Pour l’amour du crime
Publié le 02/10/2024 à 09:00 - 9 min - Modifié le 26/09/2024 par EM
2024, centenaire de la naissance de Truman Capote, l'occasion de se pencher sur le "True crime".
Le “True crime”, littéralement le “crime vrai” est un genre documentaire originaire des États-Unis. Il connaît ces dernières années un essor considérable. Diffusé à la télévision, au cinéma, en podcast, et sur internet, les auteurs y décrivent des enquêtes criminelles de façon détaillée, où se mêlent fiction et réalité pour donner un nouvel éclairage. Comment est né ce courant ?
La naissance d’un genre
Aux Etats-Unis, c’est le roman Crime de Meyer Levin en 1956 qui inaugure le genre avec l’affaire Leopold et Loeb, porté à l’écran par Richard Fleischer sous le titre Le Génie du mal.
Chronologiquement vint l’iconique De sang-froid en 1966 de Truman Capote dans lequel ce dernier retrace le meurtre d’une famille de fermiers dans le Kansas. Le romancier rencontre les deux meurtriers, et tisse une relation jusqu’à assister à leurs exécutions. Les ventes mirifiques atteignant les 5 millions d’exemplaires lui confèrent souvent la paternité du genre.
En 1967, Richard Brooks l’adapte en film.
D’autres auteurs américains s’illustrent comme Norman Mailer avec Le Chant du bourreau (1979) couronné du prix Pulitzer en1981, et Vincent Bugliosi avec La Tuerie d’Hollywood sur l’affaire Charles Manson, qui reçoit le prix Edgar-Allan-Poe en 1975.
En France, la naissance du “roman réaliste” s’opère parallèlement à l’intérêt que suscitent les faits divers. En premier, les chroniqueurs judiciaires, tel Gaston Leroux, initient les premiers romans policiers français.
Journalisme et narration
Dès ses origines, la narration du “crime du réel” implique l’investigation de son auteur. Rompus à l’exercice, les journalistes s’imposent et se démarquent par leur objectivité et leur souci du détail. Souvent, le traitement du fait criminel réfère au roman-feuilleton du XIXe siècle ou au roman policier par l’utilisation :
- d’une narration au présent de l’indicatif,
- de la présence de dialogues,
- de la restitution du regard des protagonistes,
- du langage du roman policier,
- de la tension narrative.
L’auteur peut adopter soit la posture du témoin du fait-divers soit celle d’un enquêteur. La réalité criminelle racontée à la première personne du singulier permet différents angles d’approche : enquêteur, victime, ou meurtrier. De surcroît, deux grandes catégories de récits se distinguent :
- ceux s’attachant à des affaires anciennes célèbres.
- ceux décrivant des affaires criminelles pas encore élucidées dites “cold case”.
Dans ce dernier cas, la narration du true crime offre parfois l’occasion d’une avancée dans l’enquête.
Le True Crime dans la production littéraire actuelle
En 2022 le grand prix de littérature policière auréole American predator de Maureen Callahan, journaliste américaine. Un an après, le magazine Society s’associe aux éditions 10/18 pour créer la collection « True Crime » donnant une approche de l’histoire des États-Unis par ses grandes affaires criminelles.
En 2024, les auteurs de littérature noire trempent aussi leur plume dans la réalité. La frontière entre fiction et réalité disparaît. Comme :
En 2024, Dolores Redondo, célèbre autrice espagnole de roman policier se penche sur un cas qui a marqué sa jeunesse. La traque entre 1968 et 1969 de celui que la presse écossaise a surnommé “Bible John”, accusé du triple meurtres de trois femmes rencontrées dans une discothèque de Glasgow.
Patricia Delahaie propose un angle inédit, celui de se plonger dans la tête du prédateur. Inspiré par l’affaire Ranucci dans les années 70, elle dépeint un jeune homme de vingt ans peinant à contenir ses démons. De la famille à l’avocate, des policiers à l’accusé, un livre qui décortique la génèse sur le mal avec sensibilité.
Caryl Ferey délivre un roman personnel touchant. Février 2021, Magali Blandin disparaît, elle est originaire de son village natal. Un mois plus tard, la découverte de son cadavre dans le bois de Boisgervilly à proximité de son domicile porte les soupçons sur son mari. L’occasion pour Ferey de s’interroger sur ce qui le relie à la criminalité.
Le spectateur : enquêteur ou admirateur ?
Si l’été 2020, le magazine Society écoule plus de 280 000 exemplaires avec la couverture consacrée à Xavier Dupont de Ligonnès, cela démontre bien la passion des français pour ce fait divers. Les réseaux sociaux regorgent d’enquêteurs amateurs. Avec 10 000 disparitions non élucidées par an en France et plus de 600 000 aux États-Unis, ces affaires constituent une source intarissable pour les enquêteurs amateurs.
Si s’intéresser aux True crime peut paraître malsain pour certains, d’autres tombent dans une profonde fascination. De nombreux meurtriers suscitent l’admiration tels Ted Bundy, Charles Manson, Richard Ramirez ou encore Jeffrey Dahmer et font l’objet de nombreuses adaptations.
Le cas de Ted Bundy déclenche la curiosité et l’intérêt de jeunes femmes qui le soutiennent lors de son procès. Ainsi, les “hybristophiles“, ou atteintes du « syndrome de Bonnie & Clyde » jettent leur dévolu sur les repris de justice.
Dans la tête
Enfin, difficile d’écarter l’attrait psychique et même voyeuriste des lecteurs et des auteurs. En quête de vérité, fasciné par le défi intellectuel et le besoin de justice, nous devenons des détectives en puissance.
Une partie de l’attrait pour ces histoires sordides est la possibilité de réfléchir : comment réagiriez-vous dans une telle situation ? En raison de nos fantasmes sadiques sous-jacents, des pensées telles que « Ça pourrait m’arriver » se développent. Suivre un crime nous donne une idée de ce qu’on peut faire nous-mêmes pour éviter ce genre de situation horrible.
Le true crime aide à comprendre les situations qu’on craint, ce qui nous donne un sentiment de contrôle. explique Ariane Bazan, docteure en analyse neuropsychologique.
En conclusion, découvrir un fait divers dilué dans un récit romanesque ne le rend pas plus supportable ni plus acceptable. Face à l’incroyable réalité, la précision que de telles horreurs puissent avoir été commises dote l’enquête d’un “supplément d’âme”. Touché, le lecteur s’identifie plus profondément et assouvit ses penchants. Comprendre pour frissonner, mais pour se donner aussi l’illusion d’un meilleur contrôle.
Rendez-vous Jeudi 3 Octobre 18h30 A la Bibliothèque de La Part Dieu pour une conférence sur le sujet.
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