Bahari-Bora
Steve Aganze
lu, vu, entendu par AdM - le 03/10/2025
Dans son premier roman, Steve Aganze nous offre un hommage aux femmes d'hier et d'aujourd'hui qui se battent pour leur liberté et celles de leurs enfants.
Prix de la Vocation 2025, ce récit dur et puissant aborde les crimes de guerre en République démocratique du Congo, et plus particulièrement leur impact sur les femmes et les enfants.
Ces femmes, ces jeunes filles, ces fillettes qui sans savoir, semblaient être des munitions infinies, des projectiles à fragmentation, des mines artisanales, des boucliers humains, des armes diverses, aux yeux de ceux qui, turban noir sur la tête et kalachnikov ou machette à la main, composaient un sombre refrain sur la partition de l’histoire congolaise, impunément, depuis des décennies.
L’histoire suit le parcours de Bahari-Bora, Belle océan, jeune orpheline. A l’âge de treize ans, elle est enlevée avec d’autres camarades d’écoles par les rebelles. Après 5 ans de captivité, elle réussit à s’évader et trouve refuge dans un hôpital de Médecins sans frontière. Mais le médecin lui apprend qu’elle est enceinte et que cette grossesse peut la mettre en danger. Pour la première fois depuis des années son corps et ses choix lui appartiennent. Mais que choisir?
A travers une écriture poétique et métaphorique, Steve Aganze nous plonge dans le combat intérieur de Bahari-Bora. Que faire de cet enfant, fruit d’exactions et potentiel danger, mais petite étincelle de vie? Comment survivre après ce qu’elle a subi et fait? De quelle manière devenir adulte sans avoir eu de jeunesse? Comment trouver sa propre voix et sa liberté?
Existe-t-il sort plus cruel pour un enfant que celui d’errer, exilé sur la terre qui l’a vu naître ? Que retient-on de la vie de celui qui est né sans parents et mort sans sépulcre ? Quelle empreinte laisse une âme privée d’amour et de mémoire ? A quoi s’accroche-t-on lorsque personne ne se souvient de votre nom ? Et si l’oubli était plus violent que la mort ? De quelle couleur est le monde aux yeux de cet enfant qui, tendant la main pour saisir un fragment d’affection, n’a reçu que vent, indifférence et méfiance ?
La guerre au quotidien, pèse sur chaque minute vécue. Mais dans son désespoir, Bahari-Bora trouve un but, retrouver maman Matilde, celle qui a assisté à son rapt impuissante.
Steve Aganze nous offre un roman dur, cru, violent qui montre la folie humaine, la réalité dramatique de la guerre mais qui laisse entrevoir une lumière, un point de résilience. Du fait de cette violence et de scènes, par moment insoutenable, ce roman n’est pas facile émotionnellement mais grandement nécessaire. Très bien documenté avec l’ajout de statistiques, ce roman, quasiment historique, nous force à nous confronter aux crimes de guerre et à la condition des femmes en République démocratique du Congo.
Le monde était noir, et par ici, le ciel inlassablement vermeil concordait avec la teneur en sang de ces horizons. Rouge.
Le pays se dressait telle une imposante colline en forme de crâne. Au sommet de celle-ci, sa jeunesse était crucifiée dans son ensemble, sur un poteau orné de diamants, d’argent et de cuivre, trempé dans l’or, plaqué de cobalt et de tantalite, et alimenté par le pétrole, le méthane et l’azote. Ce poteau était enfoncé, enrichi de fer, et saupoudré d’une poussière de jaune d’uranium.
Au-delà des crimes de guerre évoqués, ce roman peut aussi être difficile à appréhender du fait de son écriture poétique qui par moment déroute. Steve Aganze joue avec la langue, les temps, les points de vue… Plume qui demande a être apprivoisée mais qui offre une magnifique écriture, sensible et tout en finesse.
Révélant une actualité dramatique, hommage aux femmes et aux enfants, Steve Aganze s’inspire de son vécu et nous plonge avec beaucoup de sagacité dans l’histoire de son pays. Roman à lire et auteur à suivre.
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