Library Music

- temps de lecture approximatif de 32 minutes 32 min - Modifié le 29/09/2016 par La COGIP

Conçue par des compositeurs de l'ombre pour illustrer films, reportages, émissions télévisées et radiophoniques, la Library Music n'est pas un genre, mais un monde musical parallèle où toutes les musiques sont représentées.

 Les disques d’illustration sonore ne sont pas disponibles commercialement pour le grand public, mais destinés aux studios et aux professionnels de l’image et du son, qui y piochent librement les ambiances musicales et effets sonores désirés pour habiller leurs productions à moindre coût. Une pratique qui s’est développée dès les années 1950 et dont l’âge d’or en terme de créativité se situe dans les années 1960 et 1970. Et comme nous allons le voir, moins cher ne veut pas dire moins bon.
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Bernard Estardy – Electro sounds volume 2 (Tele Music TM 3033, 1973)


Attention, “Library Music” ne signifie pas musique de bibliothèque (encore moins de librairie) mais plutôt bibliothèque musicale, au sens de stock sonore à disposition. Les synonymes les plus souvent utilisés sont production music (le terme américain), musique de stock, background music, musique d’ambiance, illustration sonore

 

Une musique “fonctionnelle”


Pour mieux comprendre, cet extrait de notre article consacré aux 100 ans de la Musique de Film replace en contexte l’arrivée du son et de la musique au cinéma et les usages qui en découlent : “La musique (au temps du muet) est jouée directement par des musiciens présents dans la salle. Il s’agit en général d’une suite de morceaux existants compilés et arrangés. Des recueils de partitions étaient spécialement édités à cet effet (les « cue sheets »), illustrant chacun un climat particulier.”
Les disques de Library Music sont les héritiers de ces “cue sheets” et remplissent exactement la même fonction.

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La musique est réalisée dans un cadre contractuel de type ‘work made for hire’ (oeuvre réalisée contre rémunération) : les compositions sont vendues à la maison de disques ou à la ‘bibliothèque de sons’. Cette dernière la vend à son tour aux producteurs intéressés.
Il est par exemple inscrit au dos de chaque 33 tours des Editions Montparnasse 2000 :
ces disques sont destinés à faciliter le travail des illustrateurs sonores de radio, de télévision et de cinéma. Nous les remercions à l’avance de bien vouloir marquer les titres utilisés sur les feuilles de Droits d’Auteurs. Ces disques peuvent être utilisés par les cinéastes amateurs, pour les projections privées.”


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Toujours actif aujourd’hui, le premier label à se lancer est DeWolfe en Angleterre, dès 1927, sous diverses formes pour arriver au début des années 1960 au pressage sur vinyles 33 tours 25 centimètres puis 30 (le format classique). De nombreux labels vont se monter à cette période à travers l’Europe, et accompagner l’évolution de la radio et de la télévision. Ils sont souvent associés à des maisons de disques plus importantes à portée généraliste comme RCA ou CBS. KPM, Chappell (en Angleterre), IM / L’Illustration Musicale, Neuilly, Montparnasse 2000, Tele Music, Musique Pour l’Image (en France), Selected Sound, Coloursound (Allemagne), Fonit, Cam, Gemelli (en Italie), sont quelques-uns des labels importants des années 1960 et 1970, décennies sur lesquelles nous allons nous concentrer.

 

Des circonstances favorables à la créativité :

 

Les enregistrements sont dans leur immense majorité des instrumentaux, souvent de courte durée. Les sons utilisés sont ceux de leur époque et sont en cela de bons témoins des genres musicaux en vogue au moment de leur conception. Tout le spectre des possibles sonores y est representé, tous les genres : jazz, pop, funk, orchestrations classiques, expérimentations électroniques, musique planante, musique concrète. tous les formats : du simple effet sonore de 3 secondes à la plage ambitieuse de 20 minutes. Qualitativement cela va du plus anecdotique au plus prétentieux, en passant heureusement par le plus inspiré et intemporel.

Distribués en très peu d’exemplaires, et uniquement dans le cercle fermé de la production audiovisuelle, ils sont rares par essence.
Les conditions de leur production sont en décalage complet avec les disques destinés au grand public : les artistes ne subissent pas la pression commerciale du ‘tube’ à tout prix, leurs contraintes ne sont presque que temporelles.
Cet anonymat relatif influe grandement sur la créativité de beaucoup d’entre eux, pour qui le studio deviendra un laboratoire d’idées. C’est aussi la théorie de John Cavanaugh, boss du label Glo Spot qui a réédité quelques raretés du genre : pour lui les maisons de disques n’étaient dans les années 60 et 70 pas aussi obsédées par le marketing et les ‘focus groups’ et laissaient les musiciens travailler en paix et ainsi partir sans objectif de ventes à la recherche de nouveaux sons.

Une playlist électronique d’une trentaine de morceaux :

Et paradoxalement, cette musique bon marché n’est pas toujours produite à l’économie. Elle est techniquement irréprochable et les musiciens ont à leur disposition des moyens confortables, et des studios bien équipés.
Bien que destinée à n’être que fonctionnelle, elle respire l’innovation, la spontanéité et l’envie.
Dans la préface de ‘The Music Library’ de Johnny Trunk, Jerry Dammers (fondateur des Specials) ouvre un débat ironique sur la sériosité de l’avant-garde expérimentale, que certains disques de Library ridiculisent, grâce à leur génie spontané et dépourvu de posture. Il en conclut simplement et sans jugement de valeur que certains de ces compositeurs, oubliés des essais musicologiques, ne sont pas moins pionniers que les compositeurs du circuit institutionnel. Delia Derbyshire, du BBC Radiophonic Workshop se prenait-elle au sérieux ou non ? On s’en fiche, dit-il, tant que ça sonne bien.

L’aspect caché de ce continent musical rend son exploration encore plus jouissive : imaginez vous tout un pan de la création musicale du 20è siècle distribuée au compte gouttes, dormant dans les archives des chaînes de télévision ou de radio, pourtant produite par des musiciens talentueux et inspirés… Une histoire bis de la musique à défricher ! Alors allons-y.


Une playlist funk, jazz et pop :

 

QUELQUES LABELS IMPORTANTS

 

En FRANCE :


Johnny Trunk, grand spécialiste du ‘genre’ (à la tête du label Trunk, spécialisé dans la réédition de ces pépites, entre autres curiosités musicales), explique dans la préface de “The Music Library (Fuel / 2005)” que le conflit du syndicat des musiciens en Grande-Bretagne dans les années 1970 à contribué à faire de la France le centre de cette scène musicale : visant à protéger la musique ‘live’, les règles dictées par le Musicians Union (MU) furent jugées par beaucoup trop contraignantes et la France notamment, a accueilli de nombreux musiciens en quête de sessions.
Avec la réceptivité de la France pour l’avant-garde, son amour du jazz, son vivier de musiciens de grand talent, et les avancées technologiques de l’époque, il n’est pas surprenant que la musique qui en découle soit d’une nature si expérimentale.

IM / L’ILLUSTRATION MUSICALE

logo IM

Label français démarré à la fin des années 1960 par le pianiste de jazz Eddie Warner. Le catalogue ne compte que 26 références, dans des styles jazz, expérimental, électronique et rythmes funky. S’y expriment les cultissimes Roger Roger et Nino Nardini (sous leur vrai nom ou sous pseudonyme), Eddie Warner, Jacky Giordano… La référence IM 23 est sortie de l’ombre il y a quelques années à l’occasion d’une réédition et d’un retour inattendu de son auteur, Bernard Fèvre.

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Eddie Warner

 

Voici comment Luke Vibert présente les compositeurs centraux du label dans les notes de pochette de sa compilation Nuggets :
“Beaucoup des titres présentés dans ce disque ont été faits aux Studios Ganaro, près de Paris, par 3 hommes : Roger Roger, Nino Nardini, et Eddie Warner (aka Cecil Leuter, Georges Teperino et Peter Bonello). Travaillant jusque très tard dans la nuit dans leur fabuleux studio sous-terrain, utilisant des synthés ‘maison’, des clavecins distordus, des batteries au son filtré par un Moog, des percussions de l’espace et une basse funky, ils ont créé (comme le feront plus tard la ‘sainte trinité de la techno de Detroit’ : Derrick May, Kevin Saunderson et Juan Atkins) un nouveau genre de funk électronique.”

Le label français Born Bad consacre le deuxième volet de ses “Space oddities” (série de rééditions de library) aux compositeurs du Studio Ganaro.

Retrouvez sur le site de Born Bad un article présentant la compilation, accompagné d’une interview d’Hanelore Warner, veuve d’Eddie.

 

MONTPARNASSE 2000


MONTPARNASSE 2000
A démarré comme un label classique avant de se tourner vers la library, de 1968 à la mi 70s. Créé par André Farry, assisté de Louis Delacour (aka Pepe Luis). Il compte environ 130 références, auxquelles s’ajoutent la vingtaine de disques du label associé St-Germain des Prés (qui éditera en majorité des compositeurs italiens dont les prolifiques Piero Umiliani et Alessandro Alessandroni). Les sorties Montparnasse 2000 sont principalement jazz et pop, avec notamment Janko Nilovic, Daniel White, Camille Sauvage (aka Eric Framond).
Les titres de l’excellent multi-instrumentiste Janko Nilovic ont été réédités dans de nombreuses compilations, son travail est également compilé en CD, réédité aussi en vinyle. En particulier les (auparavant) très recherchés “Soul impressions” (MP 43, 1975) et “Rythmes contemporains” (MP 36, 1974).
Dommage que le clarinettiste Camille Sauvage / Eric Framond n’ait pas encore eu droit aux mêmes égards. Ses compositions pour Montparnasse 2000 et Mondiophone / Crea Sound sont à découvrir absolument dans une veine jazzy orchestral aux accents Morriconesques.

Eric Framond :

https://www.youtube.com/watch?v=LftWdCvAf4U

 


Janko Nilovic :

 

Et quelques autres figures de Montparnasse 2000 :

https://www.youtube.com/watch?list=PLeCLOaKQ6hbc0ZJQ4TSMaZmW363-7Bn3c&v=_uWNL8orPJ0



logo tele
Beaucoup d’autres labels français méritent plus qu’un détour.
Tele Music et les très bons albums électro-funk de Bernard Estardy, funky du contrebassiste Guy Pedersen (qui a aussi composé le thème musical de l’émission Thalassa), et presque trip hop de Tonio Rubio…

Le beau livre “Tele Music – Une anthologie – 50 ans” retrace l’histoire de ce label historique, en activité depuis 1966 !

Voici une interview de Remi Agostini, successeur de Roger Tokarz, fondateur de Tele Music.



MPI
Musique Pour l’Image et ses albums de grands noms du jazz et de la musique contemporaine, comme Martial Solal, Vincent Gemignani et les moins connus mais excellents Claude Vasori ou Fabio Fabor, associés à des pochettes en noir et blanc au design très pop.

Neuilly

Et Neuilly (et ses sous-labels Mondiophone et Crea Sound) qui va abriter quelques-uns des meilleurs albums de Roger Roger et Nino Nardini dans une veine plutôt expérimentale et électronique mais aussi jazzy.

Pour le plaisir (thème composé par Guy Pedersen) :

https://www.youtube.com/watch?v=DoUqLK07Z1Q

 

 

 

En ANGLETERRE :

L’Angleterre abrite des géants de la Library, DeWolfe, KPM et Chappell en tête, mais aussi Boosey & Hawkes, Bosworth, Conroy, Peer International Music Limited… Et en parallèle, citons le BBC Radiophonic Workshop, produisant en interne les musiques et illustrations sonores de leurs programmes.


lib dewolfe logo

MUSIC DE WOLFE
Un des labels les plus importants en terme de productions et d’influence dans tous les genres musicaux. Beaucoup des musiques utilisées dans les programmes des Monty Pythons, et de la télévision anglaise plus largement, proviennent du catalogue DeWolfe. On retrouve les inévitables Alan Hawkshaw, Alan Parker, Nick Ingman, et des noms plus familiers du grand public comme Stéphane Grappelli, André Ceccarelli, Basil Kirchin (dont certains albums ont été réédités chez Trunk)… Les pochettes sont elles aussi de qualité.

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Basil Kirchin & John Coleman – Mind on the run (Music De Wolfe ‎- DW/LP 2966, 1966)
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various – Hogan, the Hawk & DIrty John Crown (Music De Wolfe ‎- DW/LP 3243, 1972)

Voici une playlist très funky

https://www.youtube.com/watch?list=PLeCLOaKQ6hbfD0rxR51sFCduB_gzabtu7&v=4g6obN0aoSE

Et une compilation à emprunter :
Bite harder : The Music De Wolfe studio sampler vol.2 : the return of rare library breakbeats


Lib logo KPM

KPM
D’abord magasin de musique dès 1780 puis éditeur de partitions (comme DeWolfe), KPM ouvre une branche d’édition musicale en 1955 avec l’essor de la publicité et des médias audio-visuels. Le label va jouer un rôle important dans l’ouverture de la Library à une musique plus à l’écoute de son temps, voire aventureuse. Keith Mansfield par exemple, a insufflé une sensibilité psychédélique à ses orchestrations. Deux musiciens du groupe The Shadows ont été des artistes KPM importants : Brian Bennett, et surtout le pianiste Alan Hawkshaw, dont les productions funky ont été énormément samplées.

https://www.youtube.com/watch?v=PGNscKVAxqM

(Herbie Flowers & Barry Morgan – Light One / KPM 1088, 1971)

La souplesse de cette basse vous rappelle peut-être quelque chose… Herbie Flowers est à l’origine d’une des lignes de basse les plus reconnaissables du rock : Walk on the wild side de Lou Reed. Ce petit document va vous plaire :

 

Sur “New York trouble / Electric progression” sorti en 2014 sur Tummy Touch, les deux excentriques multi-instrumentistes Tim ‘Love’ Lee et Shawn Lee s’associent pour donner un second souffle aux obscurs et cultes enregistrements de Herbie Flowers et Barry Morgan pour KPM. Ils brodent autour des squelettes originaux avec respect, humilité et folie, pour nous offrir ces pépites de funk électronique débridé !

Vous pouvez l’emprunter chez nous :
Shawn Lee & Tim ‘Love’ Lee : New York trouble

RPM a édité en CD une compilation des titres d’Alan Hawkshaw contenant ses productions pour KPM :
Mo’Hawk : the essential vibes & grooves 1967-1975

BBC
Cette grande structure possède son propre studio et ses compositeurs maison. Leurs disques n’ont donc pas le même destin que ceux d’un label de Library puisqu’ils sont conçus exclusivement pour la BBC. Les travaux du BBC Radiophonic Workshop ont marqué l’imaginaire de générations de producteurs britanniques, avec Delia Derbyshire notamment, responsable du futuriste thème de la série Doctor Who.
Delia Derbyshire a aussi sorti sous le pseudonyme Li De La Russe plusieurs disques de Library, sur KPM avec Don Harper et Nikki St. Georges (aka Brian Hodgson, collègue du BBC Radiophonic) Workshop) : Electrosonic, KPM 1104, 1972, réédité par Glo-Spot en 2006 mais déjà épuisé… Et Electronic Music (sur Standard Music, ESL 104, 1969) avec Hodgson et Vorhaus (autre collègue).

BBC radiophonic music
BBC Radiophonic Workshop : a retrospective
John Baker : The John Baker tapes vol.1
John Baker : The John Baker tapes vol. 2


lib chaplogo

CHAPPELL
Probablement le label de Library avec le plus large catalogue, Chappell a été fondé en 1810 et sa branche d’illustration sonore en 1941. Des compositeurs plus ou moins prestigieux s’y sont illustrés, comme Ennio Morricone, Roger Roger, René Costy, Jean-Claude Petit, Jack Arel… De nombreuses séries se succèdent : Chappell Mood Music, Dance and Mood Music, Chappell Recorded Music et la remarquable série aux 4 références : TVMusic (en réalité un sous-label).

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The Machines – Electronic music (Chappell ‎- LPC 1055 , 1973)

 

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Johanna Group – Strange love action (Chappell ‎- CHA 006)

 

Le label Strut a sorti un volume de sa série consacrée à la Library au label Chappell :
Music for dancefloors : the cream of Chappell Music Library sessions

Un autre label à explorer :
Studio G, label auquel le label Trunk a consacré une belle compilation :
G-Spots : the spacey folk electro-horror sounds of the Studio G library


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En ITALIE :


CAM (Creazioni Artistiche Musicali)

lib cam

Créée en 1959 par les frères Campi. Catalogue très fourni, porté sur la musique expérimentale et électronique. Quelques artistes se détachent comme Marcello Giombini, Giampiero Boneschi, Jean-Pierre Decerf…

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Giampiero Boneschi
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Marcello Giombini

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

https://youtu.be/95D4oStNedM

Notez bien, Born Bad a démarré sa collection consacrée aux grands de la library française par une compilation de Jean-Pierre Decerf. La sélection est entre les mains d’Alexis Le-Tan, déjà compilateur des deux volumes de disco-Library “Space oddities” :

Space oddities : a collection of rare european library grooves from 1975-1984
Space oddities vol. 2 : a psychedelic journey through libraries

Jean-Pierre Decerf – Space oddities 1975-1979 : Compilation de titres enregistrés entre 1975 et 1979 pour les labels d’illustration sonore CAM, Patchwork, Chicago 2000, Pema, Montparnasse 2000

A explorer aussi : les labels Fonit, Gemelli

 

QUELQUES COMPOSITEURS IMPORTANTS

 

L’usage du pseudonyme est une pratique courante dans la Library. Qu’il s’agisse de cacher son nom lorsqu’on est connu, de le changer suivant le label pour lequel on compose, ce petit jeu de piste ravit certainement autant les artistes eux-mêmes que les collectionneurs, qui en ont vu d’autres.
Roger Roger (c’est son vrai nom) en est très friand par exemple. Selon l’humeur musicale ou l’humeur tout court il compose sous les pseudos de Cecil Leuter, Eric Swan, Dave Sarkys, Roger De Foy, Roger Davy (non confirmé)…
JANKO NILOVIC

Pianiste et compositeur français, il enregistre pour Montparnasse 2000 une vingtaine de disques dans les registres pop, jazz, classique et funk.

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Janko Nilovic

Une interview sur le site Scopia
Il interprète ainsi le regain d’intérêt pour la musique d’illustration : “Je pense que par rapport à la variété chantée des années 70, à la marginalité du jazz, au côté un peu triste et austère du classique, l’illustration tire sa force de son côté purement musical et instrumental, sans paroles parasites.”

Janko Nilovic : Impressions vol.2

Janko Nilovic 01 : Rééditions de trois albums enregistrés pour le label d’illustration sonore Montparnasse 2000 : “Pop impressions” (1972), “Soul impressions” (1974), “Super America” (1976)

 

BERNARD FEVRE

Compositeur et pianiste français. Il a enregistré un album sur L’Illustration Musicale, deux sur Musax, 2 pour April Orchestra / CBS (sous le pseudo Milpatte), et le cultissime ep Disco Club sous le pseudo Black Devil (avec Jacky Giordano). Redécouvert dans les années 2000, il sort en 2006 une nouvelle version de ses anciens morceaux sous le nom Black Devil Disco Club : 28 after (Lo Records), puis deux nouveaux albums en 2009 et 2011.

Retrouvez sur Maelström une interview de Bernard Fèvre, dans laquelle il revient sur son passé dans la library.

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Bernard Fevre

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Bernard Fèvre – The strange world of Bernard Fèvre (L’Illustration Musicale ‎- IM 23, 1977)

ROGER ROGER

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Roger Roger


Nom : Roger
Prénom : Roger
Né à Rouen en 1911 il a baigné dans un environnement musical avec une mère chanteuse d’opéra et un père chef d’orchestre. Il travaille très vite pour la musique dans le cinéma puis dans l’illustration sonore et crée avec Nino Nardini et Frank Gastambide les studios Ganaro, dans lesquels naîtront ce que l’on peut appeler des classiques de la Library. En particulier les volumes du label IM (L’Illustration Musicale) dont les disques portent à très juste titre la mention “the label of modern rhythms“. Il a enregistré sous son nom ou les pseudos Cecil Leuter, Eric Swan ou Roger De Foy un nombre incalculable de disques sur Chappell, IM, Neuilly dans des genres allant de l’easy listening orchestral aux expérimentations rythmiques, funky ou abstraites, avec toujours un goût prononcé pour les mélodies sucrées.
On attend avec impatience le biopic produit par Sony Pictures. En attendant résumons le personnage en une anecdote réductrice suivie d’extraits musicaux à mettre tout le monde d’accord.
(extrait traduit d’un post sur le blog de spécialistes : LibraryMusicThemes) “Roger Roger et Nino Nardini (Georges Teperino de son vrai nom) se sont rencontrés à l’école dans les années 1920, sont devenus très bons amis. Ensemble ils ont intégré et formé des Big Bands, et autres formations, ont rencontré Delacour (fondateur du label Neuilly), Camille Sauvage (aka Eric Framond), et Eddie Warner et se sont lancé dans l’aventure library. L’histoire se complique lorsque Roger Roger épouse la mère de Nino Nardini, son meilleur ami devenant son beau-fils. Tout ce beau monde dans la voiture, de retour du mariage, avec Roger et sa nouvelle femme de 35 ans son aînée, se trouvent Nino Nardini et Eva, maîtresse de Roger…

https://youtu.be/cYH0DcRZ568?list=PLeCLOaKQ6hbcpzeXecH5DIz864DHOXPQu

 

Roger Roger : Grands travaux
Roger Roger : Whimsical days
Nous ne possédons pas en CD les rares rééditions de ses travaux plus expérimentaux et électroniques, mais il est présent dans toute bonne compilation de Library qui se respecte, donc dans plusieurs de celles listées en fin d’article…

PIERO UMILIANI

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Piero Umiliani


Compositeur italien très prolifique, il a enregistré en parallèle des bandes originales traditionnelles et de la musique d’illustration, sous de presque innombrables pseudonymes. La raison de cette dispersion est peut-être plus administrative (droits d’exclusivité des labels) qu’exotique. Beaucoup de ses mélodies sont connues de tous. Bien plus que son nom :

Sa musique est à l’image de cette pastille colorée de 1968 (1er titre de cette playlist), associée plus tard au Muppet Show : ludique. Elle sait aussi se faire plus cérébrale (ici sous le pseudo M. Zalla par exemple), jazzy, ou co(s)mico funky…

Il a composé pour Omicron, Liuto et Sound Work Shop (labels qu’il dirige et dont le catalogue est exclusivement constitué de ses productions), et pour CAM, Vedette, St-Germain Des Prés…Piero’s pleasure : the touch of Piero Umiliani
Musicaelettronica vol. 1

ALESSANDRO ALESSANDRONI

Vous ne le savez pas mais vous l’avez déjà entendu siffler. Alessandro Alessandroni est le siffleur des B.O. d’Ennio Morricone, avec qui il a travaillé comme arrangeur. Il est l’auteur de nombreux albums de Library pour Cam, Canopo, Deneb, Coloursound entre autres.

https://youtu.be/lASVz40OMsE

 

 

QUELQUES COMPOSITEURS CONNUS PAR AILLEURS

 

Citons sans les présenter car d’autres s’en sont chargé :

Ennio Morricone, qui participe à plusieurs volumes de la collection April Orchestra present RCA sound, et aussi au mystérieux Gruppo di Improvvisazione Nuova Consonanza pour l’album psychédélique “The feed-back” (1970), vivement conseillé par le DJ et producteur éclectique et éclairé Gaslamp Killer.

Manu Dibango, sur l’album African Voodoo (PSI ‎- PSI 3036, 1972) et Africadelic (Crea Sound Ltd. ‎- 46507, 1973)

 

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Manu Dibango – African voodoo (PSI ‎- PSI 3036 , 1972)

Martial Solal : Locomotion (PSI ‎- PSI-X 20707, 1974), Action (Musique pour l’Image – MPI/LP 522, 1969)…

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Martial Solal – Locomotion (PSI ‎- PSI-X 20707, 1974)

André Ceccarelli : Rythmes (Music De Wolfe ‎- DWS/LP 3328, 1976)

Vladimir Cosma avec plusieurs albums pour Musique pour l’Image.

Joel Vandroogenbroeck (du groupe Brainticket) : plusieurs albums sur le label allemand Coloursound.

Teddy Lasry (de Magma), pour les labels Patchwork, Sonimage, Koka Media.

Ron Geesin (qui a participé au “Atom heart mother” de Pink Floyd) : un album d’expérimentations électroniques intitulé ‘Electrosound‘ (KPM 1102, 1972)

Vincent Gemignani : Musique pour un voyage extraordinaire (Musique Pour L’Image ‎- MPI/LP 535, 1972)

Citons encore Laurent Voulzy (Standard Music Library ‎- ESL 134, 1975), Jean-Jacques Debout (pour Tele Music, notamment), Bernard Parmegiani : Chants magnétiques (PSI ‎- PSI-X 20705, 1974), John Renbourn (KPM 1203), Pierre Bachelet, Stéphane Grappelli…

LES PLUS SAMPLES

 

Quelques notes ou breaks sortis de l’ombre

Il est naturel pour les producteurs de hip hop ou de musique pratiquant le sampling de se tourner vers les disques rares. Utiliser les rythmiques de James Brown est soit trop cher, soit trop convenu. Le corpus de la library music offre donc un nouveau terrain de jeu aux recycleurs de groove, avec le double cachet inespéré du vintage et de l’inédit ! Plus pour longtemps car bien sûr internet a permis de mutualiser ce défrichage sonore. Parmi les labels connus, rares sont les références qui ne sont pas disponibles sous forme digitale (fût-elle illicite). Mais ça ne suffira pas au collectionneur, que l’écoute en ligne permettra d’aiguiller vers les pépites, et frustrera dans le même temps car les disques s’échangent à des prix prohibitifs. Paradoxal pour des disques édités précisément dans l’optique inverse : être une matière première sonore peu coûteuse !

Janko Nilovic offre beaucoup de matière à sample comme en témoigne cette liste, sur le site WhoSampled. : Beatnuts, Raekwon, Notorious BIG…

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Janko Nilovic – Rythmes contemporains (Montparnasse 2000 – MP 36, 1974)

Alan Hawkshaw subit le même traitement : Wiz Khalifa, Onyx, Percee P, Kool G Rap…

Jack Arel & Jean-Claude Petit « psychedelic portrait » (Chappell / Dance & Mood Music 003, 1967). Apparaît dans l’épisode ‘the girl who was death’ du prisonnier.
Samplé par : EPMD, Four Tet, Czarface…

Sven Libaek (australien) “Misty Canyon” (P.I.L 9006 « My thing »)
Samplé par : Madlib, DangerDoom, Metaform, Karminsky Experience…

Jeffries/Carewe/Grieg « evil at play » (Chappell AV 011, 1986) va – Atmospheric – Vocal
Samplé par Aphex Twin – Xtal

Michel Gonet – Flower dance (TM 3067, 1976)
Samplé par : Promoe, Joe Budden, Roc Marciano, Nature…

 


Qui a samplé Piero Umiliani ?
Qui a samplé Nino Nardini ?
Qui a samplé Bernard Fèvre ?
Qui a samplé Brian Bennett ?
Qui a samplé Jack Arel ?
Qui a samplé Jean-Jacques Perrey ?

Dans cette vidéo, Gaslamp Killer nous présente sa collection de vinyles et s’enthousiasme pour quelques disques de Library (vers 10:15, 12:00)

 

ESTHETIQUE DE L’ANONYMAT


Des séries minimalistes

Pas de star sur la pochette, pas de nom parfois. Juste un numéro de référence, un titre, une couleur. La plupart des labels de library adoptent une esthétique minimaliste ou ont au moins une partie de leur catalogue ainsi habillé.
Ce design nous apparaît rétroactivement très élégant, mettant en avant une typographie, une idée simple, un code couleur ou un langage géométrique.
Un livre intitulé ‘The Music Library’ (déjà évoqué plus haut) sorti chez Fuel en 2005 à l’initiative de Johnny trunk rend superbement hommage à cette imagerie. Tout comme les disques qu’il nous présente, il a été édité (à dessein, quel farceur) en très peu d’exemplaires, il est aujourd’hui épuisé.
Quelques pages sont à découvrir sur le site de Trunk

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The Music Library / Johnny Trunk (Fuel, 2005)

Voici quelques exemples de design de pochettes library (imaginez des séries entières avec ce même visuel)…

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BOOSEY & HAWKES (GB)
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CONROY (GB)
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SONIMAGE (FR)
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KPM (GB)
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CHAPPELL (GB)
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TELE MUSIC (FR)
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ILLUSTRATION MUSICALE (FR)
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APRIL ORCHESTRA (FR)
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CAM (Italie)
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SELECTED SOUND (Allemagne)
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MONTPARNASSE 2000 (FR)
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various – Rhombus ‎- RM 1051 (1973)

Des visuels marquants

Certains labels abandonnent provisoirement leur uniforme pour enfiler un costume de scène, d’autres ne s’habillent que façon carnaval. Voici quelques pochettes un peu moins austères :

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Camille Sauvage – Fantasmagories (Montparnasse 2000 – MP 33)
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Nick Ingman – Big beat (Music De Wolfe ‎- DWS/LP 3285, 1973)
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Nino Nardini – Jungle obsession (Neuilly ‎- MC 8009, 1971)
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Eric Peters – Music for synthesizers (Studio G ‎- LPSG 3009, 1978)
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Various – Changing patterns (Music De Wolfe ‎- DWS/LP 3305, 1975)
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Mad Dog – Pop sounds (Chappell ‎- LPC 1053, 1973)
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Richard Eldwyn ‎- Jazz Pour L’Action (Musique Pour L’Image ‎- MPI/LP 524, 1969)
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Yvon Rioland & Jean-Marie Hauser ‎- Discoritmo (Crea Sound – 46546, 1979)
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Nino Nardini – Musique pour le futur (Neuilly ‎- MC 8001, 1970)
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H. Tical – Modulations (Musique Pour L’Image ‎- MPI/LP 537)

Les belges radio Soulwax (2Many DJs) ont publié en 2010 un mix 100% library music, accompagné d’un clip mettant en valeur ces pochettes :

 

ENTRE HERITAGE ET RENOUVEAU


Labels de rééditions et archéologues

Trunk Records joue un rôle important dans la mise en lumière des musiques de l’ombre. Il a réédité, compilé et contribué à réhabiliter Basil Kirchin, Sven Libaek, John Baker, Dudley Simpson, le label Studio G… Le label ne se limite pas à la Library, et propose à nos oreilles les curiosités les plus croustillantes.
Visitez donc son site !

Finders Keepers est un autre label foutraque de rééditions exotiques et inattendues d’obscures B.O et d’improbables bricoleurs, de pionniers involontaires…

Les disparus Vadim Music et Dare Dare ont eux aussi réédité quelques pépites, à traquer d’occasion car épuisés.

Les artistes s’inspirant de l’esthétique library

Le label Ghost Box emprunte au monde de la Library son esthétique (graphique et musicale). Fondé par Jim Jupp et le graphiste Julian House, le label est rattaché à la scène “hauntology / hantologie” (le passé dans le présent, pour faire court) décrite par Simon Reynolds dans son livre Retromania.

Retrouvez ici notre article consacré à l’Hantologie !


Harmonic 33 : Music for films, television and radio volume 1 (Warp, 2004)

 

DISCOGRAPHIES

 

A la BML
Discographie complémentaire. Quelques compilations en CD à emprunter chez nous :

Barry 7’s connectors : 21 rare library tracks
Nuggets : Luke Vibert’s selection : 28 rare and unreleased tracks
All killer : Finders Keepers Records 1-20 mixed by The Gaslamp Killer
Blow up presents exclusive blend 1 (essentiellement du catalogue KPM)
Kaleidoscopica : Obsessive psychedelic, funk-beat 70’s italian music library
Music for dancefloors : the cream of the Bosworth Library sessions
Stereo ultra : a collection of 70’s furious French soundtracks
Stereo ultra 2 : a collection of French music library 1969-1973
Stereo ultra 3 : another collection of fat & funky music library 1970-1982
Inner city beat : detective themes, spy music and imaginary thrillers
Cinemaphonic : electro soul
Cosmic machine : a voyage across French cosmic & electronic avant-garde 1970-1980
Jack Arel : originals & remixes : Chappell recorded music library works


Listes sur les bases de données musicales :

Discographies sur Rate Your Music (RYM)
Une belle sélection plutôt orientée électronique
Une liste de classiques
Un classement des meilleurs albums de library (vote des utilisateurs de Rate Your Music)
Une liste de compilations par pays
Une liste RYM de 36 compositeurs avec une micro-bio

Discographies sur Discogs
Background music library favourites
Rarest vinyl libraries & soundtracks

 

LIENS ET BLOGS


Un article d’Olivier Lamm, paru dans la revue Tracks en septembre 2009.
4 interviews datant de 1980 avec des responsables des labels KPM, Bruton, Montparnasse 2000 (en français) et Boosey & Hawkes. Very interesting / très intéressant.
Une critique en français sur Des Oreilles Dans Babylone de ‘Music for dancefloors : the cream of the Chappell Music library sessions’ avec un petit topo sur la library.
Un article de Pitchfork : The strange world of library music (il contient un petit historique et une sélection de morceaux cultes).
Un article du Guardian : the lost geniuses of library music.
Le forum des geeks (en anglais) : Library Music Themes.
From Bibliothèque to Discothèque
Wonderful world of libraries
Un article passionnant sur le webzine The Believer.

Les BLOGS : Que ferait-on sans Maïorov Simpleton, Dusty Shelf, Flash Strap, Marsellus Wallace’s Crate Favorites… ?
La note finale à Derek Scott :

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4 thoughts on “Library Music”

  1. Emmanuel Gentilhomme dit :

    Un grand merci pour cette page aussi didactique que bien conçue et richement illustrée ! Bref, chapeau.

  2. Debost Cyril dit :

    Super article m’ayant permis de découvrir les artistes de musiques que j’aime depuis longtemps, et surtout un monde nouveau, qui me grattait le dos depuis toujours mais que j’arpente enfin grâce à Internet…

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