Danse

Alain Platel, un artiste hors-norme et libre

- temps de lecture approximatif de 4 minutes 4 min - Modifié le 29/01/2021 par Hélèna D.

A l'occasion de la Biennale de la danse de 2016, le chorégraphe Alain Platel a présenté sa dernière création, "Nicht Schlafen", à la Maison de la danse à Lyon. Un groupe d’hommes et une femme sont réunis autour de cadavres de chevaux dans un clair-obscur proche du Caravage. Alain Platel offre dans ses créations une danse réinventée, qui mêle théâtre, mouvement, musique et chant... Il convoque sur le plateau les paumés, les éclopés, pour les faire danser, chanter, jouer une société où ils n'ont plus de place. Le regard aiguisé du chorégraphe nous donne à réfléchir sur une matière inépuisable : l’humain.

2016 / Nicht Schlafen - Alain Platel / © Émile Zeizig - mascarille.com
2016 / Nicht Schlafen - Alain Platel / © Émile Zeizig - mascarille.com

Né en 1956 en Belgique, il entre à 11 ans à l’école de mime de Marcel Hoste avant d’entreprendre des études d’ortho-pédagogie. Il passe 5 années à s’occuper d’enfants lourdement handicapés. Parallèlement, il s’inscrit à l’académie de ballet Paul Griinwis et s’oriente en autodidacte vers la création artistique. Alain Platel occupe une place singulière dans le champ chorégraphique.

Les ballets C de la B

En 1984, il fonde une troupe avec des amis et membres de sa famille : les ballets C de la B (ballets Contemporains de la Belgique). Dans l’objectif d’être une véritable plateforme de création collective, la troupe multiplie les rencontres artistiques. Elle s’associe à des artistes issus de disciplines et d’horizons très différents comme par exemple Hans Van den Broeck ou Sidi Larbi Cherkaoui.
Les créations Bonjour Madame… (1993), La Tristeza Complice (1995) et Iets op Bach (1998) propulsent la troupe au sommet international.

“Le mélange unique de visions artistiques diverses, rend impossible toute définition exacte des ballets C de la B. Pourtant, une espèce de « style maison » se dessine. Il est populaire, anarchique, éclectique et engagé…».” (Source)

La danse bâtarde

Entre grâce et trivialité, le plus grand raffinement se mêle au prosaïsme le plus cru. La “danse bâtarde” d’Alain Platel est faite de toute une gamme de tensions musculaires : tics, grimaces, spasmes, crampes, convulsions… Il cherche à retrouver cette gestuelle qui naît au moment où “les danseurs se blottissent dans ce coin du cerveau encore préservé de toute civilisation”. Cette gestuelle offre une transposition physique de sentiments impossibles à contenir, de sentiments trop forts.

Il décèle, comme personne d’autre, la beauté dans ce qui est qualifié de laid, de déviant ou de discordant… Il amène les gens à regarder et à écouter différemment.
Cette danse semble proche du bûto et notamment de l’artiste Tatsumi Hijikata, qui s’inspire, entre autre, de l’une de ses sœurs handicapée pour façonner le corps du Butô : pieds en-dedans, bassin près du sol, visages grimaçants, yeux révulsés, corps recroquevillés…

Danser avec tous, pour tous et avec tout !

Alain Platel fait travailler des danseurs, mais peut aussi confier l’interprétation à des circassiens, des comédiens, des professionnels, des amateurs, des musiciens, des chanteurs lyriques ou des sourds… Il fait même monter des chiens sur scène !
La force de ses spectacles tient à l’ouverture que pratique le chorégraphe à l’égard d’individus généralement absents des scènes culturelles, aux côtés de danseurs professionnels.

Il marie les contrastes et les extrêmes comme personne. Il associe les matériaux les plus divers, comme ces accordéons jouant Purcell dans La Tristeza ou des sourds chantant du Bach dans Tauberbach. On retrouve dans toutes ses œuvres une même volonté de combiner trivial et sublime, grotesque et subtilité, savant et populaire…
La musique, toujours en live, tient une place importante dans ses créations.

La gestuelle de survie

La résilience est au cœur du langage chorégraphique d’Alain Platel depuis 30 ans. Il nourrit sa quête du beau au cœur du handicap (physique, psychique, social, économique). Le chorégraphe amène le spectateur à voir la beauté là où se niche la vie. Les ballets C de la B transmettent une énergie vitale. Leur danse naît de l’instinct de survie. La survie intéresse le chorégraphe car il y trouve l’essence même de la vie.

La tension entre le groupe et l’individu est également un thème central dans les représentations du chorégraphe. C’est le cas par exemple de la création C(h)oeurs qui questionne la responsabilité de l’individu dans le groupe.

Les spectacles d’Alain Platel peuvent dérouter, en énerver certains, en troubler d’autres. Pour moi, ses créations sont des expériences d’une rare puissance. A chacune de ses créations, on est pris à la gorge par la force de vie, brutale et radicale, qui se dégage.

Deux créations pour mieux comprendre cet artiste

  • Tauberbach / Ballets C de la B (Les) / Alain Platel / Maison de la Danse de Lyon / 2008 [Extrait vidéo sur numeridanse.tv]
    Alain Platel explore et développe sa « danse bâtarde ».
    Le spectacle puise son inspiration dans Estamira, un documentaire racontant l’histoire d’une femme atteinte de schizophrénie qui vit dans une décharge à Rio de Janeiro. Le thème de cette création : comment (sur)vivre avec dignité dans des conditions quasi-impossibles ? L’autre source d’inspiration est “Tauber Bach” d’Artur Zmijewski, une musique de Bach chantée par des sourds. Des chorales de Bach et un air de Mozart sont chantés en live par les artistes.

 

  • Coup fatal / Ballets C de la B (Les) / Alain Platel / Maison de la Danse de Lyon / 2015 [Extrait vidéo sur numeridanse.tv]
    Pour finir, un spectacle complètement dingue, drôle et qui transpire de joie. Pour ne pas dire qu’Alain Platel n’explore que la douleur !
    Une troupe de musiciens congolais interprètent de la musique baroque… mais dansent aussi avec les chaises sur lesquelles ils sont assis.
    « J’ai aujourd’hui la conviction que l’on peut se rebeller, faire preuve de subversion, non pas en racontant l’objet de sa rébellion, mais en rendant compte d’une joie de vivre qui résiste à la misère et qui semble nous faire défaut ici en Europe.” A.P.

Sur nos étagères

  • Lourdes-Las Vegas / réal. Giovanni Cioni / 2005 [DVD]
  • Les ballets de ci de là / réal. & chorégraphies de Alain Platel ; chorégraphies de Koen Augustijnen, Sidi Larbi Cherkaoui et Christine De Smedt / 2006 [DVD]
  • C(h)oeurs / réal. de Andreas Morell ; mise en scène et chorégr. d’Alain Platel ; mus. de Giuseppe Verdi et Richard Wagner ; chœur et orchestre du Teatro Real ; les ballets C de la B / 2012 [DVD]

Pour aller plus loin

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