Bio-art, vous avez dit Bio-art ?

- temps de lecture approximatif de 10 minutes 10 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Les biotechnologies perdent leur statut de chasse gardée pour les chercheurs, et deviennent un terrain d'expérimentations pour les artistes. Ces derniers prennent les biotechnologies comme objet de leur art ou, d'une manière plus surprenante, les utilisent comme supports et médias. Poudre d'ADN, lapin génétiquement modifié ou culture de tissu cellulaire deviennent des œuvres d'art contemporain ; les artistes préfèreraient-ils le statut d'apprentis sorciers à celui d'enchanteurs, ou s'agit-il de savants fous séduits par les muses ? Comme l'informatique avant elles, les biotechnologies font leur entrée dans l'art, et le Bio-art fait polémique. Vous avez dit Bio-art ? Comme c'est bizarre !

Un mouton transgénique fluorescent lorsqu
Un mouton transgénique fluorescent lorsqu'il est éclairé par une lumière ultraviolette. Photo: Javier Calvelo - IRAUy

Sommaire

1- Art et nature, science et vie

2- L’art use de la science, provoque et dérange

3- L’art au service de la science ?

 

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AlbaGFPBunny

1. Art et nature, science et vie

La science et l’art ont ceci de commun qu’ils sont créateurs, et qu’ils proposent et modifient notre vision du monde. A priori, l’alliage de ces deux matériaux peut intriguer mais l’on est rapidement obligé de se rendre à l’évidence : l’art n’a eu de cesse d’assimiler les possibilités offertes par la science via la technique. Les deux domaines sont liés à tel point qu’étymologiquement, ils ne font qu’un : ars en latin ou tekhnê* en grec renvoient à la même idée. Les teknai*, ou sciences, énoncées par Platon comptent en leur sein aussi bien le dessin et la musique que la géométrie ou l’arithmétique. La science ne s’oppose pas alors à l’art, mais les deux s’opposent à la nature, physis*. Art comme science sont des productions humaines et des pratiques non-naturelles. Ce n’est qu’Aristote qui fera la part entre science et art, en distinguant leurs champs d’application respectifs et spécifiques.
Art et Science

Art et science : tout au long de l’histoire, art et science ont reflété des valeurs communes, faisant appel aux mêmes concepts, méthodes et matériaux. Bien des artistes aujourd’hui sont fascinés par l’atome et l’ADN. À l’inverse, nombre de scientifiques visualisent une théorie par des images. À travers illustrations et exemples pris tant dans la peinture ou les arts décos que dans la chimie ou la biologie, ce livre décrit les liens qui unissent l’art à la science.

Science dans l'art

La science dans l’art : pourquoi et comment, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, les artistes se sont-ils intéressés à la science ? Lionel Salem met en lumière les différentes manières dont les artistes ont tenté d’appréhender, de comprendre et de dépasser la science.

Déjà l’incursion de la pratique artistique dans les domaines technologiques ne semble plus si incongrue. Mais qu’en est-il des biotechnologies en particulier ? Le terme recouvre des choses différentes, telles que le génie génétique ou la biologie moléculaire mais également la microbiologie, la biochimie, l’agro-alimentaire ou la biophysique. Les biotechnologies sont définies ainsi par l’OCDE : « l’application de la science et de la technologie aux organismes vivants et à d’autres matériaux vivants ou non vivants, pour la production de savoir, biens et services ».
Le Bio-art porte sur cet ensemble de pratiques scientifiques et, là encore, le mot est générique et regroupe des démarches artistiques aux méthodes et visées très différentes, certaines très politisées et d’autres non. Les moyens employés sont variés et il n’y a pas de manifeste commun qui unifierait une communauté d’avant-garde.

La principale icône du Bio-art est sans conteste la lapine Alba, ou GFP Bunny, œuvre du Brésilien Eduardo Kac. Grâce à l’utilisation de techniques de transgénèse, Kac introduit un gène de méduse et produit cette lapine transgénique rendue verte et fluorescente. L’objectif était de provoquer le débat sur le statut des animaux transgéniques en tant qu’objet de laboratoire. Dans le même temps, il interroge le statut de l’œuvre et de la création de l’artiste : un être vivant peut-il être une œuvre d’art ? Un artiste a-t-il des droits d’auteur sur un être vivant ?

Méduse fluorescente

L’art bio-tech, ou Wet Art, ou Bio-art, offre cet angle d’attaque particulier qui est de garder un contact direct avec la matière vivante du monde. La techno-logie est un discours sur la science, les bio-techno-logies sont des discours sur les sciences de la vie ; le Bio-art est un art contemporain, donc lui aussi un discours, sur la vie. L’art, qu’on opposait avec la science à la nature, pose avec le Bio-art la question de la limite entre le vivant et l’artifice. Il ne propose plus seulement des fictions, mais d’autres réalités possibles, par des œuvres nées à l’intérieur des laboratoires de sciences génétique, transgénique ou moléculaire. La plupart des productions de ces artistes biotech sont porteurs d’un propos critique portant sur notre système de valeurs face au pouvoir donné par le contrôle biologique du vivant.

Technologies du vivant ou biotechnologies : ce lexique propose environ cinquante définitions du vocabulaire de base touchant au domaine des biotechnologies. Il a pour but de faciliter au non spécialiste la compréhension des techniques du vivant.

Biotechnologie

Biotechnologie : l’objectif de cet ouvrage pluridisciplinaire est de participer à la formation des étudiants et de fournir des informations accessibles aux milieux économiques et médiatiques. Il appelle chacun à réfléchir à ses responsabilités dans l’évolution de la bio-éthique en fonction des progrès de la science.

2. L’art use de la science, provoque et dérange

L’art s’est d’abord tourné vers les biotechnologies de la façon la plus simple qui soit, en les prenant pour objet. Les formes artistiques ne faisaient qu’aborder les biotechs en tant que thèmes, en gardant une certaine distance. Les technosciences sont elles-mêmes devenues des producteurs d’images, utilisées par l’art : photographies de cellules, diagrammes ou encore simulations sur support informatique. C’est le propos de Quand la science rejoint l’art, exposition sur le thème de la science de l’image et l’image de la science, ou de Quand l’art rencontre la science. À travers des correspondances où les images scientifiques répondent aux œuvres d’art, ce livre nous propose un voyage à la découverte de la manière dont nous déchiffrons et rêvons le monde pour nous y réinscrire.

Quand la science rejoint l'art
Quand l'art rencontre la science

Cette approche des biotechnologies est encore classique et trop propre pour le Wet Art. Le Bio-art ne se contente pas de prendre des cellules en photo, il utilise les biotechnologies comme le sculpteur utilise son burin. Les cellules sont l’œuvre, ou le matériau qui constitue l’œuvre. Ainsi, en 2008, les Australiens de Symbiotica ont présenté Victimless leather, de petites vestes de cuir organique issu de culture de cellules de souris ; ils avaient, quelques années plus tôt, présenté à Nantes une Disembodied cuisine, offrant des steaks formés à partir de cellules musculaires de grenouilles mises en culture. Cuir et viande produits sans victimes ? Les techniques employées ne sont pas actuellement envisageables pour une production à grande échelle, mais laissent imaginer un monde sans exploitation animale.

Victimless Leather

Tant que le Bio-art n’utilise les biotechs que sur des lapins, des souris ou des grenouilles, tout va bien. Les artistes vont cependant plus loin, jusqu’à s’en prendre à l’humain lui-même. Le duo Art Orienté Objet, composé de Mation Laval-Jeantet et de Benoît Mangin, cultive ses propres cellules de peau et les hybride, ou se fait injecter du sang de cheval. A Liverpool, l’artiste Sterlac se fait greffer une oreille sur le bras gauche, avec micro et système Bluetooth pour réellement pouvoir percevoir des sons. Dans tous les cas, le Bio-art va au-delà de l’expérimentation esthétique et pose des questions plus générales : accepterions-nous sur nous-mêmes ce que nous faisons subir aux animaux ? Comment seraient/seront acceptés des hommes génétiquement modifiés ? Chrissy Conant, aux USA, a fait dans la provocation en proposant de mettre en vente des bocaux, contenants ses propres ovules, étiquetés « Caviar humain ». L’enjeu n’est plus de produire des tableaux ou des installations pour le seul monde de l’art…

Stelarc Ear Project

Ces provocations multiples, ces questionnements pas toujours désirés, ces expériences menées par des originaux ont naturellement créé une méfiance à l’encontre du Bio-art, que ce soit de la part des biologistes face aux pratiques d’Art Orienté Objet ou, avec des conséquences plus graves, de la part d’instances politiques et judiciaires, comme Steve Kurtz, du Critical Art Ensemble, a pu en faire les frais. Son concept de biologie contestataire, avec pour objectif la réappropriation des matériaux et processus scientifiques par le public, a forcément attiré l’attention des grands groupes industriels, mais aussi de l’armée, dans un contexte de crainte d’attaque terroriste biochimique, comme les attaques inexpliquées à l’anthrax. Les connaissances scientifiques sont utilisées avec pour projet de combattre des groupes agroalimentaires comme Monsanto et le maïs Roundup Ready. Au-delà d’un cas particulier, c’est toute la privatisation de la connaissance scientifique qui est attaquée. A cause des risques engendrés par le fait de sortir des bactéries de leurs laboratoires, toute exposition de Bio-art aux USA doit désormais obtenir l’autorisation d’un comité de santé public.

Regards sur les biotechnologies

Regards sur les biotechnologies : les avancées en biotechnologie, le décryptage du génome, le clonage d’animaux, les interventions transgéniques ou les OGM questionnent la dimension sociale et thérapeutique de la recherche. Face à cet ensemble qui soulève des controverses, les applications professionnelles et les innovations scientifiques et techniques conduisent à interroger la philosophie, la morale ou le cadre juridique.

Humain Inhumain Trop humain

Humain, inhumain, trop humain : les hommes ont toujours agi sur eux-mêmes et pris en charge leur propre évolution, avec aujourd’hui deux traits absolument nouveaux. D’une part, les capacités d’action de l’espèce humaine sur elle-même sont incomparablement plus puissantes que par le passé ; d’autre part, nous contrôlons si bien notre milieu et l’avons si parfaitement aménagé que nous avons mis en danger notre environnement. Il s’agit ici de réfléchir à cette situation : faut-il poursuivre et même accélérer sur la voie de la mutation, en inventant le nouvel homme, ou faut-il à nouveau penser la nature humaine dans sa finitude, mais au risque de l’étouffement dans la mesure et l’ennui ?

3. L’art au service de la science ?

A l’intérieur même du champ scientifique, le Bio-art a une certaine résonnance. Le Bio-art utilise les biotechnologies pour porter son discours, mais les scientifiques peuvent tirer parti de l’intrusion de ces artistes dans leurs laboratoires. L’œuvre de Kenneth Rinaldo mêle la biorobotique et la recherche comportementale, éthologique, et ose des croisements que la méthode scientifique traditionnelle n’aurait pas abordés avant longtemps. En puisant dans les fictions et les fantasmes pour produire des réalités, même éphémères, les artistes défrichent à leur façon des pans de la recherche. Jean-Luc André, dans son travail sur les biotechs industrielles, tente de définir et d’appliquer une logique du flou, telle qu’elle est utilisée dans les expériences scientifiques. Avec leurs expériences faites de bric et de broc, les artistes fournissent des éléments inattendus aux scientifiques et proposent des voies inexplorées. Les artistes contribuent à une utilisation ouverte des connaissances existantes.

La science en tant qu'art

La science en tant qu’art, de Feyerabend, l’initiateur de l’anarchisme épistémologique, démontre combien la science est tributaire des arts de son époque et aussi qu’elle se développe comme l’un des beaux-arts. Feyerabend affirme que la science n’est pas un édifice rationnel, mais une discipline capable de travailler à partir de n’importe quel matériau, mythique, artistique ou politique.

Le possible et les biotechnologies

Le possible et les biotechnologies mobilise les connaissances fondamentales nécessaires, tant en philosophie qu’en biologie moléculaire et évolutive, pour mieux apprécier la réalité des changements en cours, la nouvelle révolution technique, industrielle et culturelle liée aux sciences de la vie. L’ouvrage présente les fondements philosophiques et scientifiques du développement actuel des biotechnologies. Ce développement se fonde sur l’idée de la réalisation du possible, largement commentée dans la tradition philosophique et artistique.

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