La cuisine moléculaire : de l’éprouvette à l’assiette

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Avec l'avènement de la cuisine moléculaire depuis les années 80, la science, et plus particulièrement la chimie, a fait son apparition dans nos assiettes. Révolution gustative et esthétique, ce mode de préparation constitue-t-il une dérive gastronomique ?

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Voici maintenant plusieurs années que le terme de gastronomie moléculaire est entré dans le vocabulaire courant. Mais sait-on réellement ce que cache cette expression étrange, réunion apparemment contradictoire de deux univers éloignés ? L’« art » culinaire peut-il se traduire en équations ? Le laboratoire du chimiste est-il l’avenir du cuisinier ? Quelles seront les conséquences dans notre quotidien ?

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Laboratoire d’Edison
Stacina – Flickr

Essayons d’y voir plus clair ….

Tout d’ abord il faut savoir que depuis fort longtemps les scientifiques se sont intéressés aux phénomènes culinaires, ainsi Antoine Parmentier, ou Justus Von Liebig pour n’en citer que deux fameux.

1) l’offensive de la nouvelle cuisine
2) la révolution moléculaire
3) les molécules s‘invitent au restaurant
4) des applications quotidiennes
5) les limites d’une révolution


1 L’offensive de la nouvelle cuisine

La cuisine traditionnelle telle qu’on l’entendait depuis des générations avait déjà subi la révolution initiée par de grands chefs cuisiniers comme Michel Guérard, ainsi que les critiques Gault et Millau. Nous étions en 1972 et on avait appelé cela la Nouvelle Cuisine (pour bien signifier qu’il en existait une ancienne ?).
Elle préconisait un retour vers la simplicité (en opposition avec la cuisine trop sophistiquée en vogue alors), un allègement général des plats et de leurs garnitures et un respect des saveurs originelles à travers des modes de cuissons plus simples tels que la vapeur ou le bain-marie.
Malgré des critiques parfois justifiées, certains de ses détracteurs se moquant des portions minuscules sur des assiettes disproportionnées, il est indéniable que nombre des acquis de la nouvelle cuisine ont été intégrés dans la cuisine actuelle et qu’elle a préparé le terrain pour des évolutions encore plus radicales.

Pour en savoir plus : la nouvelle cuisine

Michel Guérard, par Paul Lacoste, La Huit Production, 2003
Michel Guérard, est un des fondateurs de la nouvelle cuisine française. Il a inventé une nouvelle façon de cuisiner, plus libre et plus proche des produits.

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Caviar de melon
latiquismiquis – Flickr


2 La révolution moléculaire

C’est à la fin des années 80 qu’un physicien, Nicholas Kurti et qu’un chimiste, Hervé This ont développé la notion de gastronomie moléculaire, clin d’ œil à la biologie moléculaire.
De quoi s’agit-il ? :
tout simplement de l’étude des phénomènes physiques mis en œuvre lors de la préparation de plats cuisinés.
Selon Hervé This, la gastronomie moléculaire a plusieurs objets :

- Le recensement et l’exploration scientifique des dictons culinaires : faut-il nécessairement un récipient en cuivre pour élaborer une bonne confiture ? Une petite cuiller sur le goulot permet-elle de conserver le gaz d’une bouteille de champagne ?
- La modélisation des pratiques culinaires en vue de perfectionnements
- L’introduction d’outils, méthodes et ingrédients nouveaux en cuisine domestique ou de restaurants : le fouet est-il vraiment adapté pour battre les œufs en neige ?
- L’invention de mets nouveaux.

Comprendre comment les œufs montent en neige, comment fonctionne une émulsion, quelles molécules se dissolvent dans quels fluides, permettre de perfectionner toutes les méthodes de cuisine. C’est l’explication rationnelle de la cuisine qui nous permet de ne jamais rater des mousses au chocolat et des mayonnaises, de cuire des faux-filet parfaitement grillés, et de faire des sauces vinaigrette aux multiples saveurs….
Tout cela conduit inévitablement à une révision des pratiques culinaires : qui dit nouvelles méthodes et nouveaux instruments dit aussi nouveaux produits…
Un exemple concret nous est fourni avec la sorbetière : Hervé This montre qu’on peut se passer de cet instrument, destiné à empêcher la formation de cristaux de glace, en refroidissant très vite la préparation, et cela en y versant de l’azote liquide.
Ainsi le chocolat-chantilly fut une de ses créations emblématiques, par croisement d’une recette analysée et maîtrisée avec de nouveaux produits.

Un des enjeux de la gastronomie moléculaire, et non des moindres, consiste en la transmission des connaissances aux jeunes générations afin de leur donner les moyens de choisir librement leur alimentation et de mieux apprécier les efforts des filières professionnelles . C’est à ces fins qu’ont été créés les ateliers du goût.

Un petit lexique explicatif de la cuisine moléculaire.

Pour aller plus loin :

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Construisons un repas
Odile Jacob

Construisons un repas, par Hervé This,
Odile Jacob,2007
En compagnie de Marie-Odile Monchicourt, journaliste scientifique, Hervé This nous fait découvrir que les gestes culinaires les plus anodins méritent une attention qui les rend passionnants.


3 les molécules s‘invitent au restaurant

Certains grands cuisiniers s’inspirent des travaux de la gastronomie moléculaire, parmi eux Pierre Gagnaire, Marc Veyrat ou Thierry Marx pour les français ou encore le britanique Heston Blumenthal.

Mais le plus emblématique de tous ces chefs, parfois surnommé « le catalan fou », est bien entendu Ferran Adria dont le restaurant El Bulli s’affirme comme l’exemple à suivre pour tous les cuisiniers désireux de participer au 21 ème siècle culinaire.
Ici le bien-manger s’efface devant l’étonnement sensitif dans un parcours étudié pour simuler tous les sens des convives assiette après assiette, en passant de la boule de thé glacé à l’hydrogène à un sorbet à la sardine, et ce pendant au minimum 3 heures .

Voir le site de El Bulli :

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fettuccine aux cerises confites
Nature Walk – Flickr


4 des applications quotidiennes

Mais c’est en sortant des grands restaurants un peu « élitistes », il faut bien le reconnaitre, pour envahir le grand public que la cuisine moléculaire a gagné sa légitimité.
A l’instar de la nouvelle cuisine qui a favorisé l’essor des plats cuisinés, on assiste désormais à des déclinaisons commerciales plus ou moins accessibles à la ménagère moderne (ou son conjoint). Ainsi les espumas, ou l’essor de l’agar-agar, algue donnant un gélifiant fort prisé.
Un exemple de recettes sur ce site ou
encore ici :des recettes et des conseils.

La science fait progresser la gastronomie, et bien loin de lui enlever son charme, elle lui ouvre de nouveaux horizons libres à l’imagination : avec un groupe INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) de gastronomie moléculaire, réparti entre le Laboratoire de chimie des interactions moléculaires du Collège de France et le Laboratoire de chimie de l’Institut National Agronomique Paris – Grignon, Hervé This a également créé des cours de gastronomie moléculaire publics et gratuits. L’enseignement de cette science se développe aussi dans différentes universités et des ateliers expérimentaux du goût sont organisés dans les lycées hôteliers. Au Futuroscope de Poitiers, la gastronomie moléculaire est au menu d’un restaurant et un kit de cuisine moléculaire est en vente pour préparer chez soi des plats très originaux.


5 les limites d’une révolution

Selon le critique Edmond Neirinck, se profile le risque de ce qu’il appelle une dérive gastronomique, c’est à dire le moment où l’expérience gustative prendrait le pas sur l’acte alimentaire, manger cesserait alors d’être la raison même du repas au profit des sensations lors de la mise en bouche. Or les aliments ne se réduisent pas à leurs dimensions gustatives, ils sont aussi destinés à être incorporés physiquement et symboliquement. Ils sont porteurs de sens : le repas est une réunion de personnes ayant plus à partager que des découvertes gustatives. Cette dimension anthropologique ne doit pas être oubliée sous peine de transformer le fait de se nourrir en une simple obligation.

Et puis, en guise de conclusion, on est en droit de se demander quelles seront les conséquences sur la santé d’ une consommation excessive de produits “moléculaires”, azotés ou autres . A l’ heure où l’ alimentation saine demeure une des principales préoccupations de la population ( impact des OGM, essort du bio ..), la question semble légitime. La cuisine moléculaire et ses produits dérivés doit encore faire ses preuves en ce domaine …

Pour en savoir plus :

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Histoire de la cuisine et des cuisiniers
LT Jacques Lanore

histoire de la cuisine,par Edmond Neirinck et Jean-Pierre Poulain, LT Jacques Lanore,2004

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