Histoire antique

Masques sans mascarade

- temps de lecture approximatif de 3 minutes 3 min - Modifié le 07/01/2020 par Département Civilisation

Un masque de pierre datant de 9000 ans a été découvert en Israël. Cela porte à 16 le nombre de masques du début du néolithique trouvés dans cette région du proche orient. Si tous n’ont pas été mis au jour à la faveur de fouilles scientifiquement documentées leur datation semble confirmer leur âge.

masque du néolithique
masque du néolithique

Annoncée lors d’une conférence de presse par les membres de l’ Israël Antiquities Authority cette découverte relance l’intérêt pour ce type d’artefacts qui signent, avec la figuration du visage humain, une nouvelle étape de l’évolution de l’homme. La première présentation au public de 12 de ces masques néolithiques avait eu lieu lors d’une exposition à Jérusalem en 2014, Face to face . Ces masques de pierre calcaire, dotés de trous pour l’accrochage, et d’orifices pour les yeux et la bouche, présentent un nez et une dentition sculptés.

Interrogé par Jacques Daniel pour un article de la revue Archéologia (n° 573 de février 2019), un historien spécialiste de la période, Jean Guilaine, rappelle que l’utilisation de ces masques a pu être liée à des rituels très divers car « le recours au masque signe une prise d’identité particulière, un changement de statut, un dédoublement pour celui qui le prend ». L’auteur présente l’essentiel des changements culturels survenus au cours du néolithique dans son ouvrage La seconde naissance de l’homme.

 

Couverture de La seconde naissance de l'Homme de Jean Guilain

 

L’archéologue Jean-Paul  Demoule évoque lui aussi la découverte des premiers masques de cette série trouvée en Israël dans son ouvrage Les dix millénaires oubliés qui ont fait l’histoire  : quand on inventa l’agriculture, la guerre et les chefs : « C’est à cette époque aussi, vers 8 000 ans avant notre ère, qu’ont été découverts les plus anciens masques, une douzaine en tout, principalement en territoire israélien. Il s’agit de pièces en calcaire grandeur nature, avec des ouvertures pour les yeux et la bouche et des trous de fixation pour les ajuster sur le visage. L’un provient de la région de Hébron, d’autres de la grotte de Nahal Hemar. Sachant que la plupart des masques connus dans les sociétés traditionnelles sont en matières périssables (bois, cuir, textile, plumes etc.), l’existence de ces masques en pierre il y a déjà dix millénaires suggère que la confection de masques a pu être bien plus ancienne encore. Dans les sociétés traditionnelles d’Afrique, d’Amérique ou même de l’Europe rurale jusqu’au XXe siècle, ce ne sont pas des objets de distraction comme dans nos propres sociétés, mais des objets cérémoniels importants, en relation avec le surnaturel. Le mot persona, en latin, qui a donné notre mot « personne », désignait à l’origine le masque de théâtre. » (p. 80). Plus loin encore dans cet ouvrage : « Dans le Néolithique du Proche orient, vers 8000 avant notre ère, on récupérait le crâne du défunt puis on lui modelait un visage d’argile peinte, avec des yeux incrustés en coquillage. » (p. 145)

La domestication des animaux et les débuts de l’agriculture au néolithique semblent s’être accompagnés d’une complexification des rituels en même temps que d’une modification des relations sociales. Les groupes deviennent plus petits et les représentations humaines prennent peu à peu la place des animaux dans l’iconographie. Cette véritable révolution culturelle est étudiée de façon très détaillée dans l’ouvrage collectif publié sous la direction de Jean-Paul Demoule, La révolution néolithique dans le monde.

 

Psyché visage et masques

 

L’importance de l’apparition du visage humain dans l’iconographie préhistorique signe sans doute également une évolution dans la psyché humaine, c’est ce que souligne le psychanalyste Jacques André : « Le visage n’est pas une partie du corps, il est le représentant du tout » (Psyché visage et masques). Que l’on pense aux jeunes enfants se cachant les yeux, pensant qu’on ne les voit plus !

En Occident, si le masque a pour vocation première d’occulter la « vraie » nature de celui qui l’assume, à l’inverse, le visage nu est jugé « sincère » et d’autant plus s’il se présente vierge de maquillage ou d’artifice. A l’opposé, dans d’autres cultures, en Amazonie par exemple, le masque du traître, de celui qui feint d’être autre, est justement celui du visage humain nu, dépourvu de peinture corporelle. Une des fonctions qui peuvent être assignées au masque c’est d’être non pas « une classe empirique d’artefacts censés voiler ou déguiser l’identité de leur porteur mais plutôt un instrument –éphémère ou durable- visant à rendre matériellement présente une entité normalement invisible (ou des propriétés de cette entité. )» (Anne-Christine Taylor, ethnologue qui fut directrice de recherches au CNRS, détachée au musée du Quai Branly.)

 

image d'une série de 3 masques du néolithique

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