l’auguste chimiste, créateur du prix qui porte son nom. La médaille Fields est décernée tous les quatre ans à des mathématiciens de moins de quarante ans lors du Congrès international de mathématiques (ICM), qui s’est tenu cette année du 19 au 27 août à Hyderâbâd, en Inde, autre grand pays des mathématiques. Elle est souvent considérée comme la plus prestigieuse des récompenses dans la discipline et tient lieu de Nobel des maths.

Medaille-Fields
La médaille Fields a été remise cette année à Elon Lindenstrauss (université de Jérusalem), Ngô Bao Châu (détaché de l’université Paris-Sud à Princeton), Stanislas Smirnov (université de Genève) et Cédric Villani (université Lyon-1). Sur les cinquante-deux lauréats dans l’histoire de la médaille Fields, on compte aujourd’hui onze mathématiciens issus de laboratoires français. La France a toujours été un pays important des mathématiques et considérée à l’étranger comme telle, malgré la discrétion et le peu de reconnaissance de cette discipline qui travaille tous les jours un peu plus avec la physique, la biologie, la médecine, l’informatique… Retour sur une discipline souterraine et fondamentale.

Quelques grandes figures des mathématiques au pays de Descartes

BMP - 102.9 ko

Suite aux germes de mathématiques que l’on trouve chez le théologien Nicolas Oresme, c’est véritablement avec François Viète (1540 – 1603) que les mathématiques s’enracinent en France. Viète aurait sans doute marqué plus profondément l’histoire des mathématiques s’il avait eu le temps d’éditer ses travaux et d’y accorder plus de temps… puisqu’il était également juriste, conseiller du roi Henri III, négociateur, cryptographe et chargé par le roi Henri IV de « missions spéciales » au plus haut niveau. Il met sur pieds l’algèbre moderne et y intègre l’arithmétique. Il introduit aussi les signes + et -, et plaide pour l’abandon du système sexagésimal (à base 60 comme les secondes, minutes et heures) au profit du décimal (à base 10) ; c’était également un excellent géomètre. L’Histoire retiendra plutôt ses successeurs, comme Descartes ou Fermat.
François Viète, un mathématicien sous la renaissance, sous la direction d’Evelyne Barbin et d’Anne Boyé.

JPEG - 10.5 ko

Pierre de Fermat

Pierre de Fermat (1601 – 1665), juriste également, est le premier grand théoricien des nombres et le fondateur, avec Pascal, du calcul des probabilités. Il ne publie pratiquement aucune de ses découvertes, mais note ses résultats dans les marges de ses lectures. Il énonce de très nombreux théorèmes, dont beaucoup ne furent démontrés que bien plus tard, dont le célèbre théorème de Fermat, démontré en 1994 par Andrew Wiles. Il conçoit également, un an avant Descartes, le principe de base de la géométrie analytique des courbes.
Fermat, de défis en conjectures, par Giulio Giorello et Corrado Sinigaglia.

JPEG - 8.7 ko

Pascal

Blaise Pascal (1623 – 1662) a été ce que l’époque classique appelait un honnête homme, mais génial. En d’autres mots, le contraire d’un spécialiste. Pascal a été à la fois géomètre, physicien, philosophe, théologien, joueur invétéré, homme d’action, chef d’entreprise. Il succède au Lyonnais Desargues pour ce qui est de la géométrie. Il publie à seize ans son Traité des coniques et construit sa propre machine à calcul. En travaillant sur le triangle, il pose les fondements de ce que l’on appelle aujourd’hui une démonstration par récurrence. C’est aujourd’hui le pain quotidien (et pas toujours très digeste) des lycéens. Après Pascal, la géométrie, surtout celle des coniques, sera délaissée par les mathématiciens, jusqu’à Monge (1746 – 1818), créateur de l’Ecole polytechnique.
Pascal, le calcul et la théologie, par Dominique Descotes.

JPEG - 5.3 ko

Jean d’Alembert

Plus connu pour sa participation à l’Encyclopédie : Jean Le Rond d’Alembert (1717 – 1783). On retrouve pourtant son nom dans un théorème fondamental de l’algèbre, dans un principe de base de mécanique, un paradoxe, un critère et une équation, la première à parler d’onde. Le moins que l’on puisse dire, donc, c’est qu’il a laissé sa marque dans nombre de domaines. Laplace, créateur des probabilités modernes, restera un grand ami de d’Alembert malgré leurs désaccords. D’Alembert était amateur de polémique, sinon de dispute, notamment avec Euler ou les Bernoulli.
D’Alembert, mathématicien des Lumières, par Pierre Crépel.

GIF - 7.2 ko

Lagrange

Outre Euler, l’autre géant du XVIIIe siècle est Joseph Louis Lagrange, fondateur de l’analyse moderne. « Le plus grand mathématicien du monde », selon Frédéric le Grand, n’aurait « jamais consacré sa vie aux mathématiques [s’il avait] été riche », à l’en croire. Lagrange est à faire figurer sur la liste des grands maitres par leur influence sur l’école mathématique française. C’est en lisant Lagrange que Galois se passionnera pour la résolution des équations algébriques. Lagrange est aussi le premier à avoir essayé de fonder l’existence des nombres réels, irrationnels compris. Le nom de Lagrange est aussi attaché au théorème le plus important de la théorie des groupes, aujourd’hui devenue complètement élémentaire.
Une époque de transition : Lagrange et Legendre, de Marc Guinot.

JPEG - 5 ko

Henri Poincaré

L’un des plus grands mathématiciens de tous les temps, dernier savant universel, Henri Poincaré (1854 – 1912) a dominé toutes les branches des mathématiques. Impossible de résumer son travail en quelques lignes, alors listons ses quatre principaux apports : il fonde la topologie algébrique et la théorie globale des systèmes dynamiques, révolutionne la mécanique céleste et joue un rôle clef dans la création de ce qui sera la relativité restreinte. A cela s’ajoutent des travaux en géométrie non-euclidienne, sur la théorie des groupes. Il a de nouveau fait l’actualité ces dernières années avec la démonstration en 2003 par Grigori Perelman de sa conjoncture topologique posée en 1904 ; il aura fallu un siècle pour venir à bout de ce problème, que l’on comptait au sein des sept problèmes du millénaire listés par l’institut Cray.
Poincaré, philosophe et mathématicien, par Umberto Bottazzini.

JPEG - 12.8 ko

Au milieu du XXe siècle, un mathématicien apparaît comme une sommité incontournable : il s’agit de Nicolas Bourbaki, de l’Académie des sciences de Poldévie. Il souffrait néanmoins d’un handicap majeur : Nicolas Bourbaki n’existait pas plus que la Poldévie. Derrière ce nom, ce canular, se trouvait en réalité un groupe de mathématiciens francophones, notamment composé d’André Weil, Henri Cartan, Jean Dieudonné, le futur médaillé Fields Laurent Schwartz ou encore le génie solitaire Alexandre Grothendieck. La composition du groupe a évolué, les générations de mathématiciens se succédant en son sein. C’est dans les années 60-70 que son influence a été la plus importante. On lui doit l’application de la notion de structure aux mathématiques et l’introduction de nombreux termes et symboles, en un mot : une façon d’écrire les mathématiques plus que l’ouverture de nouveaux champs en eux-mêmes. Bourbaki a été le symbole du renouveau des mathématiques en France et dans le monde après la saignée des deux guerres mondiales. C’est aussi le moment où les mathématiques deviennent un travail d’équipe et non plus une œuvre solitaire. Les noms des membres actuels de Bourbaki ne sont pas connus.
Nicolas Bourbaki, histoire d’un génie des mathématiques qui n’a jamais existé, d’Amir D. Aczel.

JPEG - 32.1 ko

Elève de Schwartz, Jacques-Louis Lions sort les mathématiques de l’abstraction et de la théorie symbolisées par Bourbaki et développe la branche des mathématiques appliquées, recherches consistant à comprendre ce que veut tel ou tel collègue de physique ou autre, à mettre en forme les données et à voir quelles mathématiques peuvent résoudre les problèmes posés. Il élargit considérablement le champ d’intervention et d’action des mathématiques et tisse des liens avec les réseaux de l’Etat et les partenaires industriels : CEA, EDF, Dassault, Institut français du pétrole… Par le très grand nombre de postes que Lions a occupé dans diverses institutions, et donc le nombre d’élèves et de collaborateurs qu’il a eu, Lions a été d’une très grande influence sur les mathématiques françaises.
Jacques-Louis Lions, un mathématicien d’exception entre recherche, industrie et politique, d’Amy Dahan Dalmedico.

JPEG - 32.6 ko

Cinq siècles de mathématiques en France, de Michel Berger. Incontestablement, la France est un grand pays de mathématiques. Héritières d’une longue tradition scientifique née sous l’Ancien Régime, dotées d’institutions remontant à la Révolution, très tôt tournées vers le progrès technique et les applications les plus diverses, les mathématiques françaises ont contribué aux bouleversements technologiques de ces dernières années. Cet ouvrage met en lumière l’exigence constante qui a marqué le développement de la pensée mathématique de notre pays.

Aujourd’hui, une discipline… trans-disciplinaire ?

Comme l’avait bien compris Lions, les mathématiques sont aujourd’hui nécessaires dans tous les domaines et ont envahi le monde. Les liens entre les domaines différents se multiplient.

La physique, d’abord, qui a toujours utilisé les maths et utilisé ses résultats pour trouver des lois que la simple observation, même la plus pointue, ne permet pas d’isoler facilement dans le désordre des phénomènes. Dans certains cas, elles sont même le seul et unique moyen d’accéder à un phénomène, par exemple dans un milieu dans lequel aucun capteur ne pourrait résister : les cent millions de degrés et plus au sein du réacteur ITER à Cadarache, destiné à vérifier la faisabilité de la fusion nucléaire comme source d’énergie.

JPEG - 10.7 ko

A la découverte des lois de l’univers : la prodigieuse histoire des mathématiques et de la physique, de Roger Penrose.
Cet ouvrage constitue la présentation la plus éclairante à ce jour de tous les outils dont se sert la science pour élucider le monde. Roger Penrose retrace ainsi la découverte de tout ce dont la physique moderne ne peut se passer : les nombres réels et complexes, les logarithmes, les exponentielles, le calcul intégral, l’algèbre linaire, etc. Mais il ne s’arrête pas à ce voyage au pays des nombres. Il discute toutes les théories de la physique moderne et donne sa vision de questions fondamentales comme l’origine de la flèche du temps, la seconde loi de la thermodynamique ou la mesure en physique quantique.

2010 est l’année de la biodiversité, et c’est un secteur qui n’échappe pas aux mathématiques. Elles modélisent la plupart des processus aux fondements de l’évolution, probabilités et processus aléatoires bien compris. Quels sont les processus conduisant à l’apparition de nouvelles espèces ? A partir de quel seuil une espèce est-elle condamnée ? Les modèles doivent être capables de s’adapter à des petites populations, ce pour quoi ils ne sont pas faits. Mieux connaître l’évolution des populations permettra peut-être de mettre en œuvre des mesures de sauvegarde dans des territoires toujours plus réduits. Sans révolutionner le champ, les mathématiques offrent un nouvel angle d’étude.

JPEG - 14 ko

La nécessité du hasard : vers une théorie synthétique de la biodiversité, d’Alain Pavé.
Le hasard est un facteur externe, mais aussi et surtout le produit de mécanismes internes ; on le retrouve à tous les niveaux d’organisation du monde vivant, du gène à la biosphère. Alain Pavé nous montre comment ces mécanismes internes, de nature déterministe, fonctionnent dans des domaines chaotiques en produisant des résultats de type aléatoire. Face à un environnement changeant, imprévisible et souvent agressif, ils engendrent la diversité qui permet aux organismes, aux populations ou aux écosystèmes de subsister, de s’adapter et d’évoluer. Penser la biodiversité, à toutes les échelles et à tous les niveaux, permet une lecture intégrée du vivant. Pour mieux la comprendre et modéliser sa dynamique, il nous faut récolter des données quantitatives tant au laboratoire que sur le terrain. Ce livre est aussi un appel urgent à prendre en compte l’impérieuse nécessité de l’évaluation et de l’analyse de la biodiversité pour mieux la gérer.

Les mathématiques prennent également une importance de plus en plus grande dans le domaine de la médecine et de la biologie. Les phénomènes observés sont devenus de plus en plus complexes à comprendre. Les expérimentateurs se sont alors tournés vers les théoriciens et notamment des mathématiciens pour créer des modèles qui permettraient d’expliquer certains mécanismes, de les décrire et d’appuyer les hypothèses émises lors d’observations. Cette collaboration a commencé vers la fin des années 50, et elle n’a jamais cessé de grandir. Aujourd’hui, elle concerne le minuscule, comme la génétique, aussi bien que l’immense, par exemple la propagation d’une épidémie dans le monde. Sur les dizaines de milliers de paramètres à considérer dans ces types de statistiques, c’est encore aux maths de faire la part entre les liaisons significatives et les liens trompeurs.
La bibliothèque de la Part Dieu et l’université ouverte Lyon 1 vous proposent un cycle de conférences intitulé Mathématiques et médecine, une fois par mois à l’auditorium de la Part Dieu. Les conférences sont filmées et mises en ligne sur le site de la Bibliothèque, onglet Découverte. La première, par Laurent Pujo-Menjouet est en ligne à cette adresse.

JPEG - 14.3 ko

Laurent Pujo-Menjouet

Les mathématiques dans le monde scientifique contemporain, de l’Académie des sciences.
L’objet de cet ouvrage est d’étudier les interactions entre les mathématiques et l’ensemble des autres disciplines, en cherchant à déterminer comment cette approche et ce langage communs conduisent toutes les sciences à collaborer entre elles, et en même temps comment les questions soulevées par les autres sciences ouvrent des champs de recherche aux mathématiciens eux-mêmes. Ce rapport n’examine donc pas les mathématiques pour elles-mêmes, mais la manière dont elles participent au monde scientifique contemporain. Sans viser l’exhaustivité, la démarche choisie a été de jeter des coups de projecteurs sur certains secteurs qui semblaient représentatifs : sont décrites les interactions des mathématiques avec la physique, l’astronomie, la chimie, les sciences de la vie, l’informatique et l’économie. Au terme de ce panorama, il apparaît, au niveau de la société, qu’un nouveau schéma d’organisation de la recherche est possible, qui passerait par un autre regard sur le rôle des mathématiques.

JPEG - 14.4 ko

Partager cet article