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L’Aiguille (1988)

Rachid Nougmanov

"Les Américains ont La fureur de Vivre, les Russes ont L'aiguille"

A l’exception que quelques projections dans des festivals, L’Aiguille (Игла – igla en russe) est un film inconnu, un brin expérimental mais surtout devenu culte.

Ce statut, il le doit au contexte politique qui l’a vu et fait naître, mais aussi et surtout à l’acteur principal. Victor Tsoï, compositeur-chanteur-guitariste russe, fut une étoile filante de la scène underground de Léningrad puisqu’il mourut tragiquement à l’âge de 28 ans. Le réalisateur, Rachid Nougmanov, kazakh comme lui, était proche du milieu du rock soviétique underground apparu dans cette ville à l’époque. Il décide alors de faire tourner dans son premier long métrage une de ses figures montante que fut le leader du groupe Kino.

 

Tsoï y joue le rôle de Moro, un blouson noir adepte du nunchaku, revenant dans sa ville pour sauver de la drogue son ex petite amie Dina, placée malgré elle au cœur d’un trafic mafieux.

Lorsque l’on visionne L’Aiguille des sentiments paradoxaux s’emparent du spectateur. Le personnage bien que caricatural concourt à rendre encore plus noir ce film intense. De plus, l’image parfois très sombre à l’écran sert portant une intrigue à la beauté tragique.

Nous nous trouvons donc là devant un objet cinématographique. Même si Nougmanov s’inscrit dans le réalisme forcené (lieux et lumières naturels, pas d’artifice, …), il n’hésite pas à user de techniques parfois rudimentaires pour asseoir l’ambiance et servir le sujet de son film (quitte à griffonner la pellicule avec une aiguille). Il utilise aussi des images d’archives replaçant les pérégrinations de Moro dans un contexte historique très particulier qu’est celui de l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev. Enfin, proche parfois de l’esthétique du clip vidéo, il s’appuie littéralement sur les chansons de Tsoï dont les paroles appellent à la liberté.

Cette réedition de L’Aiguille en DVD (déjà édité en 2011 chez K Films sous le titre “Piqué à vif”) a donc le mérite d’exister afin de (re)faire découvrir ce film très singulier et nous (re)plonger dans  cette époque charnière, entre régime soviétique et prémices du libéralisme. Mais surtout, il nous montre une jeunesse désenchantée et avide d’espace et de liberté.

Cette réedition propose aussi des bonus captivant: Eugénie Zvonkine, maîtresse de conférences à l’université Paris VIII, spécialiste du cinéma russe, offre une introduction très riche au film. D’ailleurs, au travers de l’image que Viktor Tsoï véhiculait, L’Aiguille raconte l’histoire du “dernier héros soviétique” comme le titrait le Monde Diplomatique dans un article de son numéro de juin dernier, écrit d’ailleurs par Eugénie Zvonkine qui en préambule rappelle : “Près de trente ans après sa disparition, les chansons de Tsoï sont toujours aussi populaires. Il reste le symbole des espoirs déçus mais têtus.

En écho à cette parution, le film de Kirill Serebrennikov, Leto, sortait sur les écrans français en 2018, dans la bande son est à tomber !

Ce film rend hommage à Victor Tsoï, devenu un mythe pour toute une génération. Serebrennikov rend par la même occasion hommage à Rachid Nougmanov et à son film l’Aiguille en utilisant quelques effets similaires sur l’image et en retraçant les péripéties d’une jeunesse désabusée par le système de l’époque. Ces deux films sont complémentaires, à la fois différents et surprenant à leur manière.

 

Pour en savoir plus sur Rachid Nougmanov, revisionnez une de ses interviews que l’émission Tracks, sur ARTE, avait faite en 2016.

 

 

 

Voir dans le catalogue de la BML

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