Le deuil dans la littérature

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Les sociétés occidentales ne regardent plus la mort fixement, bien au contraire, elles l'évitent et ne visent qu'à son occultation, sa disparition, sa mise à l'écart. Le deuil relève dorénavant du privé et de l'individu, il n'est plus de l'ordre du social et du collectif et n'a plus de place que dans l'intime.

Ne pas s’épancher, sauf éventuellement dans le secret de l’écriture, là où il est concevable de s’adonner au nécessaire travail du deuil, là où sphère privée et sphère publique, après le truchement de la publication, se confondent parfois, là où le deuil peut devenir éclatant. « Malheur à celui qui, venant de perdre un familier, ne parviendrait pas à rapidement surmonter l’épreuve. La mémoire, alliée à la tristesse ou pire, à la révolte, est improductive. Happé par le passé, celui qui porte le deuil peut vite être soupçonné de complaisance. On lui reprochera son abattement. Quiconque se consacre trop souvent au souci des morts et manifeste son affliction semble s’exclure du commerce social. Il doit donc s’attendre à être menacé d’ostracisme. Il est pourtant un domaine qui semble être épargné par ces règles ou conventions tacites : les arts, et la littérature en particulier, continuent de maintenir ce lien essentiel entre la création, la projection vers l’avenir, et l’entretien du souvenir. La littérature, peut-être plus foncièrement encore, continue de nouer ses liens avec le deuil ». (Extraits de “Témoins de l’inactuel : Quatre écrivains contemporains face au deuil, de Dominique Carlat, José Corti, 2007.

Jacques Derrida a suggéré la profonde affinité de la création littéraire avec la mort, qu’elle accompagne et combat : « La mort déclare chaque fois la fin du monde en totalité, la fin de tout monde possible, et chaque fois la fin du monde comme totalité unique, donc irremplaçable et donc infinie ».
Le discours commun de notre époque nous enjoint de faire rapidement notre deuil : la souffrance et le manque éprouvés à la disparition d’un proche seraient des atteintes réparables portées provisoirement à l’intégrité de l’individu.

Contre cette conception positiviste, ce point d’actualité propose de découvrir les marques laissées par le deuil dans l’écriture contemporaine, et d’envisager l’écriture comme l’une des manifestations possible du deuil.
Et ce à quoi nous ajouterons, comme une adresse à nos lecteurs : quelle personne endeuillée n’a pas connu cette vaine et silencieuse frénésie à chercher le réconfort dans des lectures sur la mort ?

Comment survit-on à la mort d’un homme aimé ?

Ecrire son deuil est un exercice qui connait un certain succès chez les écrivains américains. Qu’il s’agisse d’un mari, d’une mère ou d’un amour, les auteurs parlent avec beaucoup d’intelligence de ce proche disparu, de cette personne si importante qui du jour au lendemain quitte la scène. Pour le lecteur, l’exercice peut sembler compliqué, la posture de voyeur étant alors évidente.
Deux femmes fortes de la littérature américaine, à travers deux ouvrages intimistes répondent à cette question.

Joyce Carol OATES avec J’ai réussi à rester en vie

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Entré à l’hôpital le 11 février 2008 pour une pneumonie sans gravité, R. Smith, le mari de J.C. Oates, décède une semaine plus tard d’une violente et soudaine infection nosocomiale. Dans ce récit, cette dernière, en proie à l’angoisse de la perte, à la désorientation de la survivante cernée par un cauchemar de démarches administratives, décrit l’innommable expérience du chagrin

Joan DIDION avec L’année de la pensée magique.

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Après la mort foudroyante de son mari John Gregory Dunne, l’auteure raconte son deuil, empreint de souffrance et d’incrédulité. Pendant un an, elle essaiera de se résoudre à cette disparition, tout en s’occupant de sa fille plongée dans le coma suite à une pneumonie. Prix Médicis essais 2007.

L’écriture du deuil : une question de genre ?

L’expression « littérature du deuil » renvoie avant tout à un contenu.
Mais quelle forme ou plutôt quelles formes recouvre cette littérature du deuil ? Le genre choisi a-t-il une incidence sur le traitement du deuil dans l’oeuvre en question ?
Des différences assez notables se révèlent entre le genre romanesque et le genre autobiographique. En effet, si la présence d’un « deuil sans fin » se vérifie dans plusieurs romans, on peut émettre l’hypothèse que le genre autobiographique semble être davantage du côté du dépassement et de la réparation, sans pour autant dégager une loi du genre en matière de deuil. Le dénominateur commun étant une écriture à la première personne.

Les écrivains français sont loin d’être en reste sur ce sujet.

Meuse l’oubli, de Philippe CLAUDEL

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C’est dans Fiel-la-Morte que le narrateur, amateur de Charles Baudelaire et de Gérard de Nerval, va tenter d’oublier Paule, qui vient de mourir en dépit de ses 30 ans. L’auteur évoque l’acceptation du deuil et tente de restituer la souffrance que le temps seul parvient à atténuer. Premier roman

Les âmes grises, de Philippe CLAUDEL

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Durant la Grande Guerre, à côté des milliers d’hommes qui meurent chaque jour, de jeunes enfants, des femmes et des médecins sont assassinés dans l’ombre. Prix Renaudot 2003 et Grand Prix des lectrices de Elle 2004 (catégorie roman).

Falaises, d’Olivier ADAM

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Portrait romanesque d’un homme à vif et d’une jeunesse perdue. Un homme revient à Etretat, vingt ans jour pour jour après le suicide de sa mère. Le temps d’une nuit à l’hôtel, il déroule dans sa tête le film de ses trente premières années.

Sweet Home, d’Arnaud CATHRINE

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L’homme qui m’aimait tout bas, d’Eric FOTTORINO

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Le mal de mère : l’écriture du deuil maternel

Souvenirs pieux, de Marguerite YOURCENAR

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Une mort très douce, de Simone de BEAUVOIR

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Une femme, d’Annie ERNAUX

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Je ne suis pas sortie de ma nuit, d’Annie ERNAUX

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Mourir de mère, de Michel LENTZ

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D’autres écrivains ont également abordé ce thème :

Mort d’une inconsolée : les derniers jours de Susan Sontag, de David RIEFF

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Pardon mère, de Jacques CHESSEX

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Passage de la mère morte, de Jean-Claude PERRIER (ne figure pas à notre catalogue)

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Quelques essais sur le sujet :

Ma mère, la morte, de Pierre-Louis FORT

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Témoins de l’inactuel : quatre écrivains contemporains face au deuil, de Dominique CARLAT

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Les fables du deuil : mort et écriture, de Carine TREVISAN

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Travailler pour les morts : politiques de la mémoire dans l’œuvre de Jean Genet, de Mélina BALCAZAR MORENO

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Et des bandes dessinées

Sans même nous dire au revoir, de Kentarô UENO

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Adieu, maman, de Paul HORNSCHEMEIER

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