Le bunker de Tbilissi
Iva Pezuashvili
lu, vu, entendu par Maëlle - le 25/11/2023
« Donc considère que, pour toi et pour les gens comme toi, rien n'a changé et habitue-toi à l'idée que rien ne changera jamais. »
Tbilissi, de nos jours. Nous sommes le 9 avril, jour de commémoration nationale. Guéna, le père, n’est que l’ombre de lui-même, et passe tout son temps à boire et à brûler des poubelles. Mila, la mère, se rêve Instagrammeuse et le trompe avec un homme qui pour seule qualité de lui donner de l’attention. Zéma, la fille, est policière, et ferme les yeux depuis toujours sur la corruption qui règne dans sa profession. Lazare, le fils, est livreur à scooter, mais il rêve de deux choses : devenir rappeur, et voir la chute du capitalisme.
Ce roman de 150 pages se déroule sur cette seule journée du 9 avril, à travers une narration qui alterne les points de vue de cette famille à la dérive. Souvenirs et traumatismes du passé, galères du présents, projections dans le futur… Tous ces sauts nous permettent d’en apprendre beaucoup sur les personnages et l’histoire de la Géorgie, en abordant des sujets variés, tels que les violences faites aux femmes, la corruption, le choc de la chute de l’URSS, ou le stress post-traumatique. Et même le rap géorgien, dont le roman nous fait un joli tour d’horizon.
Le ton est grinçant, décalé, pour notre plus grand plaisir. On est horrifiés autant qu’amusés. Si on compatit aux malheurs des personnages, on ne peut s’empêcher de sourire devant l’absurdité de leurs aventures. Quand Mila s’imagine devenir célèbre sur Instagram grâce à des hashtags connotés dont elle ne connaît pas le sens, ou paye à prix d’or un cure de « nouvelle jeunesse », l’absurde est là… mais le propos sur la condition des femmes aussi.
A travers un cynisme parfaitement maîtrisé, et des thèmes autant spécifiques qu’universels, Iva Pezuashvili signe ici un roman piquant et captivant, gagnant du prix de littérature de l’Union Européenne.
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