Attraper le lapin
Lana Bastašić
lu, vu, entendu par Maëlle - le 08/06/2023
« Je la voyais sans peine, debout sur le parquet de Michael, embrassant d’un regard méprisant toute ma période dublinoise. Elle n’aurait pas un mot à dire, ses yeux suffiraient à me dépouiller de mon enveloppe européenne comme d’une fourrure de parvenue, à mettre à nu sans égard mes cicatrices balkaniques. »
Sara est bosnienne mais vit depuis des années à Dublin. Il fallait s’en aller, et ne pas revenir. Un jour, son amie d’enfance Lejla l’appelle après douze ans de silence. Elle lui ordonne d’aller la chercher à Mostar et de l’emmener en voiture à Vienne. Une seule raison suffit à convaincre Sara : Harmin, le grand frère de Lejla disparu depuis la guerre, serait là-bas.
Dans ce roman époustouflant truffé de références à Alice aux Pays des Merveilles, on ressent fort. On se prend au jeu de cette amitié toxique, on s’attache aux personnages autant qu’ils nous agacent. Le motif de la nostalgie est tissé avec brio. Sara, la narratrice, est celle qui s’est enfuie, mais elle est incapable de vivre dans le présent. D’où l’alternance de chapitres présent – souvenirs, et d’où le fait qu’elle est la seule au monde à encore nommer Lejla celle qui se fait appeler Lela depuis 20 ans pour se débarrasser de son héritage bosniaque…
Mais si les affres de l’amitié et du passé sont les thèmes principaux, le roman est aussi ponctué de sous-thèmes amenés avec brio : la famille, les relations hommes-femmes, la faillibilité de la mémoire, le langage… Le tout dans un style mordant et introspectif.
Une réussite !
Poster un commentaire