Les héros du peuple sont immortels : la cavale de Gilles Bertin
Stéphane Oiry
lu, vu, entendu par Luke Warm - le 26/07/2025
Avec "Les héros du peuple sont immortels", Stéphane Oiry livre une bande dessinée à la fois rythmée et profondément mélancolique, retraçant le parcours de Gilles Bertin, figure oubliée de la scène punk bordelaise et cerveau présumé d’un audacieux braquage en 1988, avant de disparaître pendant presque trois décennies.
La musique, omniprésente, est au coeur du récit : le punk, dans toute sa crudité et sa sincérité, y incarne les rêves de révolte et d’absolu d’une jeunesse en colère, prête à en découdre avec l’ordre établi. À travers les pages, c’est une époque qui est documentée, celle des concerts dans les squats, des slogans rageurs, des engagements sans compromis. Le groupe Camera Silens, dans lequel Gilles Bertin officie au chant, est le reflet de cette jeunesse aux idéaux trop grands pour elle.
Très vite, le roman graphique laisse entrevoir l’envers du décor : la révolte n’a pas tenu ses promesses. L’utopie punk se fissure, rongée par la toxicomanie, les trahisons, la solitude. Le récit devient alors celui d’un désenchantement progressif, marqué par les drames personnels, les morts brutales, la maladie (notamment le sida qui fait alors des ravages dans les cercles de toxicomanes), la peur d’être démasqué et la fuite inexorable du temps. Même si on sent de l’admiration et du respect pour son personnage, jamais Stéphane Oiry ne cherche à l’héroïser : il en fait un homme hanté, à la dérive, porté par une jeunesse qu’il n’a jamais tout à fait quittée mais qui l’a laissé exsangue.
Le contraste entre la fougue des débuts et une cavale sans panache, parfois sinistre, souvent douloureuse, est saisissante et donne à l’album une profondeur tragique. Gilles Bertin est notamment contraint d’abandonner sa famille : son fils, sa femme (dont il apprend le décès des années plus tard), ses parents. Les héros du peuple sont immortels, peut-être dans les mémoires des rares qui arrivent à survivre, mais ces héros-là ne sont ni glorieux ni invincibles, mais plutôt marqués par la perte, les désillusions, la clandestinité.
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