Le tournant décolonial

- L'anagnoste

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Revue Vacarme, 2015/4, n° 71

Si le postcolonialisme a entrepris de réintroduire dans l’histoire le passé colonial et esclavagiste de l’Occident, en particulier en y intégrant des penseurs non occidentaux, la pensée décoloniale postule que les rapports de pouvoir entre anciens colonisateurs et colonisés perdurent encore de nos jours. Elle rejette toute idée de modernité, européenne ou « plurielle », et d’universalisme.

Le mouvement décolonial trouve son origine théorique chez les penseurs latino-américains Walter Mignolo et Ramón Grosfoguel qui fondent leurs analyses sur la « colonialité » – radicalement distincte du colonialisme. Cité par Alain Policar dans « De l’existence du décolonialisme » (AOC, 2020), Ramón Grosfoguel écrit : « Par “colonialité du pouvoir”, nous désignons l’oppression/exploitation politique, économique, culturelle, épistémique, sexuelle et linguistique des groupes ethno-raciaux subordonnés par des groupes ethno-raciaux dominants avec ou sans administrations coloniales ».

Pour Ramón Grosfoguel, poursuit Policar, « à la hiérarchie des connaissances ainsi construite [par l’Occident] correspond une hiérarchie des êtres. Les discours des droits, y compris le plus récent, celui sur les droits humains, font partie “des conceptions globales impériales”. Ils se superposent à “la hiérarchie ethno-raciale globale” qui accompagne et justifie la dichotomie entre connaissances et théories produites par l’Occident et ce que les “autres” proposent, soit religions, folklores et mythes. »

Pour le décolonialisme, il s’agit de se dégager des hiérarchies produites par l’histoire coloniale, en y opposant un affrontement entre les « racisés » et les blancs, soit une ethnicisation des rapports sociaux, et donc de s’extraire du principe de souveraineté individuelle porté par le projet moderne.

Pour aller plus loin :

Penser l’envers obscur de la modernité : une anthologie de la pensée décoloniale latino-américaine / sous la direction de Claude Bourguignon Rougier, Philippe Colin et Ramón Grosfoguel (2014)

• Smaïn Laacher, Racisme, privilège blanc, débats identitaires : que nous arrive-t-il ? (2 septembre 2020)

• Emmanuel Debono : La stratégie décoloniale de radicalité (6 juillet 2020)

• « La pensée décoloniale est peu développée dans le monde politique français et académique » : entretien de Marie Poinsot avec Françoise Vergès (Hommes et migrations, 2019/4)

« La pensée “décoloniale” renforce le narcissisme des petites différences  ». Un collectif de 80 psychanalystes s’insurge, dans une tribune au « Monde », contre l’emprise croissante d’un dogme qui, selon eux, ignore la primauté du vécu personnel et dénie la spécificité de l’humain. (Le Monde, 25 septembre 2019)

Norman Ajari : « Le mouvement décolonial n’est pas identitaire » Entretien avec le jeune universitaire franco-américain, philosophe « organique » du mouvement décolonial (Le Point, 18 janvier 2021)

« Faut-il en finir avec l’universalisme ? » Le Débat Norman Ajari/Etienne Balibar (20 avril 2017, « Paroles d’honneur », émission de débat politique, pour un regard neuf sur l’actualité en faisant entendre la voix des quartiers et de l’immigration post-coloniale)

Norman Ajari est l’auteur de La dignité ou la mort : éthique et politique de la race (2019) – Etienne Balibar est notamment l’auteur de Race, nation, classe : les identités ambiguës (avec Immanuel Wallerstein, 1e éd. 1988)

 

 

 

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