Prison de Montluc : un nouveau lieu de mémoire

- temps de lecture approximatif de 19 minutes 19 min - Modifié le 05/07/2016 par Gone en Bib

2010 : année du souvenir. La prison du Fort Montluc, désaffectée en février 2009, ouvre à nouveau ses portes pour faire découvrir aux Lyonnais ce lieu chargé d'histoire : près de 8000 prisonniers, résistants, juifs, otages arrêtés par la Gestapo y furent internés entre 1942 et 1944. Ce nouveau mémorial rend hommage à ces victimes de la répression nazie et contribue, avec le CHRD et le Mémorial Jean Moulin, à rendre à la ville sa mémoire des jours sombres.

Prison Montluc 2e étage - Copyright G. Bisson
Prison Montluc 2e étage - Copyright G. Bisson

Sommaire

1. Montluc : un fort et une prison

2. Montluc sous le joug allemand

3. Montluc : de la prison au lieu de mémoire

4. Lyon et ses lieux de mémoire

1. Montluc : un fort et une prison

  La prison militaire de Montluc

Bâtiment cellulaire. Copyright G. BissonLa prison militaire est construite en 1921. Sous-utilisée, elle est fermée dès l’automne 1932. La centaine de détenus qui l’occupe sont répartis entre les prisons Saint-Paul et Saint-Joseph.
Elle est remise en activité par l’administration militaire en 1939 et abrite des prévenus de droit commun, des militaires purgeant de courtes peines ainsi que des militants communistes (le parti communiste étant interdit depuis septembre 1939). Sous le gouvernement de Vichy, les motifs Corridor. Copyright G. Bissond’emprisonnement se multiplient (distribution de tracts, propos défaitistes…) et le nombre d’incarcérations augmente. La prison n’est cependant pas encore surpeuplée.
La prison est réquisitionnée par l’autorité d’occupation suite à l’invasion de la zone libre le 11 novembre 1942.

Et le fort Montluc ?

Porte de la prison. Copyright G. BissonParfois confondu avec la prison, le fort éponyme a été bâti entre 1831 et 1835. Il fait partie de la ceinture fortifiée édifiée par le général Rohault de Fleury à partir de 1830. D’abord nommé fort “de Villeurbanne”, il fut rebaptisé fort de Montluc sous le ministère de Boulanger en hommage à Blaise de Lasseran Massencome, seigneur de Montluc, maréchal de France ayant participé aux guerres d’Italie sous François 1er.
Le fort a été cédé au ministère de l’intérieur en 1969. Il a accueilli une caserne de CRS (Compagnies républicaines de sécurité) jusqu’en 1982, puis la Direction Départementale de la Sécurité Publique jusqu’en 2000. Il a fait l’objet d’une destruction partielle et d’une réhabilitation entre 2005 et 2007 (coût : 42,6 millions d’euros) afin d’accueillir un nouvel Hôtel de police.

Le bâtiment, occupé aujourd’hui Fort montluc. Copyright G. Bissonpar environ 800 fonctionnaires, n’est pas ouvert au public. Il regroupe les Services de la sécurité publique, la Direction zonale des renseignement généraux, la Surveillance du territoire et la Délégation régionale au recrutement et à la formation.

2. Montluc sous le joug allemand

Montluc réquisitionnée

Après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, la zone libre est envahie par la Wehrmacht. Les Allemands occupent Lyon dès le 11 novembre 1942. La prison de Montluc, isolée et proche des voies ferrées, est très vite convoitée par les autorités allemandes. Elle est réquisitionnée par la Wehrmacht (armée allemande) le 17 février 1943, qui en fait un lieu d’incarcération pour l’ensemble de la zone sud. L’administration de Vichy n’y a dès lors plus accès.

Montluc, vue aérienne. Coll. B. PermezelY sont internés des résistants, des otages, des juifs, mais aussi des prisonniers de droit commun. Au total, plus de 7000 personnes ont été incarcérées à Montluc pendant ces années sombres. Voici les chiffres avancés par la circulaire du 23 septembre 1952 [1] : 7331 français ou étrangers auraient été internés à Montluc entre le 11 novembre 1942 et le 24 août 1944, dont 622 fusillés, 2565 déportés (dont 840 rapatriés), 2014 libérés et 2440 personnes dont le sort est inconnu. Les détenus proviennent essentiellement de la région (6000 domiciliés dans le Rhône) et des départements avoisinants.

De dures conditions de vies pour les internés

Avec le renforcement de la répression et la multiplication des arrestations, la prison de Montluc est rapidement surpeuplée. Outre les cellules, qui abritent chacune 6 à 7 détenus, plusieurs lieux sont réaffectés pour entasser des détenus : réfectoire, atelier ou magasin, ainsi qu’une baraque en bois, surnommée la “baraque aux juifs”, qui abrite jusqu’à 200 personnes détenues dans des conditions encore plus rudes que les autres prisonniers. Manque de place, de sanitaires (les cellules en sont dépourvues), infestation de vermine… L’incarcération à Montluc est une épreuve physique mais aussi morale. Les détenus vivent dans la crainte d’une convocation pour interrogatoire à la Gestapo, et des départ “avec” ou “sans bagages” : pour la déportation ou pour l’exécution. A partir du printemps 1944, les exécutions arbitraires se multiplient au fur et à mesure de la progression alliée. Plus de 600 prisonniers auraient été extraits de Montluc pour être fusillés, dans près de 33 lieux autour de Lyon entre avril et août 1944, comme au Fort Lorette à Saint-Genis-Laval où 120 prisonniers sont exécutés.

Plusieurs survivants ont témoigné de la vie carcérale à Montluc pendant ces années sombres. En voici quelques exemples :

La Gestapo au centre de l’appareil répressif

L’instance allemande la plus impliquée dans la répression est la IVe section du Sipo-Sd, ou Gestapo, dirigée par Klaus Barbie. C’est la police politique chargée des arrestations des adversaires du régime nazi. D’abord installée à l’Hôtel Terminus près de la gare de Perrache, la Gestapo investit ensuite les locaux de l’Ecole des services de santé militaire avenue Berthelot, puis le 35 de la place Bellecour après le bombardement du 26 mai 1944. Les locaux de la Gestapo sont un lieu de torture pour de nombreux prisonniers de la prison de Montluc.
La milice, créée en 1943, contribue elle aussi à la répression à l’encontre des juifs et des résistants et livre nombre de ses prisonniers aux autorités allemandes.


Procès Klaus Barbie : portrait de l'accusé (Fonds Lyon Figaro)Klaus Barbie (1913-1991)
Surnommé le “boucher de Lyon”, Klaus Barbie n’hésite pas à mener ses interrogatoires avec une grande brutalité. Il est responsable de nombreuses arrestations, notamment celle de Jean Moulin en 1943 et des enfants d’Izieu en 1944, et du départ de milliers de juifs en déportation. Expulsé de Bolivie en 1983, il est symboliquement incarcéré quelques jours à Montluc. Il est jugé à Lyon en 1987 et condamné à perpétuité pour crime contre l’humanité.

Enfin la libération

Le 20 août 1944, l’armée allemande reçoit l’ordre du retrait. Toutefois les exécutions de prisonniers continuent et l’on craint pour le sort des internés de Montluc. Des hommes vont se battre pour sauver la vie des prisonniers : le Commissaire de la République Yves Farge, le préfet Boutemy, le cardinal Gerlier interviennent auprès des autorités allemandes (le colonel Von Fersen, le commandant Knap) sans succès. Des hommes des FFI (forces françaises de l’intérieur) sont postés près de la prison pour éviter toute évacuation de prisonniers. Le capitaine de la Wermacht Boesche, commandant de la prison, quitte finalement Montluc le 24 août 1944 au soir, grâce à un audacieux coup de bluff de la résistance [2]. Les hommes du FFI défoncent la porte et vont à la rencontre des prisonniers qui avaient commencé à se libérer de leurs geôles par leurs propres moyens.

Pour en savoir plus sur Montluc pendant l’occupation :

Remise en contexte :

 

3. Montluc : de la prison au lieu de mémoire

La prison après-guerre

Prison Montluc RDC. Copyright G. Bisson

Dès le 7 septembre 1944, la prison accueille des collaborateurs en attente de jugement. Montluc est restituée à l’administration militaire en novembre 1944. Le Tribunal permanent des forces armées est installé dans un bâtiment jouxtant la prison. Y sont jugés d’anciens collaborateurs, mais aussi des partisans de la cause algérienne internés à Montluc. Rendue à l’administration civile en 1947, la prison continue à accueillir des populations carcérales variées avant de devenir prison pour femmes en 1997. Le quartier des hommes, qui abrita notamment Jean Moulin, est alors condamné. Il sert occasionnellement de lieu d’exercices de sécurité. Le quartier des femmes, réhabilité, reste en usage jusqu’en février 2009 (il abritait alors une vingtaine de détenues), date à laquelle la prison de Montluc ferme ses portes, suivie bientôt par les prisons Saint-Paul et Saint-Joseph.

Prison Montluc. Copyright G. BissonSe pose alors la question de l’avenir de Montluc. L’Association des rescapés de Montluc (association fondée au lendemain de la guerre) en la personne de son ancien président, Georges Tassani, relayé aujourd’hui par Bruno Permezel, se battait depuis plusieurs années pour faire reconnaître la prison comme un lieu de mémoire. Une persévérance enfin récompensée par l’inscription d’une partie de la prison à l’inventaire des monuments historiques en juin 2009. Il est décidé de créer un mémorial pour valoriser les parties classées de la prison comprenant le bâtiment cellulaire ainsi que le mur de Cellules. Copyright G. Bissonclôture et le chemin de ronde, dont le Ministère de la Défense est affectataire, tandis que l’Université Lyon 3 se porte acquéreur de la partie non protégée du site pour un budget de 4 millions d’euros, afin d’y faire construire des bâtiments destinés à accueillir des services administratifs et des modules de formation continue.

Le Mémorial

Le comité de pilotage mis en place en mai 2009 sous la direction du procureur général Jean-Olivier Viout [3] a choisi de rendre à la prison son aspect des années quarante. Etage à restaurer. Copyright G. BissonUn budget de 595 000€ est alloué à la création du mémorial par le Ministère de la Défense et le Ministère de la Culture et de la Communication dans le cadre du plan de relance. Les travaux, dont la maîtrise d’œuvre a été confiée à Laurent Volay, architecte du patrimoine de la société Archipat, portent essentiellement sur la réparation de la verrière, la mise en sécurité du site et la réalisation d’un nouvel éclairage.
Trente-sept cellules ont déjà été restaurées, chacune présentant le visage et le parcours d’un détenu de Montluc. Jean Moulin, Marc Bloch, André Frossard, Jean de Lattre de Tassigny, les enfants d’Izieu, Klaus Barbie, mais aussi des hommes et femmes moins connus illustrent la diversité des internés. L’ancien réfectoire abrite quant à lui une exposition sur l’histoire des lieux. Pas un musée donc, mais un lieu à visiter dans le silence, pour s’imprégner du passé.
Réfectoire, exposition. Copyright G. BissonL’aménagement tel qu’il est présenté aujourd’hui n’est cependant qu’une première étape. Le premier étage est encore à restaurer, ainsi que des locaux annexes qui pourraient accueillir des ateliers pédagogiques et une équipe permanente sur le site [4].

Inauguré le 14 septembre 2010 par le secrétaire d’État aux Anciens combattants Cellule reconstituée. Copyright G. BissonHubert Falco, le mémorial s’est ouvert au public à l’occasion des journées du patrimoine les 18 et 19 septembre 2010, attirant plus de 5000 visiteurs. La prison Montluc ouvre désormais ses portes tous les jeudis pour des visites guidées organisées par l’Office national des Anciens combattants et Victimes de guerre :
ONACVG – Service départemental du Rhône : 04 78 27 15 61
mem.sd69@ onacvg.fr

  • Montluc, nouveau témoignage du Lyon capitale de la mémoire, Le Progrès, 14 septembre 2010, p. 7
  • Montluc, lieu de mémoire : ouverture en juin 2010, Le Progrès, 27 décembre 2009
  • Inauguration du mémorial sur France 3

Constituer un fonds d’archives Montluc
En vue de préserver la mémoire des lieux, l’Association des rescapés de Montluc a décidé de constituer un fonds d’archives “Montluc” à partir des documents détenus par l’association et ses membres. Ce fonds sera confié à la bibliothèque du CHRD. Les archives concernant Montluc étant très lacunaires, l’association est à la recherche de documents (photographies, témoignages, archives) relatifs à la prison et aux personnes internées à Montluc pendant la guerre.
Coordonnées de l’association :
ARMIDR
Bruno Permezel (président)
11 rue Laurent-Vibert
69006 Lyon
Téléphone : 04 78 93 68 61
bgapermezel@ gmail.com

 

4. Lyon et ses lieux de mémoire

Le Mémorial de Montluc n’est pas le seul lieu de mémoire à avoir vu le jour à Lyon en 2010. Le Jardin des 44 enfants d’Izieu, dans le 7e arrondissement, a été inauguré le 7 avril, tandis que le Mémorial Jean Moulin ouvrira ses portes à l’automne dans la maison du Docteur Dugoujon au courant de l’automne 2010.

Un mémorial Jean Moulin à Caluire

La maison du docteur Dugoujon est le lieu où Jean Moulin a été arrêté le 21 juin 1943 avec sept autres résistants, alors qu’il venait assister à une réunion entre chefs de la Résistance. Sont présents notamment Raymond Aubrac, Henry Aubry, le colonel Lacaze et René Hardy, qui sera le seul à s’échapper lors de l’interpellation.
La maison, inscrite à l’inventaire des monuments historiques en 1990, a été achetée par le Conseil général du Rhône en 2007. Un groupe d’experts, où figuraient Raymond Aubrac et Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin à Lyon, s’est penché sur la remise en état de la maison afin de lui rendre l’apparence qu’elle avait en 1943 lors de l’arrestation. Une borne audio a été installée dans chaque pièce afin de faire entendre aux visiteurs le témoignage des acteurs de l’époque. Inauguré le 21 juin, 2010, le mémorial sera ouvert au public à l’automne 2010, une fois réparés les dégâts causés par la pluie début septembre.


Jean Moulin (1899-1943)Jean Moulin (1899-1943)
Préfet d’Eure-et-Loir en 1940, il se rallie au général de Gaulle et œuvre pour l’unification des forces de la Résistance. Il fonde le Conseil national de la Résistance en 1943. Interné à Montluc suite à son arrestation du 21 juin 1943, il est torturé par la Gestapo et décède à Metz lors de son transfert à Berlin le 8 juillet.

 

Le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation

Le CHRD ouvre ses portes en 1992 dans les anciens locaux de l’Ecole du service de santé militaire, locaux qui avaient été investis par la Gestapo pendant le Seconde Guerre mondiale. Etablissement municipal, le CHRD est à la fois musée, centre de documentation, et lieu de mémoire. Il propose, outre une exposition permanente, des expositions temporaires ainsi que des animations autour de ses collections. Un lieu incontournable qui garde et valorise la mémoire des résistants et des victimes de la barbarie nazie.

Découvrir les lieux du souvenir

Chaque année se déroule la journée de la Résistance le dimanche le plus proche du 21 juin. Une date symbolique proche de la date d’arrestation de Jean Moulin à Caluire. Créée en 1967 par Robert Namiand et Robert Vallon, deux résistants déportés du Rhône, cette tournée d’hommage aux victimes du nazisme se perpétue chaque année grâce à l’association du même nom, sous la présidence actuelle de Pascal Charret. Une dizaine d’équipes sillonnent le département pour honorer les 84 stèles érigées dans le Rhône.
Journée de la Résistance
36 avenue Lacassagne (3e)
Contact : 04 27 82 47 59

Plusieurs ouvrages et sites web proposent de découvrir ces lieux de mémoire et de recueillement :

Retrouvez les articles de presse cités et bien d’autres encore dans :

  • Dossiers de presse Rhône-Alpes : fichiers pdf des articles sélectionnés de 1993 à 2004 (accessibles uniquement dans le réseau BML), références bibliographiques de 2005 à nos jours
  • Europresse : articles du Progrès depuis 1997 (base accessible dans les bibliothèques du réseau BML)

[1] Chiffres donnés après examen des dossiers des services des relations franco-allemandes de Lyon et des archives récupérées partiellement à la libération par le service régional de l’identité judiciaire de Lyon

[2] Le commandant Koening, général en chef des FFI, appelle le commandant de la prison en se faisant passer pour son supérieur, le commandant Kraemer, et lui donne l’ordre de quitter les lieux

[3] Le comité de pilotage rassemble des représentants des associations d’anciens résistants, des déportés juifs, les services de l’Etat ; de la Ville de Lyon et de l’Université Lyon 3

[4] Source : Office national des Anciens combattants et Victimes de guerre, service départemental du Rhône

Documentation régionale, 2010

Partager cet article