Les 40 glorieuses d’une petite pilule

- temps de lecture approximatif de 12 minutes 12 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Héritage du féminisme et acquis de haute lutte en Mai 68, la pilule contraceptive a symbolisé la libération de la femme, moralement, sexuellement et professionnellement. Après 40 ans d'usage, quel est le bilan de ce moyen de contraception révolutionnaire ?

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On peut s’interroger sur le principal héritage du joli mois de Mai dont on fête cette année l’anniversaire. Est-ce la libération des moeurs, la généralisation de la contraception, le droit au plaisir, l’éclatement du couple, l’émancipation des femmes, la reconnaissance de l’homosexualité, la banalisation de la pornographie ? La pilule ayant accompagné ces évènements de Mai, l’occasion est donnée de célébrer ses 40 ans. Evolution notable pour la société comme en santé, tant attendue par les femmes qui ont combattu pour la maîtrise de leur fécondité, la pilule est-elle toujours d’actualité ?
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Pilules

La pilule aujourd’hui

En mars 2008, une enquête sur les transformations de la sexualité en France a été publiée par l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED), l’Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM) et l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida (ANRS). Cette Enquête sur la sexualité en France : pratiques, genre et santé, sous la direction de Nathalie BAJOS et Michel BOZON, La Découverte– révèle qu’une femme sur cinq déclare oublier de prendre sa pilule au moins une fois par mois, et beaucoup d’idées reçues persistent encore à son sujet.

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Sexualité en France 2008

A cette publication succède la relance d’une vaste campagne d’information sur la contraception par la ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative – Roselyne Bachelot – mise en œuvre par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) par le biais de spots télévisés ou radiophoniques diffusés depuis le 4 mai.
Cela fait plus de 40 ans que la contraception s’est « démocratisée », grâce à la pilule. Elle est devenue le symbole de la libération de la femme à tous points de vue : moral, sexuel, professionnel. Elle est le fait le plus marquant du XXe siècle dans l’histoire des femmes.

Une pilule, des pilules : historique

Au début du siècle, dans les grandes villes américaines, les familles les plus démunies s’entassent dans des logements insalubres. Dans les années 1920 – malgré une Amérique puritaine interdisant la diffusion des informations sur la contraception – l’infirmière Margaret Sanger est convaincue de l’utilité d’initier un mouvement de « birth control ». Grâce à elle, en 1923, le premier bureau d’information sur la contraception est fondé à New-York et, dès les années 1930, le contrôle des naissances est pleinement reconnu par les autorités américaines et britanniques. Les étapes vers la libéralisation de la contraception sont retracées grâce à de multiples témoignages dans Naissance d’une liberté – Contraception et avortement : le grand combat des femmes au XXè siècle, par Xavière GAUTHIER, Robert Laffont.

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Naissance d’une liberté

Fort des encouragements de Margaret Sanger et soutenu financièrement par Katherine Mc Cormick, Grégory Pincus ouvre dès 1951 un centre de recherches en biologie où il travaille sur les hormones sexuelles. A cette époque Russel Marker, chercheur en chimie, identifie un tubercule dans la forêt vierge mexicaine qui contient une substance dont peut être extraite la progestérone. Grâce à lui – entre autres – l’équipe de Grégory Pincus met au point la combinaison d’oestrogènes et de progestérone de synthèse qui sera testée à Porto-Rico en 1956. Cette méthode s’avère parfaitement efficace, aussi les premières plaquettes de pilule sont vendues en 1960 aux Etats-Unis. Vous trouverez les biographies de ces quatre personnages clefs du développement de la pilule dans Contraception et connaissance de soi : avantages et inconvénients des diverses méthodes contraceptives, de Maris BARTHOLOMEUS, Aethera. La naissance et les diverses métamorphoses de la pilule sur le plan chimique sont plus détaillées dans l’ouvrage
La sexualité II : Contraception et stérilité, de Claude ARON, Odile Jacob.

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La sexualité II

Avènement et maturité de la pilule en France

En France, avant l’avènement de la pilule, la loi ordinaire du 31 juillet 1920 punissait la planification des naissances en limitant l’accès à la contraception et en réprimant l’avortement. Le discours anti-conception était proscrit dans la sphère publique et même privée.
Fruit d’un décalage étonnamment durable entre l’évolution des mœurs et l’adaptation du droit, c’est avant les « évènements » de 68 qu’a enfin eu lieu la libéralisation de la contraception grâce à l’adoption de la loi Neuwirth. Promulguée le 28 décembre 1967, elle permet de prescrire légalement la pilule. Le seul motif d’administration autorisé – la régulation hormonale – masque encore son véritable objectif : le contrôle des naissances. Néanmoins le succès est immédiat.

Particulièrement rapide dans les années 1970, la phase d’expansion de la pilule a été régulière jusqu’en 1990. Dès le vote de la loi Neuwirth, une proportion non négligeable de françaises l’utilise malgré l’absence de textes permettant sa mise en application – décret pris le 3 février 1969. De fait, elle encadre strictement la pratique contraceptive. La pilule n’est pas remboursée par la sécurité sociale et une autorisation parentale est nécessaire pour les mineures (moins de 21 ans). Enfin, on prévoit des carnets à souche pour les médecins ou des livres registres chez les pharmaciens afin de garder trace des prescriptions de pilule…
Les conditions difficiles de cette libéralisation sont décrites dans un article intitulé La contraception en France, un bilan après trente ans de libéralisation, de Catherine GUIBERT-LANTOINE et Henri LERIDON, volume 53 de Population, revue publiée par l’INED.

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Revue Population

Depuis la légalisation de la contraception les méthodes non médicales ont connu un reflux régulier au profit de la pilule. Son taux d’utilisation chez les femmes de 20 à 44 ans ne souhaitant pas d’enfants est passé de 5% en 1970 à 37% en 1978 et atteint 60% aujourd’hui. Vous pouvez voir à ce sujet le Bulletin mensuel d’information publié par l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) Populations et Sociétés numéro 439 de Arnaud REGNIER-LOILIER, Henri LERIDON, Fabrice CAHEN paru en Novembre 2007.

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Population et Sociétés n°439

Les « ressorts » de la pilule : fonctionnement

Chaque mois, dans le corps d’une femme, l’ovaire libère un ovule (ou ovocyte) qui progresse dans la trompe vers l’utérus. Lors de cette ovulation, l’organisme produit une grande quantité d’hormones. Ces substances, oestrogènes et progestérone, commandent toutes les étapes du cycle de reproduction, qui se renouvelle tous les 28 jours. Si une fécondation n’a pas lieu pendant l’ovulation, la production d’hormones cesse brusquement : les règles commencent. S’il y a eu fécondation, l’œuf se place dans l’utérus, où il grandira pendant neuf mois. La production d’ovules s’arrête. Le taux d’hormones reste élevé et augmente.

Historiquement le principe de base de la pilule est de mimer une grossesse en reproduisant artificiellement l’état hormonal de la femme enceinte grâce à des hormones de synthèse que les chimistes ont réussi à créer en laboratoire. Conséquence : l’ovulation s’arrête, toute grossesse est impossible. Deux autres mécanismes peuvent aujourd’hui intervenir, qui résultent de dosages hormonaux moins élevés : l’atrophie de la muqueuse utérine qui rend la nidation difficile ou une modification de la glaire cervicale, qui rend presque impossible le passage des spermatozoïdes vers l’utérus. C’est ce qu’on nomme le triple verrou contraceptif de la pilule estroprogestative (EP) :

– inhibition de l’ovulation.
– modification du mucus cervical empêchant les spermatozoïdes de franchir le col utérin.
– modification de l’endomètre qui devient impropre à la nidation.

Ces “mécanismes” sont expliqués pour les jeunes lecteurs dans La pilule trente ans de liberté au féminin de Marie-Françoise GRILLOT, Castermann.

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La pilule 30 ans de liberté au féminin


Selon l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSAPS), l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES) et l’INPES, la pilule est une des méthodes les plus efficaces de contraception lorsqu’elle est parfaitement utilisée. Mais l’efficacité des oestro- progestatifs en utilisation courante n’est pas toujours parfaite. Selon l’OMS, le taux de grossesse après un an d’utilisation est estimé à 8% en 2004. Ces statistiques sont citées dans Contraception de David SERFATY, Castermann.

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Contraception

Des effets secondaires : néfastes et bénéfiques

L’effet global de la contraception hormonale dépend des molécules utilisées, de leurs doses, de leurs associations et de la sensibilité individuelle. L’estrogène utilisé dans les pilules a connu une nette diminution de ses quantités mais le risque vasculaire – effet secondaire majeur – persiste. Les progestatifs de différentes générations, quant à eux, entraînent un risque thrombo-embolique, ou de caillot sanguin. Enfin, le tabagisme interagit avec la contraception orale en entraînant une augmentation des risques de saignements. Vous pouvez lire à ce sujet le dossier “Contraception chez la femme à risque” de Geneviève PLU-BUREAU et Claire BRICAIRE dans La Revue du praticien- Médecine générale n°799.

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Contraception chez la femme à risque


Outre des effets négatifs, les pilules combinées auraient des effets bénéfiques en réduisant la durée et l’abondance des règles, elles évitent ainsi les anémies qui sont le lot de nombreuses femmes. De plus, le blocage de l’ovulation – en mettant l’ovaire au repos – dispensent les femmes de certaines variations hormonales et donc de certaines maladies notamment des affections gynécologiques bénignes mais fréquentes : syndrome pré-menstruel, mastoses du sein, fibromes utérins, kystes fonctionnels de l’ovaire, ou rares mais graves : cancer de l’ovaire et de l’endomètre. Enfin, la surveillance par le médecin qu’induit la prise d’une pilule permet un meilleur dépistage d’éventuelles affections chez la femme. A ce propos vous pouvez lire l’ouvrage Contraceptions mode d’emploi de Martin WINCKLER, Au Diable Vauvert.

La pilule : après 40 ans d’usage

Ayant atteint sa maturité après 40 ans d’utilisation, la pilule fait-elle encore la preuve de son efficacité ? Malgré la libéralisation de la pilule – contraceptif très majoritaire chez les femmes ne désirant pas d’enfants en France – le nombre des avortements n’a pas baissé. En effet, l’amélioration de la maîtrise de la fécondité a rendu d’autant plus inacceptable l’échec de la planification d’une grossesse. De ce fait, le recours à l’avortement en cas de grossesse non prévue s’est accentué.

Ce bilan paradoxal pose donc aujourd’hui la question de la pertinence de l’usage de la pilule. Pour des millions de femmes leur rythme de vie et leurs attentes supposent une plus grande liberté quant à l’observance d’une contraception. De nouvelles méthodes existent qui peuvent éviter la prise quotidienne d’un médicament. A cet effet, le site de l’INPES produit un tableau comparatif de tous les modes contraceptifs parce que la meilleure contraception est celle que l’on choisit ! Enfin, puisqu’elle est au cœur des rapports hommes-femmes, l’INPES a aussi consacré quelques pages de son site à la contraception masculine

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site de l’INPES

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La pilule en tous points

  • Du latin pilula : « petit corps rond », « boulette », « pelote », la pilule est abordée sous tous ses aspects pratiques en 28 points dans l’ouvrage La contraception des Docteurs Marina CARRERE d’ENCAUSSE et Michel CYMES, Marabout.

La pilule est-elle dangereuse pour le foetus ? voir

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