Le Chercheur, cet inconnu

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Retournons le microscope, le télescope ou les autres instruments de mesure, et observons l'observateur. On a beaucoup entendu parler des enseignants-chercheurs ces derniers temps, voire jeté un œil dédaigneux sur la recherche elle-même qui chercherait trop pour trouver trop peu, les cerveaux fuient toujours autant et le savant fou reste un grand méchant efficace dans les blockbusters comme dans les séries B. Au bout du compte, pourtant, on est souvent incapable de parler correctement de ces personnes qui, avant d'être des rats de laboratoire, sont des femmes et des hommes qui tombent la blouse le soir venu. Oui, le chercheur dort, mange, lit le journal et, pourquoi pas, joue au tiercé tous les dimanches matins.

© Pixabay
© Pixabay

nuitdeschercheursLe 25 septembre aura lieu dans l’ensemble des pays européens la Nuit des Chercheurs. Dans toute la France, et notamment à Villeurbanne, se dérouleront des animations visant à présenter les chercheurs et leurs travaux, leur métier et leur passion. La culture scientifique est une réalité qu’ils tenteront de présenter au plus grand nombre. A cette occasion, l’association 1001 sciences organise un Café des Sciences au cours duquel les chercheurs “tomberont la blouse”…

JPEG - 5.8 ko

Le chercheur inquiète, agace, rassure, suscite parfois l’admiration, rarement l’indifférence. Qu’est-ce qu’un chercheur ? Qu’est-ce qu’être un chercheur ? Comment peut-on être chercheur ? L’est-on par nature, par essence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ou bien est-ce un caractère acquis ? Florence MALKA, doctorante débutante en biologie, et Lydie KOCH MIRAMOND, astrophysicienne titrée et décorée, tentent de répondre à cette question à travers un dialogue préfacé par Axel KAHN, aux éditions de l’Harmattan. Il s’agit pout elles de tenter de redonner confiance à la société en ses chercheurs et réciproquement de rappeler aux chercheurs leurs devoirs envers la société. S’interroger sur ce qu’est le chercheur signifie trouver la place de l’homme entre la légitimité de la science et de ses objectifs, et la réalité des relations dans la communauté scientifique comme entre celle-là et le monde profane.

JPEG - 20.5 ko

Chercher – jours après jours, les aventuriers du savoir. Cet essai, rédigé collectivement par une trentaine de chercheurs toutes disciplines confondues et dirigé par Jean-François SABOURET et Paul CARO, directeurs de recherche au CNRS, situe le chercheur entre le « prophète omniscient » et « l’éternel autodidacte ». L’ouvrage nous fait rentrer dans le monde de la recherche par les hommes et leur passion commune pour les merveilles de la nature et les lois qui les gouvernent. Les auteurs nous font découvrir la communauté scientifique, dégagée des frontières et soumises à ses règles propres. Le chercheur est présenté en « aventurier minutieux » aux avancées minuscules parfois saluées par une foule de quelques dizaines de personnes.

JPEG - 11.2 ko

Les conditions de métier de chercheur ont évolué et évoluent encore sans cesse. Pierre JOLIOT est professeur au Collège de France, en bio-énergétique cellulaire, et est également le fils de Frédéric et Irène Joliot-Curie et le petit-fils de Pierre et Marie Curie. S’il ne tire de cette généalogie aucune fierté ni légitimité, elle lui offre cependant un point de vue rare sur l’évolution du métier de chercheur par une connaissance intime de ce métier sur trois générations, ainsi qu’un regard forgé tout au long de sa vie sur une profession dans laquelle il a toujours baigné. Il nous l’offre dans La recherche passionnément. Il considère la recherche comme un espace de liberté et de création et l’oppose tout à la fois au scientisme « sans état d’âme » du début du XXe siècle et à la montée de l’irrationnel qu’il pressent. Malheureusement, à ses yeux, l’évolution actuelle éloigne le métier de sa véritable vocation créatrice en étant soumis aux mots de « compétitivité » et de « rentabilité ».

GIF - 5.2 ko
JPEG - 4.3 ko

Quelques images en disent parfois plus long qu’un grand discours, paraît-il. En 2008, l’ENS Lyon édite La Science en Personnes. Il s’agit d’un recueil de photographies prises par Vincent MONCORGE dans l’Ecole. N’étant pas un scientifique lui-même, le photographe porte un œil neutre, sans a priori sur la vie quotidienne des chercheurs. Carte Blanche lui a été laissée par le directeur de l’Ecole, Philippe GILLET, et il a su en faire usage tout en restant le plus discret possible. La centaine de photographies rassemblées dans ce livre est accompagnée de vingt-cinq portraits, écrits ceux-là, rédigés par Yvan SCHNEIDERLIN, également peu familier avec le monde scientifique. L’œil du photographe et la plume du rédacteur percent à jour l’humain sous la blouse du chercheur.

GIF - 6.1 ko

Autres images, dessinées cette fois-ci : le webcomic PhD, ces lettres signifiant non pas comme on pourrait le croire Philosophiae Doctor mais bien Piled Higher & Deeper. Depuis 1997, Jorge CHAM croque sur ce site la vie (« or the lack thereof », comme il l’écrit lui-même) de quelques étudiants et professeurs fictifs en troisième cycle d’études à l’université de Stanford, en Californie. Il a lui-même obtenu son diplôme en 2003, mais continue d’alimenter son site de dessins et de réflexions sur le monde de la recherche en université et en général. Classique dans le milieu universitaire, ce webcomic a été maintes fois salué par les milieux scientifiques comme par les critiques de bande dessinée.
Uniquement en anglais, hélas.

JPEG - 36.4 ko
JPEG - 40.7 ko

Dans le débat opposant l’inné à l’acquis, la question de la nature de l’homme peut toujours être posée d’une nouvelle manière. Par exemple : est-on chercheur par essence, ou le devient-on ? Vingt chercheurs, au nombre desquels on peut compter Jean-Marc LEVY-LEBLOND, Pascal PICQ ou Jean-Pierre LUMINET, cherchent à expliquer, dans Le Goût de la science, comment l’on devient chercheur. Quelques pages pour raconter comment ils sont passés « du berceau à la paillasse », quelles ont été les émotions enfantines ou les grandes questions qui les ont poussé dans cette voie. Le métier qu’ils décrivent se dévoile sous un jour nouveau, dans l’écart qui existe entre l’idée que l’on s’en fait et la pratique quotidienne, entre la passion toujours vivace et les déceptions et joies de chaque jour.
Les textes ont été rassemblées par Julie CLARINI.

JPEG - 34.2 ko

Florence GUICHARD tente également de répondre à la question Comment devient-on scientifique ? Elle nous livre dans cet ouvrage le résultat d’une enquête menée auprès de plus de trois cents scientifiques, chercheurs, ingénieurs, Académiciens ou enseignants, jeunes et moins jeunes, hommes ou femmes. Si l’on arrive à cerner quelques éléments communs qui ont déclenché ces vocations, on s’étonnera surtout de la grande diversité des origines de ces personnes ayant l’amour de la recherche en commun. Le cheminement est décrit de manière chronologique, de l’enfance jusqu’à l’université, en passant par la rencontre avec des professeurs marquants, des spectacles, des lieux ou la façon de traiter la science dans les médias. Tout cela donnant en conclusion les clés pour tenter de faire naître ces mêmes vocations dans un secteur qui s’appauvrit face à un monde qui demande de plus en plus de réponses.

La situation et la composition du corps des chercheurs a évolué dans le temps. Etre un chercheur n’a pas toujours signifié la même chose et certains sont allés très loin pour élargir le champ des connaissances.

JPEG - 5.7 ko
JPEG - 38.4 ko

Morts pour la science, de Pierre SWEIACKER.
« Loin d’être un long fleuve tranquille, la recherche scientifique est le théâtre de passions tragiques, où meurtres et suicides causent plus de victimes dans les rangs des chercheurs que les accidents de travail. » Discipline par discipline (mathématiques, physique, sciences de la vie…), l’auteur nous présente les combats, parfois perdus, souvent mortels, de ceux qui ont dû batailler pour faire entrer dans le corps des connaissances des découvertes ou des théories qui n’y avaient pas encore leur place. Autant d’éléments qui nous semblent anodins ou évidents aujourd’hui et qui ont nécessité de remporter des luttes farouches avant d’être acceptés. La recherche scientifique comme sport de combat ? « En cours de route, la bataille a laissé quelques cadavres au bord du progrès. » On savait que l’on tuait pour l’amour, l’argent ou la gloire. On apprend ici que l’on peut aussi assassiner pour une formule chimique ou se suicider pour une équation mal résolue.
Un angle noir et original pour présenter une autre histoire des sciences et une facette bien sombre du chercheur : humain, trop humain.

JPEG - 36 ko

L’image du savant ou du chercheur est en général celui de l’homme à lunettes et à blouse. Les femmes ont pourtant joué leur rôle dans l’aventure de la recherche. Eric SARTORI tente de leur rendre justice en écrivant une Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au XXe siècle. Il s’agit alors de se rendre compte que la vraie question n’est pas : « pourquoi si peu de femmes ont-elles été de grands scientifiques ? » mais bien « pourquoi connaissons-nous si peu et si mal les femmes scientifiques ? ». L’unique médecin du peuple, écrit Michelet, fut pendant longtemps la Sorcière ou la Bonne Dame ; son histoire est pourtant mal connue, et est rarement intégrée à l’histoire des sciences. Dans ce domaine comme dans les autres, selon Eric Sartori, on a réellement fait preuve d’une oppression systématique et violente. Des antiques Grecs aux Lumières, tous expliquent et défendent la naturelle infériorité intellectuelle des femmes…

JPEG - 42.1 ko

L’histoire du chercheur c’est aussi à travers celle de la communication internationale et des rencontres entre les esprits qu’elle se fait. A cet égard, le moine Mersenne était et reste un modèle. Jean-Pierre MAURY, dans A l’origine de la recherche scientifique : Mersenne, fait le récit de la communication scientifique et des chercheurs de son temps à travers le personnage de Marin Mersenne. Appartenant à l’ordre des Minimes, il a mis en contact des milliers de correspondants, scientifiques venant de toute l’Europe durant la première moitié du XVIIe siècle. Celui qui traduisit Galilée fut aussi l’hôte de Pascal, Descartes, Gassendi ou Torricelli. Curieux, il ne se considérait pas pour autant scientifique ou chercheur, mais son action provoqua des rencontres entre les hommes et les idées et servit tous les combats à l’encontre des dogmes, quels qu’ils soient. Le chercheur ne peut (plus ?) rien seul : au XXIe siècle comme au XVIIe, la communication et le libre accès aux connaissances sont les clefs de l’avancée du savoir.

JPEG - 8 ko

Partager cet article