Le virtuel au secours des arêtes de poisson
Dans le cadre du Printemps du numérique et des rencontres du cycle "Où va la ville" de la bibliothèque de la Part-dieu, a eu lieu le 3 avril 2024, la conférence collective d'Hervé Tronchère (Ville de Lyon, UMR 5600 EVS), Catherine Pothier (chercheuse INSA, UMR 5205 LIRIS), Tony Silvino (Ville de Lyon, l’UMR 5138 Archéologie et Archéométrie) et Thibault Dupont (Enseignant-Chercheur en informatique graphique, CPE Lyon).
Publié le 26/08/2024 à 16:44 - 6 min - Modifié le 28/08/2024 par ygodde
Les « arêtes de poisson » de Lyon sont un réseau de galeries d’environ 2 km creusées durant l’Antiquité sous la colline de la Croix-Rousse. Leur fonction reste à ce jour inconnue ; elles font partie de l’imaginaire lyonnais, et font l’objet de problématiques de recherche dans le domaine de l’archéologie, de l’urbanisme, de la géologie. Ces souterrains constituent également un enjeu important en termes de préservation et de valorisation auprès du grand public.
Une équipe pluridisciplinaire, composée de chercheurs en archéologie et en informatique, nous présente en quoi la recherche informatique sert la recherche en archéologie.
Catherine Pothier, enseignante à l’INSA, spécialisée en Intelligence artificielle et Géologie et rattachée au laboratoire LIRIS (Laboratoire d’Informatique en Image et Système d’Information).
Hervé Tronchère : géomorphologue de formation, il travaille comme géomaticien infographe 3D pour le Service municipal d’Archéologie de la Ville de Lyon et est rattaché au laboratoire EVS (Environnement Ville Société).
Tony Silvino : archéologue, il travaille avec Cyrille Ducourthial qui dirige le PCR, sur un ouvrage sur les sarrasinières (galeries qui longent le Rhône en direction de l’Ain). Il est rattaché au laboratoire ArAr (Archéologie et Archéométrie).
Thibault Dupont, enseignant chercheur à CPE Lyon, il travaille avec le groupe Virtual City Project du laboratoire LIRIS sur la modélisation informatique de la Ville.
Hervé Tronchère introduit la conférence
Les arêtes de poisson sont un objet archéologique et patrimonial exceptionnel dans le paysage lyonnais et plus largement dans le monde romain.
Elles font l’objet actuellement de projets de recherche scientifique et d’un projet de restitution au public.
Le premier projet est un Projet Collectif de Recherche (PCR) mené depuis 2018 qui concerne les galeries antiques de la rive droite du Rhône à Lyon et en amont, porté par la Ville de Lyon et plusieurs laboratoires du monde de l’archéologie. Il est financé par le Ministère de la Culture.
Il met en œuvre des méthodes et outils traditionnels de l’archéologie et de la géo-archéologie (histoire, épigraphie).
Le 2ᵉ projet concerne le studio GALERI3 (Labex IMU Intelligences des Mondes Urbains). Les galeries ont fait l’objet d’une campagne de numérisation 3D intégrale, portée par la Ville de Lyon entre 2019 et 2021. Les membres du studio GALERI3 traitent et exploitent ces données 3D afin de constituer une maquette virtuelle des galeries dans leur état origine. Le projet est porté par le laboratoire d’informatique en Image et Systèmes d’Information (LIRIS) et Service Archéologique de la Ville de Lyon (SAVL).
Les outils sont issus du monde de la reconstruction 3D et de la géovisualisation grâce à une interface en ligne développée par Thibault Dupont.
Le 3ᵉ projet concerne la valorisation de ce réseau antique auprès du grand public. Il est réalisé grâce au budget participatif de la Ville de Lyon, voté par les citoyens, l’an passé.
Si ce réseau est l’objet de tant d’études, c’est parce qu’il fait l’objet de problématiques scientifiques variées :
- Logiques de construction
- Fonction de l’ouvrage
- Chronologie
- Insertion dans le tissu urbain romain
Tony Silvino présente ensuite les résultats et l’état des recherches en cours en archéologie sur les arêtes de poisson. L’étude de cet ouvrage exceptionnel fait partie d’un projet collectif de recherche depuis 2020, intitulé Galeries antiques de la rive droite du Rhône à Lyon et en amont de Lyon, porté par Cyrille Ducourthial. Le projet a pour objet l’étude des souterrains lyonnais, mais aussi un ouvrage sur les sarrasinières.
Il présente un historique de la découverte du réseau.
En février 1959, à la faveur d’un affaissement de la chaussée à l‘angle de la rue des fantasques et de la rue Grognard, un puits est découvert sur une profondeur de 20 à 30 mètres jusqu’au niveau de la place Michel-Servet.
En 1965, des travaux de consolidations sont réalisés. On pense alors qu’il s’agit d’un ouvrage réalisé à l’époque moderne. En réalité, il s’agit d’une redécouverte d’un ouvrage connu dès 1508 selon les sources d’archives.
Il faut attendre 2008 pour que soit réalisée la première expertise archéologique conduite par l’équipe d’Emmanuel Bernot, à la faveur du percement du second tunnel de la Croix-Rousse.
En 2020, les études reprennent dans le cadre du PCR. On réalise en particulier une datation au carbone 14 des charbons de bois retrouvés dans le mortier de construction. On démontre que l’ouvrage date de la période romaine, autour du 1ᵉʳ siècle.
Plusieurs hypothèses sont présentées par la communauté scientifique. Est-ce un système de drainage ou de captage des eaux, des galeries de confortement, un stockage monétaire ou de céréales, un aménagement portuaire ? L’état des connaissances de l’urbanisme antique du secteur ne permet pas de relier avec certitude ce réseau à un autre édifice connu.
Actuellement l’énigme reste entière.
Catherine Pothier rend compte des travaux du Studio IMU GALERI3 qui a réalisé, en collaboration avec Hervé Tronchère, des modèles numériques dans le but de percer le mystère des arêtes de poisson.
Grâce à des logiciels d’analyse de données et de simulation géologique et thermique, ont été réalisés des modèles informatiques qui ont permis d’affiner certaines hypothèses.
Thibault Dupont présente le WebSIG réalisé dans le cadre du projet VCity du LIRIS. Ce laboratoire a été sollicité pour développer un outil collaboratif pour les professionnels qui travaillent sur les arêtes de poisson. Il s’agit de permettre à chaque intervenant de positionner des données géoréférencées variées et très volumineuses (nuage de points relevés par LIDAR), de manière fluide. Le système permet de ne charger que les parties qui intéressent l’utilisateur à un moment donné. La modélisation 3D des arêtes de poisson apparaît sous le modèle numérique de terrain et les élévations fournies par le Système urbain de référence de la Métropole. Des outils de mesure sont intégrés.
La partie collaborative du système permet le management des utilisateurs et de leurs rôles. Les données sont accessibles à toutes les personnes qui travaillent sur le projet et qui peuvent enrichir ce modèle de leurs propres données. On va pouvoir ajouter les topographies détaillées et éventuellement de la topographie antique et ainsi confirmer ou infirmer des hypothèses.
Hervé Tronchère conclut en annonçant la diffusion prochaine d’une visite virtuelle, proposée aux journées européennes du patrimoine en septembre 2024. Il s’agit d’un projet de valorisation grand public avec des interfaces simplifiées et plus éditoriales que les outils scientifiques de géovisualisation présentés dans le cadre de cette présente conférence. Son objectif est de présenter toutes les hypothèses, l’état de la recherche et l’intérêt de préserver ce patrimoine. Ce travail est réalisé par la société Mazedia. Il sera visible en ligne prochainement.
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