
Histoires de la nuit
Laurent Mauvignier
lu, vu, entendu par Magali - le 24/09/2020
Huis clos social sous haute tension !
C’est le récit d’une séquestration dans la France périurbaine au lieu dit “l’écart des trois filles seules”, trois maisons forment ce hameau de La Bassée.
L’une est inhabitée et à vendre.
L’autre abrite Christine, artiste peintre parisienne, installée là depuis 25 ans. Pour continuer à vivre et à peindre, elle a fui les tumultes des galeries d’art. Avec ses cheveux orange, ses robes bariolées, elle est connue dans le pays pour “être exubérante et barrée”. Elle reçoit depuis peu des lettres menaçantes et anonymes.
La maison principale avec l’étable, une dizaine de vaches et quelques champs appartiennent au fils aîné des Bergogne, Patrice, le seul a avoir gardé la ferme familiale. C’est une force tranquille, malmené dans son enfance par un père violent. Avec lui, vivent Marion, femme fringante et libre, qui travaille dans l’imprimerie locale et Ida, leur fille d’une dizaine d’années. Ida relie les uns et les autres pour aider à comprendre ce qu’ils traversent même si sa sidération illustre parfaitement la terreur ressentie. Son père a promis de préparer une fête pour les 40 ans de Marion. Mais la soirée ne se déroulera pas comme prévu.
Ainsi le décor est planté avec une écriture cinématographique pour créer de la lenteur à recomposer les sensations. Un thriller sans action, un cadre épuré, tragique par son minimalisme. Un décor isolé au bord de l’effritement. Les non dits sont criants de vérité, les silences interrogent.
Le style exprime le doute “jusqu’à aujourd’hui elle n’a jamais refusé un cadeau. Elle se demande est-ce qu’on peut refuser un cadeau, est-ce que ce serait possible de refuser sous prétexte”. L’incertitude du monde, la complexité des faits, sont aussi énoncés. On est emporté par la puissance de certaines scènes. L’auteur excelle à parler de l’agonie : “la main a plongé dans la gorge du chien et Radjah a fini de s’effondrer sur la dalle de ciment, les forces l’ont abandonné, il geint encore lentement, de plus en plus doucement comme des pleurs d’enfant, des plaintes puis plus rien, quelques spasmes, l’étonnement, la surprise et la douleur, la gueule en sang recouverte de l’ivresse de la viande, et lui, une masse effondrée, parce que les pattes ont flanché, le corps abattu sur le côté, la tête cognée contre le ciment.”
Tous les protagonistes, d’une incroyable épaisseur, estiment avoir été humilié et faire justice”solder les comptes coûte que coûte”. De la nature des comptes, il faut en dire le moins possible pour préserver intacte la découverte du lecteur. La narration déstabilise le lecteur et le place dans la même situation d’inconfort que ses protagonistes. L’auteur nous plonge dans les pensées, les désirs et l’intimité des personnages grâce à une écriture saccadée, dense qui sait faire peu à peu monter l’angoisse.
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