L’écologie, fille de Mai 68 ?

- temps de lecture approximatif de 4 minutes 4 min - Modifié le 17/03/2018 par Michel W.

A l'occasion du cinquantenaire de Mai 68, nombreux sont les hommages et ceux qui revendiquent son héritage culturel. L'écologie n'y échappe pas.

Mai 1968. Villeurbanne par René Basset.
Mai 1968. Villeurbanne par René Basset. Bibliothèque municipale de Lyon (P 0163 09189). Droit d'utilisation : Toute reproduction est interdite sans l'autorisation de l'auteur © René Basset

Dans l’imaginaire collectif, l’écologie – du moins dans sa version politique – s’inscrit directement dans la lignée des évènements de Mai 68. A tel point qu’il serait facile de penser que l’écologie doit son apparition aux évènements de 68, qu’elle y puiserait ses racines, voire qu’elle en serait l’héritière. Cette perception, on la doit beaucoup aux parcours de certaines figures de l’écologie telles que Daniel Cohn-Bendit ou encore Alain Lipietz. A y regarder de plus près, ce lien est pourtant bien plus ténu qu’il n’y paraît.

Une nature ringarde et vulgaire

L’un des principaux théoriciens de l’écologie politique en France, Serge Moscovici, le concède lui-même. Son “Essai sur l’histoire humaine de la nature” publié cette année là passe complètement inaperçu. Il reconnaît d’ailleurs volontiers dans un entretien sur Mediapart “qu’écrire sur la nature dans les années 60 était ringard, vulgaire”. Si Mai 68 est considéré comme le plus vaste mouvement social du XXe siècle en France, c’est par l’ampleur de la révolte exprimée par les grèves générales et les manifestations étudiantes. Or, dans l’imaginaire actuel de 68, même les luttes ouvrières ont tendance à disparaître au profit de sa teneur politique et culturelle : on retient de Mai 68 ses slogans – “Sous les pavés, la plage !”, “Il est interdit d’interdire”, “L’imagination au pouvoir !” – qui sont autant d’hymnes au désir de liberté et à la remise en cause de l’ordre établi et du pouvoir. On trouvera toutefois difficilement dans ces slogans des références directes à la protection de la biodiversité ou à la place de l’homme dans la nature. Dès lors, dire que le mouvement de Mai 68 ne se disait pas écologiste est un doux euphémisme.

Une gauche frileuse

Si l’écologie est absente de manière explicite dans Mai 68, elle va néanmoins profiter du bouillonnement intellectuel de l’époque et surtout de son effervescence contestataire, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur car nombre de ceux qui contribueront à donner naissance à l’écologie politique dans les années soixante-dix seront issus de Mai 68 et de sa critique de la société de consommation et du progrès. Le philosophe et sociologue Jean-Pierre Le Goff parle même dans son classique “Mai 68, l’héritage impossible” (La Découverte) de l’écologie politique comme constituant une “utopie de substitution” et une “forme d’engagement plus douce que la perspective sacrificielle du dévouement envers la classe ouvrière et la révolution”. Pour le pire car on peut penser que les sources intellectuelles de l’écologie politique proviennent alors davantage d’une critique de la technique ancrée à gauche plutôt que d’une défense de la nature. L’historien Philippe Buton observe ainsi dans la Revue française d’histoire des idées politiques une frilosité, voire un hermétisme de la gauche aux préoccupations écologistes qui s’expliquerait par la prééminence de la tradition marxiste en France à l’époque et son “penchant objectivement anti-écologiste”. Existe-t-il un conflit fondamental entre les idées de gauche et l’écologie ? Le philosophe Serge Audier revient sur ces rapports conflictuels dans son dernier livre “La société écologique et ses ennemis : pour une histoire alternative de l’émancipation” (La Découverte). Son analyse fait ressortir toutes les nuances des idées de gauche sur la nature et l’écologie qui ont foisonné au cours des deux derniers siècles, mais aussi le défi qui consiste à imaginer l’écologie de gauche de demain.

“Les arbres sont appréciés mais comme support aux barricades, et les voitures sont incendiées sans être pour autant accusées de polluer.” (Philippe Buton, “L’impensé écologiste de l’extrême gauche française avant 1968”, Ecologie & politique 2012/1 (N°44), p.93-102). Crédits : André Cros [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons

Un héritage implicite

Si Mai 68 a donc joué un rôle important dans la configuration ultérieure de l’écologie politique en France, il faut remonter aux origines de la pensée écologique et leur diffusion, au travers notamment des idées importées de l’étranger, pour constater que l’écologie politique en France a aussi bénéficié d’une multitude d’influences, notamment anglo-saxonnes, qui dépasse largement le cadre de Mai 68. C’est ce que permet la lecture de l’imposant “La naissance de l’écologie politique en France : une nébuleuse au cœur des années 68” de l’historien Alexis Vrignon. En 68, l’écologie est peut-être peu présente dans les évènements de Mai, mais occupe déjà bien d’autres esprits. Dans les années qui suivront, de nombreux soixante-huitards vont s’agréger avec ces autres tendances et mettre leur énergie contestataire au service des premiers mouvements écologistes. Antoine Waechter avance même dans “Le sens de l’écologie politique : une vision par-delà droite et gauche” (Sang de la Terre) que c’est l’adhésion de ces personnes issues d’une culture de gauche à l’écologie et leur mainmise ultérieure sur sa principale formation politique – Europe Écologie Les Verts (anciennement Les Verts, né en 1984) – qui donneront à l’écologie politique sa coloration “de gauche” en France. En somme, une rencontre un peu plus tardive et qui serait, d’une certaine manière, contre-nature…

alexis vrignonLucile SchmidValérie Chansigaud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour aller plus loin

Deux livres parus récemment permettent de porter des regards complémentaires sur la place des questions environnementales dans la société française d’aujourd’hui. Le premier – Les français et la nature : pourquoi si peu d’amour ? de Valérie Chansigaud (Actes Sud) revisite l’histoire du rapport des français avec la nature à travers des grands repères culturels et fait une comparaison avec d’autres pays. Le second – La France résiste-t-elle à l’écologie ? de Lucile Schmid (Le Bord de l’Eau) – interroge la résistance des élites française à l’écologie et questionne cette culture politique fermée aux préoccupations environnementales.

 

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