Willem, rire du pire

Hi hi hi, rire en case aujourd’hui

- temps de lecture approximatif de 10 minutes 10 min - Modifié le 14/11/2023 par EM

A l'occasion de l'exposition rétrospective "Rire du pire" de Willem en partenariat avec la Bibliothèque Nationale de France et l'association Cà presse à la Bibliothèque Municipale de Lyon, riez avec nous en bd.

Le Rire 22 Novembre 1896
Le Rire 22 Novembre 1896

Selon Wolinski, « l’humour est le plus court chemin d’un homme à un autre ». De nos jours, les réseaux sociaux font office de raccourcis. Si le dessin s’avère un langage universel, « un bon dessin vaut mieux qu’un long discours » disait Honoré. L’évolution des mœurs et des cultures a éprouvé les sensibilités. Ce qui nous pousse à nous demander : de quoi rit on en bande dessinée aujourd’hui ?

Définir l’humour

Afin de partir sur de bonnes bases, révisons notre définition de l’humour :
Forme d’esprit qui consiste à dégager les aspects plaisants et insolites de la réalité, avec un certain détachement. Trois degrés distincts le composent :

  • le premier degré : compréhension simple et directe d’un effet ou d’une situation comique.
  • le deuxième degré : l’humour se déclenche d’un deuxième niveau de lecture, d’une appréciation plus fine.
  • le troisième degré : faire rire par des ressorts plus complexes voir abstraits ou absurdes.

Le détachement et les degrés évoqués ci-dessus s’avèrent difficilement applicables au dessin.
De suite, l’esprit subit la vision d’une œuvre choquante, et c’est son décryptage qui dans un deuxième temps apporte la distance nécessaire à sa compréhension et déclenche l’amusement.

Brève histoire de la liberté d’expression

Si de nos jours, l’humour revêt des formes plurielles, deux lois dans notre consitution posent les bases pour qu’artistes, penseurs, dessinateurs et écrivains puissent œuvrer :

La loi de 1789 : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
– La loi du 29 juillet 1881 protège la liberté d’expression.
Dès le 18e, la caricature déforme et attaque principalement la politique et la religion.
Ses trois fonctions de base sont : exagérer, défigurer, accuser pour faire réfléchir et réagir.
Ci-contre Honoré Daumier caricature et ridiculise le roi Louis-Philippe. A cette même époque paraît le journal satirique “Le Rire” qui ne s’arrêtera qu’après 1337 numéros (cf. couverture).

Après la Seconde Guerre mondiale, la bande dessinée humoristique envahit la presse.
Avec les mouvements contestataires des années 60, la presse satirique explose. Hara Kiri est condamné pour blasphème et devient Charlie Hebdo. Le sens critique s’aiguise.

« Il n’y a pas de limites à l’humour qui est au service de la liberté d’expression car, là où l’humour s’arrête, bien souvent, la place est laissée à la censure ou à l’autocensure. »

Cabu

La forme

L’humour en BD dédramatise une situation et utilise les fameux ressorts de distance évoqués plus haut. Outre le dessin, le rythme est majeur, et peut revêtir 4 types de mise en scène :

le strip, la bande dessinée en une ligne.

le gag, le plus souvent une histoire narrée sur une seule page.

– et le récit en un volume dit “one shot, relatant une aventure humoristique complète.

– et enfin la série comme “la marche du crabe” d’Arthur De Pins.

Dans l’humour, le dessin caricature les personnages pour les rendre très expressifs. Les onomatopées et les phylactères démontrent l’humeur des personnages. Le dessin devient secondaire, prévalent la mise en scène et le propos.

Le fond

L’esprit libertaire des années 60 devient foisonnant pour la bande dessinée. Par le prisme humoristique, les auteurs dénoncent les clivages sociaux, la fin des valeurs traditionnelles et l’absurdité de notre société de consommation.

Ces vingt dernières années, l’explosion numérique a mis en lumière les pensées les plus intimes, et le dessin a contribué à l’universalité de ce message. Afin de nous faire rire, les auteurs disposent d’un éventail de mise en scène comme : le comique de situation, la parodie, l’autodérision, et l’humour noir.

L’autodérision

Avec l’avènement des blogs dans les années 2000, les auteurs s’épanchent sur leur quotidien. Outils populaires, ces cahiers illustrés fleurissent. Certains auteurs vont exceller dans cette narration de l’intime comme Penelope Bagieu, Margot Motin, Boulet, ou Lewis Trondheim.

Les auteurs étrangers ne sont pas en reste, et s’épanchent aussi en numérique.

En Italie, Zerocalcare méconnaît son histoire familiale. Au décès de sa grand-mère, il va se plonger dans ses souvenirs d’enfance entre France et Italie. Forte de plus d’un million d’albums vendus, cette bande dessinée sera même adaptée à la télé.

Après avoir grandi aux États-Unis, Elizabeth Pich débute avec Wars and Peas sur Instagram, strips comiques inspirés des Monthy Python. Son roman graphique Fun girl sort en France en 2021 chez Les Requins Marteaux et met en scène une héroïne moderne particulièrement irrévérencieuse.

Enfin, Riad Sattouf couronné du Grand Prix d’Angoulême, incarne un des plus grands succès éditoriaux de ces dernières années. Il témoigne avec humour et sincérité d’une enfance touchante entre confidences et réflexions.

Ainsi, dans une ère médiatique dominée par la mise en scène de soi, les codes humoristiques se réinventent continuellement.

Les maîtres de l’absurde

Nos mœurs ont évolué vers une forme de contradiction quotidienne dont il est facile de rire. Véritable filtre permettant de supporter une réalité lourde, l’humour forme un bouclier pour prendre le recul nécessaire face à la peur, la maladie ou la mort. Du petit-lait pour des auteurs adeptes d’absurde comme :

Fabcaro qui, après le succès en librairie de Zaï zaï zaï, signe l’adaptation de son œuvre au théâtre et au cinéma. Auteur prolifique, il s’impose comme un maître du troisième degré. Enfin reconnu, il signe aujourd’hui le dernier Astérix.

Bouzard et B-gnet recèlent de trésors d’humour absurde. Dans la lignée d’un humour anglais désopilant, le burlesque est ici de mise.

Monsieur le Chien s’affirme dans sa maîtrise de la parodie en se jouant des codes de “l’heroic fantasy” dans la série Poussin-bleu aux éditions Fluide Glacial.

Rire pour faire réagir

Enfin, à l’ère des “fake news” où tout ce qui est écrit n’est pas sourcé, les auteurs satiriques de presse ont plus que jamais leur place.
Ainsi, des auteurs comme Martin Vidberg, Marc Dubuisson et Tienstiens réinventent les codes du dessin de presse en usant des icônes de la pop culture. Par leur modernité et leur franc-parler, ils séduisent la jeune génération.

En conclusion, gardez les yeux ouverts : la BD humoristique peut vous amener à réfléchir tout en vous divertissant. Et comme le dit Riad Sattouf :

on a le droit d’être choqué par une caricature, mais pas d’interdire d’en faire.

Ainsi, si vous voulez en prendre plein les mirettes, venez visiter et rire avec lexposition consacrée à Willem qui se tient à la Bibliothèque de la Part Dieu du 12 octobre 2023 au 3 février 2024.

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