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Un autre code du travail favorable aux salariés

Loi travail

- temps de lecture approximatif de 8 minutes 8 min - Modifié le 17/05/2017 par Olivia Alloyan

La réforme du code du travail est dans l'air. Des universitaires ont choisi de relever le même défi que les législateurs en travaillant à la rédaction d'un autre code du travail plus protecteur envers les salariés. Lors d'une conférence de presse donnée le 2 mars 2016 à Paris, les chercheurs ont dévoilé leur premier chapitre, consacré au temps de travail. Quels sont ces volontaires mettant leur expertise juridique au service du bien commun ? Une vingtaine d'universitaires, issus de tout le territoire, réunis autour du professeur de droit du travail de l’université Paris Ouest-Nanterre Emmanuel Dockès. Leur objectif : un chantier juridique inédit étalé sur plusieurs mois proposant une alternative progressiste parallèle à la réforme en cours du droit du travail.

Le travail, toujours recommencé. (pixabay)

There Is aN Alternative !

De nombreuses voix réclament – et ce depuis quelques années – une réforme du droit du travail en France passant par une refonte du code du travail. Des rapports, des tribunes, des essais de juristes et d’économistes semblent unanimes sur l’inadéquation entre les normes sociales et les besoins des employeurs, des salariés ou des chômeurs. Parmi eux, on peut trouver différentes orientations relayées par un éventail large de médias. Ainsi, l’actualité éditoriale offre un large choix de propositions qui, si elles ont toutes plus ou moins les mêmes objectifs, n’ont pas le même contenu. Loin s’en faut. Parmi eux, on peut citer parmi certains ouvrages, Un autre droit du travail est possible, de Bertrand Martinot et Frank Morel, Il faut sauver le droit du travail de Pascal Lokiec, Critique du droit du travail, d’Alain Supiot ou encore Le travail et la loi de Robert Badinter.

Alors que le projet de “loi travail” vient d’être adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 6 juillet, après que le gouvernement a recouru à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (dit « 49.3 »), des universitaires (*), issus de dix universités, auteurs d’une trentaine d’ouvrages de référence ont constitué le groupe de recherche baptisé GR-PACT (Groupe de recherche Pour un autre code du travail) a pour ambition de “démontrer par l’exemple qu’il est possible de faire plus court, plus clair, plus protecteur et mieux adapté aux difficultés de notre temps.”

Leur coordinateur, Emmanuel Dockès dénonce en effet le grave glissement d””une idéologie dans laquelle la bonne marche de l’entreprise est supérieure aux droits de la personne humaine”.

 

Interview du juriste Emmanuel Dockès par Médiapart sur la possibilité d’un code du travail simplifié et plus protecteur. source : You tube.

« L’avant-projet de loi El Khomri est présenté comme le modèle sur lequel un nouveau code du travail doit être réécrit. Or ce projet ne simplifie rien. Le livre sur le temps de travail qu’il refond augmente même en volume. Seuls sont allégés les droits, pourtant déjà bien fragiles, des salariés. Cette pente-là est bien connue, c’est celle sur laquelle le droit du travail glisse depuis une trentaine d’années. Notre projet vise à démontrer que cette pente n’a rien d’une fatalité », annonce en préambule le groupe de recherche baptisé GR-PACT (Groupe de recherche Pour un autre code du travail).

Ce chantier juridique titanesque prend donc à la lettre le projet gouvernemental de réécrire totalement le code du travail. Il est né à l’automne 2015, lorsque les rapports Combrexelle et Badinter/Lyon-Caen annonçaient la menace sur le code du travail. Le Rapport Badinter (PDF de 12 pages) : rendu en janvier 2016 au premier ministre et rendu public annonçait effectivement la refondation du code du travail sur 61 principes annoncés comme essentiels.

A l’inverse de cette commande officielle, le groupe de chercheurs du GR PACT n’a « aucun relais ». « Nous ne sommes pas en mission commandée, ni une courroie syndicale, ni une courroie politique », insiste le juriste Emmanuel Dockès. Le GR-PACT, qui avait consulté début décembre 2015 les cinq organisations syndicales représentatives (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC), propose un site collaboratif pour héberger cette « grosse boîte à idées qui n’est pas un contre-code mais bien un autre code du travail » et dont la livraison finale est prévue en septembre 2016.

Les objectifs d’une démarche collective

L’ambition est d’écrire un texte utile, ancré dans les difficultés concrètes, soucieux des revendications et des propositions émises par les acteurs du droit du travail.

Les travaux de recherche et d’écriture seront donc constamment menés en lien avec des praticiens, notamment des juristes syndicaux et des avocats. Et le projet ne sera finalisé qu’après une consultation approfondie des organisations syndicales de salariés et des organisations d’employeurs.

L’ambition est aussi de tenter d’associer le plus largement possible la société civile, notamment avec la mise en place progressive d’un site internet collaboratif.

La journaliste de Médiapart, Rachida El Azzouzi, présente les trois principes qui guident le groupe dans sa rédaction : “le respect des fonctions de la loi qui « doit jouer pleinement son rôle aux côtés des autres sources du droit du travail, internationales, européennes, réglementaires et conventionnelles » ; une refonte totale et véritable, « pas un copier-coller des textes antérieurs » ; le renforcement des règles essentielles « directement issues des leçons de l’histoire », mais aussi des propositions nouvelles prenant en compte les mutations et les défis du monde du travail, de la précarité à l’« ubérisation » en passant par la fragilisation de la présence syndicale et de la représentation du personnel.”

Le premier chapitre dévoilé par l’équipe de chercheurs est celui consacré au temps de travail, sujet éminemment sensible. « C’est l’un des champs les plus complexes et volumineux du droit du travail. La législation actuelle en la matière pèse environ 151 000 caractères soit une centaine de pages et le projet El Khomri n’y change rien puisqu’il a enflé de 27 % », notent les universitaires, qui ont réussi à réécrire ce chapitre en 40 pages. Le chapitre relatif au temps de travail (37 p) reste à compléter, notamment les parties sur les congés payés et sur le travail à temps partiel mais déjà, il prend le contre pied de la tendance actuelle et fait le choix de favoriser l’emploi plutôt que l’allongement de la durée du travail.

Un code rénové et stimulant

Ce chantier juridique ne vise pas à réaliser une nouvelle recodification « à droit constant », moins de dix ans après celle de 2008. Le journal L’Humanité explique qu’“Un droit « constant » ne peut qu’être aussi lourd et complexe que l’actuel. Les trois codes du travail de l’histoire (1910-1927, 1973, 2008) sont tous des compilations de textes antérieurs, des suites de « copier-coller » plus ou moins bien ordonnés. Cette fois-ci, l’objectif est de tenter une véritable réécriture, pour faire du Code du travail un ouvrage accessible, lisible du début à la fin.” Emmanuel Dockès est revenu sur cet historique lors d’une conférence donnée à la Bibliothèque municipale de Lyon ( voir : “Un nouveau droit du travail au soutien de l’autoritarisme patronal” (1h30, le 20/11/2014). L’ouvrage de Claude Didry, L’institution du travail : droit et salariat dans l’histoire,  porte, lui sur les dynamiques historiques du droit et du travail, telles qu’elles se déploient de la Révolution française jusqu’à nos jours. Ces approches historiques sont nécessaires à la compréhension de la situation de saturation actuelle de ce code souvent critiqué.

Dans cet esprit de rénovation, l’objectif des chercheurs du GR-PACT est de livrer un chapitre par mois, dont un très attendu texte consacré au contrat de travail.

De l’audace, encore de l’audace…

Pour comprendre l’ampleur du changement de tonalité de ce nouveau code, il suffit de prendre connaissance des premières mesures phares présentées sur le site de L’Humanité.

Un droit au temps libre et prévisible

Un vrai préavis pour toute modification d’emploi du temps.

Un droit au refus des modifications d’horaires.

Une sanction pour les interruptions du temps libre par l’employeur.

Un droit à la déconnexion pendant tout le temps libre.

Un temps d’astreinte rémunéré au moins au tiers du salaire normal.

Les 35 heures renforcées

Un salaire majoré de 25% au minimum pour les heures supplémentaires.

Un salaire majoré de 50% dès la septième heure supplémentaire.

Vers un partage du temps de travail

Permettre un temps plein sur trois ou quatre jours.

L’annualisation du temps de travail, contrepartie d’un passage aux trente-deux heures.

Des forfaits, sans burn out.

Une négociation collective d’évaluation de la charge de travail.

Un contrôle par le CHSCT du temps et de la charge de travail.

Un pouvoir du CHSCT de suspendre les clauses de forfait.

Des durées du travail maximales pour les forfaits jours. Une réduction des jours travaillés en forfait jour

Des souplesses pour les PME

Dans les entreprises de moins de 20 salariés, sans délégué du personnel, l’autorisation de l’inspecteur du travail peut remplacer un accord collectif d’entreprise.

 

·        Mais aussi …

Faciliter l’intégration au salariat des travailleurs « uberisés ».

Le volume de lois divisé presque par trois.

Une simplification de la législation sur le travail le dimanche.

Un meilleur accès à la justice et un renforcement du rôle du juge.

Une sixième semaine de congés payés, en échange de l’abandon de certains jours fériés. …

 

·        Et, en construction

Un grand congé sabbatique

Sous condition d’ancienneté et de préavis, ouvrir le droit à un grand congé sabbatique pour tout motif, que l’employeur ne peut pas refuser. Il s’agit de faciliter la mobilité et de simplifier les congés spécifiques actuels, qui sont nombreux, méconnus et difficiles d’accès.

Un congé paternité obligatoire et identique au congé maternité

Pour rééquilibrer un peu la situation des femmes et des hommes à l’embauche et aider à mieux répartir le travail domestique, au moins lors de la naissance.

Tout un programme !

Cette contribution juridique exigente qui a l’ambition d’aller dans le sens de la simplification et du progrès social vient d’être éditée en mars 2017 aux Editions Dalloz. Cet ouvrage intitulé Proposition de code du travail : 2017 rédigé sous l’égide du Groupe de recherche Pour un autre code du travail (GR-PACT) et sous la direction de Emmanuel Dockès a pour coauteur(e)s Gilles Auzero, Dirk Baugard, Pierre-Emmanuel Berthier notamment. Il est désormais disponible dans toutes les librairies et à la Bibliothèque de la Part-Dieu de Lyon.

 

Les sources :

Médiapart

Le blog du PACT

Les décodeurs du Monde

article de l’Humanité

Ministère du travail, de l’Emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

D’autres sources :

Une bibliographie sélective de la Bibliothèque municipale de Lyon V’la le travail.

 

(*) les membres du PACT :

  • Jean-François Akandji-Kombé (Paris 1)
  • Gilles Auzero (Bordeaux)
  • Dirk Baugard (Paris 8)
  • Pierre-Emmanuel Berthier (Lyon 2)
  • Michèle Bonnechère (Evry)
  • Vincent Bonnin (Poitiers)
  • Laure Camaji (Paris Sud)
  • Florence Debord (Lyon 2)
  • Josepha Dirringer (Rennes 1)
  • Emmanuel Dockès (Paris Ouest Nanterre, coord.)
  • Carole Giraudet (IFS, Lyon 2)
  • Franck Héas (Nantes)
  • Julien Icard (Valenciennes)
  • Anja Johansson (Strasbourg)
  • Morane Keim-Bagot (Paris 1)
  • Marianne Keller (Paris 1)
  • Sylvaine Laulom (Lyon 2)
  • Cécile Nicod (Lyon 2)
  • Sophie Rozez (Paris Ouest Nanterre)
  • Morgan Sweeney (Dauphine)
  • Sébastien Tournaux (Bordeaux)
  • Christophe Vigneau (Paris 1)

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