Survivalisme : survivre aux crises

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 06/06/2020 par AB

Tout peut arriver, se préparer au pire

Survival Under Atomic Attack
Survival Under Atomic Attack

Les survivalistes sont parfois présentés comme des paranoïaques, armés jusqu’aux dents, entourés de conserves, attendant la fin du monde dans un bunker pour nous tirer dessus.
Si cela peut exister, les profils des survivalistes sont en réalité bien plus divers. Ce sont des personnes qui se préparent à faire face à des crises. Cela va de la perte de son emploi… jusqu’à une catastrophe nucléaire, en passant par une pandémie mondiale. L’actualité semble leur donner raison. Il est probable qu’ils n’ont pas dévalisé les magasins à l’annonce du confinement contre le SARS-CoV-2, ayant déjà des stocks de tout. Précaution judicieuse quand la farine, les pâtes et les œufs se font rares, quand l’aspirine ou le papier toilette paraissent plus précieux que l’argent.

 

Origines du survivalisme

Ce mouvement se développe aux États-Unis durant la guerre froide, dans un contexte de risque d’attaque nucléaire. Il est d’extrême droite, d’inspiration libertarienne, anticommuniste et raciste. Pour les survivalistes de l’époque, les dangers qui les menacent sont l’URSS et les noirs américains, dont le combat pour leurs droits civiques risque de faire perdre leurs privilèges aux blancs. Pour se protéger, ils vont s’armer et construire des bunkers.

Au tournant des années 2000 apparaît le néosurvivalisme. Les personnes qui s’en réclament se font appeler preppers (de prepping en anglais : diminutif informel de « se préparer »). Ils souhaitent se démarquer de l’image extrémiste associée au survivalisme.

Vivre à la campagne John SeymourLes survivalistes aujourd’hui mettent en avant l’idée d’autosuffisance. Il s’agit pour eux d’être capables de vivre sans dépendre de la société qui les entoure, au cas où leur vie y deviendrait impossible. L’indépendance totale est difficile à atteindre, mais en stockant les biens indispensables (nourriture, médicaments, masques…) ils se prémunissent contre le risque de rupture de l’approvisionnement en cas de crise, dans une société du juste-à-temps (mode de gestion de la production qui vise à supprimer les stocks pour économiser leur coût). La recherche d’autonomie les amène à vouloir produire eux-même ce dont ils ont besoin. Ils chercheront alors à cultiver leurs propres aliments, avoir un potager, des poules au fond du jardin. Une des bibles des survivalistes actuels est Revivre à la campagne de John Seymour, aussi auteur de The Fat of the Land : Family Farming on Five Acres. L’autosuffisance c’est aussi acquérir des savoir-faire, apprendre les gestes qui sauvent, savoir faire son pain, réparer son véhicule, démarrer une voiture sans clés etc.

Elever des poules Catherine DupinCette double influence, des origines libertariennes et d’extrême droite, à la volonté plus récente d’autosuffisance et de retour à la nature, explique l’éventail des profils de survivalistes. Certains sont des militants de la National Rifle Association et d’autres des néoruraux. Les deux se mélangeant parfois, donnant alors l’image de hippies avec des armes.

 

Pourquoi les survivalistes se préparent-ils ?

Le salon du survivalisme qui devait se tenir du 20 au 22 mars 2020 a été annulé à cause de l’épidémie de SARS-CoV-2. Les survivalistes y voient une validation de leurs thèses.

Certes, les civilisations sont mortelles, en attestent les ruines antiques et les cités mayas envahies par la végétation. Mais sans aller jusqu’à prévoir la fin du monde tel que nous le connaissons, les générations passées, qui ont connu guerres, épidémies, mauvaises récoltes et crises économiques majeures, avaient pour habitude de faire des réserves de nourriture.

Les risques qu’ont connu nos aïeux se sont considérablement éloignés avec les progrès de la médecine (la variole fut éradiquée en 1980 grâce à une politique de vaccination généralisée), l’industrialisation de l’agriculture et la stabilité politique et économique des pays occidentaux. Au point de ne plus savoir faire face à l’imprévu, de penser que tout est sous contrôle, et de se croire à l’abri ? Avons-nous un faux sentiment de sécurité ?

Les catastrophes n’ont pas disparues. Accident nucléaire à Fukushima, épisode cévenol provocant des inondations, coupures d’électricité suite à une tempête, ouragans aux États-Unis, obligent les habitants à quitter leur logement, ou à vivre sans eau chaude, coupés du monde extérieur.

Guide de préparation aux situations d'urgence Kathy HarrisonGouverner c’est prévoir, et les gouvernements savent que des crises peuvent arriver. La France donne ainsi des conseils pour anticiper les risques majeurs. Par exemple, avoir un kit de secours en cas d’évacuation d’urgence de son domicile, comprenant une trousse médicale, des barres de céréales… ce que font tous les survivalistes dignes de ce nom.

Plus extrême, la Suisse possède 360 000 abris antiatomiques, le plus grand comptant 20 000 places. En cas d’hiver nucléaire, les survivants qui relanceront l’humanité seront suisses.

Certaines des personnes les plus fortunées de la planète sont d’ailleurs prêtes pour affronter l’apocalypse. Elles achètent des bunkers, des îles privées pour s’isoler du chaos à venir. Les crises accentuent les inégalités, mais si la fin du monde arrive, les riches auront peut-être le privilège d’être les derniers a mourir de faim.

Comment tout peut s'effondrer Pablo ServignePour certains d’entre eux, les survivalistes se préparent à un effondrement du monde. Mais les crises peuvent être de toutes sortes. Elles sont aussi locales, temporaires, personnelles. Ce sera une panne ou un accident de voiture, une agression, un incendie, un cambriolage, une baisse de revenu suite à une perte d’emploi ou une maladie… Ils font des stocks de pâtes pour quand les temps seront durs, mais pas seulement.

Pour faire face aux aléas de la vie, ils prévoient différents niveaux de réponse :

L’Every-Day Carry. C’est ce que l’on porte sur soi en permanence. Selon les personnes, ce sera leur téléphone portable, un couteau suisse, une bombe lacrymogène, du sparadrap, un sac plastique pour comprimer une plaie, du gel hydroalcoolique… Dans son véhicule ce seront des câbles de démarrage en cas de batterie à plat, une couverture de survie… ou un plaid.

Les Bug Out Bags sont des sacs d’évacuation permettant de rester en vie pendant au moins trois jours. Ils peuvent contenir ses médicaments si l’on suit un traitement régulier, des petits pots pour ses enfants en bas âge… c’est le kit de secours préconisé par le gouvernement.

Si la situation se complique, la Base Autonome Durable est un lieu de résidence reculé et sécurisé permettant de produire sa nourriture de façon autonome.

 

Philosophie survivaliste

Dangers et urgences Bear GryllsLes nombreuses fictions ayant pour thème la survie exagèrent les risques et les situations de danger. Films et séries post-apocalyptiques, robinsonnades et émissions de télévision de type Koh-Lanta envahissent nos écrans. Mais les survivalistes ont d’autres préoccupations que d’échapper aux zombies.

Ils prennent au sérieux les questions écologiques et les avertissements des collapsologues. Ils pensent que les modes de production et de consommation que nous connaissons, carbonés et polluants, ne sont pas tenables. Que la course au profit envoie le monde dans le mur. Contre le consumérisme et le tout jetable, ils font le choix du recyclage et de la décroissance. Ils diversifient leur approvisionnement énergétique en installant des panneaux solaires. Ils font le choix de la permaculture et d’une alimentation saine et sans pesticides.

Le guide de la survie douce en pleine nature François CouplanMais à vouloir se libérer du système actuel, le risque est grand de nier la complexité et l’interdépendance qui caractérise nos sociétés. Les forums survivalistes regorgent de conseils pour vivre en quasi-autarcie, pour se soigner avec des plantes, voire pour survivre en pleine nature, hors de la civilisation.

Les survivalistes se considèrent comme des personnes mieux informées et mieux préparées que le reste de la population. Ils sont conscients que le monde est malade et ils sont prêts à affronter la catastrophe qui ne manquera pas d’arriver. La tentation existe de croire qu’une fois la crise passée, ils reconstruiront la société sur des bases nouvelles, fondées sur leur philosophie. Elle peut prendre la forme d’un retour à un mode de vie passé, largement fantasmé, d’avant un progrès destructeur pour la nature et pour les relations humaines. Une nature préservée, des rapports sociaux assainis, un monde débarrassé de ses éléments perturbateurs.

Libération : témoignages de survivalistes.

Les scientifiques préviennent la planète des risques de pandémie depuis des décennies.

Danse macabre

Danse macabre

Des épidémies de choléra ont ravagé les populations par le passé. La peste (qui sévit toujours et dont aucun vaccin n’est efficace) a tué un européen sur trois en cinq ans, entre 1347 et 1352. Plus près de nous, la « grippe espagnole » de 1918, la « grippe asiatique » de 1957 et la « grippe de Hongkong » en 1969 ont fait de nombreuses victimes. La déforestation a favorisé l’apparition de zoonoses telles que le SRAS en 2002-2003 ou Ebola en 2014. SARS-CoV-2 et MERS-CoV aujourd’hui. Leur propagation a été facilitée par l’essor des échanges internationaux. La communauté scientifique nous a alerté sur les dangers de ces maladies émergentes. Sans parler des maladies contagieuses toujours meurtrières, telles que la rougeole en Afrique, et l’épidémie en cours de HIV.

guide de la survie en ville TribaudeauLes survivalistes écoutent avec attention ces avertissements. Leur vigilance amène certains à une défiance envers les institutions et les gouvernements. Ils ne leur font pas confiance pour anticiper et gérer les crises, et ils ne croient plus en l’action collective. Ce désengagement pousse à un repli sur leur sphère personnelle ou leur communauté. Ils encouragent cependant leurs proches à se préparer eux aussi. Pessimistes par nature, ils n’ont pas forcément la volonté de changer un monde qui leur paraît déjà condamné.

Biohazard

Biohazard

Cette défiance envers la parole officielle, poussée à l’extrême, peut mener à des peurs irrationnelles et à voir des complots partout. Si l’on ajoute à cela la crainte des dérives du progrès et de la science, cela donne des rumeurs affirmant que le virus du SARS-CoV-2 a été créé en laboratoire. Le début classique de tout bon film de zombie. Comme souvent, ces rumeurs se fondent sur une réalité tronquée.

manuel de survie Colin TowellL’avenir est incertain. Pour parer à toute éventualité, des survivalistes choisissent de s’armer, dans le respect des législations nationales. Le survivalisme est né aux États-Unis et cela a influencé les survivalistes du monde entier. Le deuxième amendement de la Constitution états-unienne garantit à tout citoyen américain le droit de porter des armes. Cette spécificité s’explique par des raisons historiques. Suite à leur guerre d’indépendance contre la monarchie britannique, les américains ont gardé une méfiance vis-à-vis de tout pouvoir centralisateur. L’État fédéral est toujours soupçonné de vouloir désarmer le peuple pour lui imposer sa volonté. Les milices paramilitaires d’aujourd’hui se revendiquent des minutemen d’origine. La culture des armes est si présente que pendant le confinement, la National Rifle Association a saisi la justice pour réclamer que les armureries soient considérées comme des commerces de première nécessité.

 

Sommes-nous prêts pour la fin du monde ? : Enquête sur le survivalisme, conférence de Bertrand Vidal, organisée par la Bibliothèque municipale de Lyon.

 

Stay safe !

 

Pour aller plus loin :

  • In My Room, film de Ulrich Kohler. Armin mène une vie morne et sans surprise. Il se réveille un matin et tous les êtres humains se sont volatilisés. Il décide de prendre un nouveau départ. Même seul au monde, cette liberté totale lui convient parfaitement. Mais tout ne se passe pas comme prévu…
  • Les combattants, film de Thomas Cailley. Madeleine se prépare à une catastrophe mondiale qu’elle sait inéluctable. Elle rencontre Arnaud qui va la suivre dans son périple. Une relation forte se construit peu à peu entre eux.
  • Dans la forêt, roman de Jean Hegland. Alors que la civilisation s’écroule autour d’elles, Nell et Eva, deux adolescentes, se retrouvent livrées à elles-mêmes dans leur maison perdue dans la forêt. Portées par leur passion pour la danse et l’écriture, elles luttent pour survivre et découvrent les richesses de la nature.
  • Ma vie dans les bois, manga jeunesse de Shin Morimura. L’auteur raconte son installation à la montagne avec sa femme, dans une cabane sans eau courante ni électricité. Au programme : récolte du miel, pêche, culture du potager et fumage des aliments. Drôle et instructif.
  • Vol west, blogueur survivaliste
  • Réseau Survivaliste Francophone
  • France télévision : série documentaire Survivre
  • France culture : La fin du monde et nous. Tous survivalistes ?
  • Slate : L’apocalypse va-t-elle arriver, et si oui, peut-on s’en protéger ?
  • Slate : Douze scénarios sérieux de fin du monde

 

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