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Urgence climatique et écologie sociale

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 06/06/2023 par SAMI

« Nous sommes sur une autoroute vers l’enfer climatique, avec le pied toujours sur l’accélérateur ». C'est avec cette phrase qu'Antonio Guterres annonça à l'issue de la publication du 6eme rapport du GIEC, les effets du changement climatique sur les sociétés humaines. Appelant de ses vœux « un pacte historique entre économies développées et émergentes » le secrétaire général de l’ONU relayait également ce constat : le changement climatique accentue les inégalités sociales. Face à cet inéluctable creusement des injustices, nombre d' intellectuel.le.s réactualisent l'idée d'une écologie sociale. Une écologie invitant à une transition plus rapide et plus inclusive. Petit tour d'horizon de quelques parutions fédératrices.

folsom lake drought - Vince Mig
folsom lake drought - Vince Mig

Des disparités toujours plus grandes entre Nord et Sud

Le  Réseau Action Climat (une fédération d’associations nationales et locales qui luttent contre les causes des changements climatiques, à l’échelle locale et internationale) fait le même bilan, mettant en évidence les disparités entre les pays :

La mortalité due aux inondations, à la sécheresse et aux tempêtes a été jusqu’à 15 fois plus élevée dans les pays du sud au cours de la dernière décennie. Or ce sont ceux qui contribuent le moins aux émissions mondiales de GES (gaz à effet de serre) ” .

Il en est de même sur le blog de Thomas Wagener -alias Bon pote – , qui n’a de cesse de nous sensibiliser via son blog et les réseaux sociaux sur les risques environnementaux…Ou quand une infographie vaut mieux que de grands discours :


Toutes ces vulnérabilités (pénuries, catastrophes, conflits armés, etc..) rendent les conditions de vie de centaines de millions d’individus impossibles, les obligeant à quitter leur région, leur pays, leur famille. D’après le haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés c’est près de 1, 2 milliards de personnes qui pourraient être forcées de se déplacer d’ici 2050.

Alors que ces chiffres peuvent susciter découragement, peur ou déni, des auteurs et autrices nous aident à re-politiser l’écologie et à en faire un récit dans lequel existe une convergence des luttes.


Une écologie anticapitaliste

Les travaux présentés ci-dessous sont largement influencés par le mouvement d’écologie sociale initié dans les années 50, par Murray Bookchin.

Pour ce dernier, souvent présenté comme un anarchiste libertaire (dans la lignée de Pierre Kropotkine), le lien entre problèmes sociaux et problèmes écologiques est quasi indissociable. Le capitalisme saccageant tout autant les écosystèmes que les individus inscrits dans des rapports de domination.

Face à la marchandisation généralisée et contre cette domination de l’Homme sur l’Homme et sur la “Nature”, Bookchin prône une écologie politique et une émancipation sociale. Une émancipation qui passe par le communalisme, ce mode de démocratie directe qui invite à la création de “fédérations” (de quartiers, de villages, etc..) loin d’un pouvoir centralisé et étatique.

Aujourd’hui, nous voyons combien la pensée de Boockhin résonne auprès des militant.e.s et activistes écologiques qui s’évertuent à construire de nouvelles organisations sociales à l’exemple de la ZAD de Notre-Dame des-Landes ou du Rojava kurde.

De récentes parutions rejoignent les fondements de cette écologie sociale basée sur une lutte contre le système capitaliste.

Le mode de vie impérial ” d’Ulrich Brand et Markus Wissen (ed. Lux, 2021)

Les auteurs développent dans cet essai, sous-titré « vie quotidienne et crise écologique du capitalisme » une idée centrale pour penser une écologie solidaire : nous vivons toutes et tous dans un système impérialiste que nous avons intériorisé.

L’impérialisme a longtemps réussi à rendre invisible ce que les auteurs appellent « les ailleurs » (lieux où se trouvent les ressources naturelles et où sont exploités les gens qui extraient ces mêmes ressources. Ce qui « permet » à tout un chacun de continuer de vivre sans mal, dans un système consumériste :

Nous employons le mot ‘ailleurs’, plutôt vague, de façon délibérée. Au moment de leur achat et de leur utilisation, de nombreux objets du quotidien résultent d’activités qui sont invisibles… C’est cette invisibilité des conditions sociales et écologiques qui permet aux consommateurs de considérer la disponibilité spatio-temporelle illimitée comme allant de soi “.

Pour autant, les deux universitaires n’entendent pas culpabiliser les individus issus des pays du Nord, ni les classes moyennes émergentes des pays du Sud qui aspirent à ce mode de vie « impérial ». Ils souhaitent plutôt montrer que la crise écologique croissante, marque la fin de cette invisibilisation. Les rapports de domination étant de plus en plus violents et le mode impérialiste ne pouvant être universalisé, une conscience écologie solidaire doit advenir :

« Face à un désordre social croissant et à des externalisations de plus en plus violentes, il faut reconnaître l’urgence de mettre en place des alternatives viables, qui puissent engendrer un mode de vie solidaire, fondé sur la justice (tant sociale qu’écologique), la paix et la démocratie ».

Des tentatives de déconstruction de ces rapports de domination existent partout, les récentes luttes militantes contre les ultra-riches et les multinationales, menées entre autres, par l’association “Notre affaire à tous” en attestent. Alors que la rédaction de Socialter se demande si il faut “manger les riches ? “, dans son essai “Fin du monde et petits fours : les ultras-riches face à la crise climatique“, Edouard Morena met à jour la poursuite de cette domination capitaliste dans la transition écologique et énergique. Ce sont aujourd’hui ceux qui détiennent le pouvoir économique qui orientent notre avenir et l’environnement :

 “la responsabilité des élites dans la crise climatique ne se limite pas à leurs modes de vie carbonifères ou à certaines attitudes de repli dans des bunkers : ils ont pris la barre du bateau, d’où ils orientent les politiques de transition bas carbone”.

Site Reporterre : article « Les ultrariches ont la mainmise sur les politiques climatiques » du 28 janvier 2023

Face à une transition énergétique si peu discutée démocratiquement, le récent ouvrage, Plurivers – un dictionnaire du post-développement- (ed. Wild Project, 2022) nous permet de cheminer -au travers d’une centaine d’entrées- sur la voie d’ “initiatives transformatrices“. Offrant à la fois une perspective historique et une ouverture vers de nouvelles alternatives et d’autres sensibilités au vivant, on retrouve développées dans ces pages, les concepts de monnaies alternatives, d’écosocialisme, d’écosystèmes coopératifs , de souveraineté alimentaire ou du “Kametsa asaike” (philosophie autochtone du peuple ashaninka de l’Amazonie péruvienne).


Une écologie intersectionnelle

Écologies : le vivant et le social ” coordonné par Philippe Boursier et Clémence Guimont (ed. La Découverte, 2022)

Cet ambitieux ouvrage collectif et transdisciplinaire mêlant sciences du vivant et sciences sociales et humaines, dresse également un inventaire de pensées écologiques émancipatrices qui refusent les rapports de domination entre différents groupes sociaux.

Les auteurs et autrices reviennent sur le mirage du capitalisme vert qui ne fera que perpétuer un système d’exploitation et appauvrira toujours plus les sols, le vivant et les populations les plus fragiles des pays du Sud, ou les classes sociales défavorisées des pays occidentaux.
Refusant de séparer les luttes locales des luttes globales, on retrouve ainsi parmi ces contributions, des chapitres consacrés à la santé physique et psychique des agriculteurs en France, ou aux criminels climatiques (compagnies à la tête de méga-exploitations charbonnières et géants pétroliers entre autres).
L’ouvrage consacre aussi une écologie luttant contre le racisme environnemental avec les travaux de Malcolm Ferdinand sur l’affaire du chlordécone (un insecticide interdit en France, mais utilisé pendant plusieurs décennies aux Antilles, pour lutter contre le charançon du bananier).
Les femmes étant les premières victimes de l’exploitation patriarcale de la nature, on retrouve également des contributions sur l’écoféminisme, portée entre autres par Vandana Shiva ou plus récémment par Cara New Degget dans son ouvrage “Petromasculinité”


Une écologie populaire

Pour une écologie pirate : et nous serons libres ” de Fatima Ouassak (ed. La Découverte, 2023)

Fatima Ouassak est politiste et milite en Seine Saint Denis. Elle a publié en 2020, La puissance des mères : pour un nouveau sujet révolutionnaire et est une des voix d‘une écologie souhaitant inclure les quartiers populaires dans les discours écologistes. Les classes populaires tout comme les populations des pays du Sud sont touchées de plein fouet par la crise écologique. Les conditions de vie face au COVID, aux canicules, et aujourd’hui à l’inflation, le démontrent sans mal.

Afin d’éviter une fracture sociale toujours plus dangereuse, ce que défend avant tout Fatima Ouassak ce sont des droits fondamentaux, souvent oubliés dans les discours sur la transition écologique : la liberté de circuler, de respirer et de bien manger, pour toutes et tous.

Selon elle, face à une crise écologique et migratoire sans précédent, il faut repenser une écologie internationaliste et réellement humaniste et solidaire. L’ethnologue Igor Babou illustre un propos similaire, en étudiant la vie d’un squat à Noisy-le-Sec. Dans son essai, “l’écologie aux marges“, il donne à voir une organisation solidaire entre la population du quartier et des militant.e.s qui acquièrent ensemble des savoir-faire, afin de mieux vivre et de retrouver des formes d’émancipation (cuisines partagées, ateliers de réparation, collaboration avec une Amap).

Jean-Baptiste Comby et Sophie Dubuisson-Quellier sont sociologues et analysent dans Mobilisations écologiques (ed. Puf / la vie des idées, 2023) , cette multiplication des luttes qui tend à élargir le front écologiste aux classes populaires. La difficulté de conciliation entre ces différents mouvements écologistes est réelle certes mais la reconfiguration de ces mobilisations est en cours… nous donnant des raisons d’espérer ?

Apparu à l’automne 2018 en réaction à la mise en œuvre d’une taxe carbone, le mouvement des Gilets Jaunes, permet d’explorer le cas d’une mobilisation autour d’enjeux écologiques qui a rassemblé retraités et chômeurs aux côtés de la frange précarisée des actifs. Ici ce qui mobilise c’est un sentiment d’injustice lié au désajustement entre les efforts demandés par les politiques climatiques aux différents segments de la population et leurs contributions différenciées aux dégradations écologiques. Ce cadrage proprement populaire a fortement contribué à l’extension des enjeux de justice sociale associés à la crise écologique“.

Pour aller plus loin :

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