Voisin voisine (t’es plus ma copine)

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Voici le problème épineux soulevé par Pamela sur www.guichetdusavoir.org (par respect pour les personnes, les prénoms ont été changés) : « Bonjour, la clôture de ma voisine se situe sur les bornes, elle veut nous faire signer un courrier disant que la clôture est à elle et qu'elle se trouve chez elle. De plus sa haie de laurier dépasse de la clôture (donc chez nous) et atteint une hauteur supérieure à 2 mètres, elle se refuse de l'entretenir et nous interdit de la couper. Un sapin se situe à environ 1 mètre de sa clôture et à une hauteur de 5 mètres : notre pignon de maison se situe à environ 5 mètres de la limite de propriété... Ah oui, un autre désagrément : elle ne coupe pas l'herbe, ce qui fait que nous sommes envahis par les insectes. Que pouvons-nous faire ? » Pamela, que l'on en convienne, est excédée. L'énervement gagne du terrain (n'y voyez aucun mauvais jeu de mots) et l'été caniculaire n'arrange pas le moral des méninges. Dans un premier temps, conseillons à Pamela de s'asseoir sur un transat confortable et détaillons ensemble une petite liste bibliographique qui pourrait aider Pamela à résoudre ses problèmes de voisinage.

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Commençons par le commencement…

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Le guide du bon voisinage à la ville et à la campagne, de Hervé Pouchol, Flammarion
- Dans ce guide pratique, Pamela, vous trouverez des informations sur les droits et les devoirs de chacun, des histoires vraies, des règles de savoir-être et de savoir vivre pour entretenir des relations de bon voisinage avec des exemples de courriers administratifs et une liste de contacts utiles.

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Troubles de voisinage, quels sont vos droits ? Aboiements, bruits, tapage nocturne, mitoyenneté, servitudes, faites respecter vos droits !, de Monique Ciprut, Prat
- Dans cet autre manuel pratique, Monique Ciprut aborde aussi bien les nuisances intérieures qu’extérieures et apporte des solutions allant du recours amiable au recours judiciaire.
Petit florilège des questions auxquelles ce type de manuels apporte des réponses pratiques : la haie du voisin me bouche la vue, que faire ? Pour me nuire, mon voisin a repeint de mon côté avec une couleur horrible, que puis-je faire ? Mon voisin peut-il tondre n’importe quand ? Mon voisin m’épie sans cesse, que faire ? Les volailles du voisin me dérangent, que faire ?

Vous voilà un peu rassurée, Pamela, mais je sens, à votre façon de siffler depuis ce matin cet air de Brassens, que je ne vous ai pas tout à fait convaincue…

« Si j’étais tout-puissant demain
Je n’irais pas quat’chemins,
Et ferais passer par le fer
Tous les voisins de l’univers.
Dans un moment, quand vous saurez
Tout ce qu’ils me font endurer,
Vous direz en votre âme : « Il a
Raison d’vouloir être Attila. »
(Georges Brassens, Les Voisins).

Aux grands maux les grands remèdes, pensez-vous ?
Et si vous déménagiez parmi les nantis ? Après tout, Pamela, votre niveau de vie vaut bien une petite propriété à l’abri de ces voisins envahissants.

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Ghettos de riches. Tour du monde des enclaves résidentielles sécurisées, dir. Thierry Paquot, Perrin
- Dans ce livre, les auteurs explorent ces morceaux de ville en copropriété qui prolifèrent depuis trente ans un peu partout dans le monde. De Paris à Los Angeles, de Rio à Dehli, ces enclaves résidentielles offrent sécurité, verdure, loisirs et voisins choisis. S’y ajoutent désormais la surveillance médicale, la remise en forme ou le souci communautariste (végétariens, pratiquants d’une même religion…), tandis que les abords de ces « ghettos de riches » sont sous surveillance vidéo, gardés par des vigiles et toute une batterie de codes d’accès et de barrières.

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A lire aussi : Quand la ville se ferme : quartiers résidentiels sécurisées, dir. Guénola Capron, Bréal

Cohabitation, c’est un terme que l’on a beaucoup utilisé, chère Pamela, sous la cinquième République, cette chère République qui vit un peuple de gauche voter à droite pour balayer des idées pas très républicaines mais là, je m’égare.
Cohabiter dans le monde, c’est une autre affaire. On a parfois construit des murs, des murailles, voire des forteresses parce que les gens ne s’entendaient pas entre eux.
On a même dit que c’était pour éviter la guerre.

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Voyez l’ouvrage passionnant d’Avi Shlaim, intitulé Le mur de fer, Buchet Chastel
- Avi Shlaim y retrace soixante années de face à face entre Israël et le monde arabe. Cette confrontation a été marquée par l’idée, lancée par Ze’ Jabotinsky et partagée par presque tous les leaders israéliens, qu’il fallait dresser un « mur de fer » devant les Arabes pour éteindre en eux tout espoir d’empêcher l’Etat d’Israël de s’établir en Palestine. L’auteur dresse le portrait des principaux acteurs de cette histoire. Il met en évidence les multiples occasions manquées, du fait de l’imprégnation de la doctrine du “mur de fer” qui va rendre incapables les responsables israéliens de construire la paix – à l’exception notable de Rabin, lors du processus d’Oslo. Ce livre permet de comprendre l’un des conflits les plus âpres et les plus médiatisés de notre époque. Il conduit le lecteur à une vision plus complexe et plus impartiale du passé, indispensable si l’on veut préserver un espoir de réconciliation future.

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Et puis, dans la revue trimestrielle XXI (printemps 2009), intitulée Dans le bleu de l’Islam, vous trouverez, Pamela, un excellent reportage qui revient sur l’après-génocide rwandais et qui fait largement écho au travail remarquable de Jean Hatzfeld sur le sujet. Sur les collines du Rwanda, quinze ans après le génocide des tutsis, rescapés et bourreaux cohabitent. Ils partagent au quotidien la vie d’après, n’oublient rien de la vie d’avant. Durant neuf ans, la documentariste Anne Aghion a planté sa caméra sur les collines rwandaises. Jour après jour, en s’attachant à suivre les gens, elle a enregistré les propos, capté les situations. Titre de son documentaire : Mon voisin, mon tueur. A consulter d’urgence.

Lectures prenantes pour cet été, je peux en convenir.
Mais, si j’osais, peut-être, Pamela, traversez-vous une période de grande lassitude alors que votre cinquantième année arrive à grands pas. Du moins c’est ce que l’on dit dans le voisinage. Et la moindre contrariété pèse sur vos nerfs comme on attend un courrier indésirable.
Relaxez-vous. Et permettez-moi cette pause thérapeutique qui abreuve régulièrement nos hebdomadaires estivaux : connaissez-vous, Pam, la tendance très en vogue ces dernières années ? C’est le SPA. Rien à voir avec l’infaillible triptyque Saucisses Paupiettes Andouilles servies dans nos auberges provinciales mais spa comme espace de relaxation totale, gage d’apaisement et de réconfort psychologiques.

Nous ne saurions trop vous conseiller la revue Espaces, tourisme et loisirs qui s’intéresse dans son numéro 228 au développement de ces lieux de détente. Version marketing : « là où tout est lourdeur, tension, angoisse, le spa est la parfaite formule évasive où réapprendre le bien-être au quotidien ».

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Allez donc voir aussi du côté de Kelly Reichardt et son premier long-métrage, Old Joy (2006) sorti récemment en DVD : la scène où les deux amis de longue date, après une randonnée muette dans les bois, s’abandonnent à la volupté dans un spa naturel (à ciel ouvert, si vous préférez) est l’une des plus belles scènes du cinéma américain indépendant du XXIème siècle. Sans rire.

D’ailleurs, il ne vous aura pas échappé, chère Pamela, que le cinéma a souvent traité des affaires de voisinage sur tous les tons et dans tous les registres. Quelques conseils cinématographiques estivaux avant la rentrée grippo-porcine :

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Si vous aimez les soirées tapas arrosées d’un petit Ribera del Duero, entourée d’une horde de copains qui ne savent pas partir :
Mes chers voisins de Alex de la Iglesia (2000)

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Si vous avez un doudou sous la couette et lorgnez les grosses peluches câlines lavables à 30 degrés :
Mon voisin Totoro de Miyazaki Hayao (1998)

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Si vous aimez les odeurs de plâtre, les télé-objectifs, les chignons pré-monégasques, les tueurs au quintal :
Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock (1954)

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Si vous êtes une mordue du jeu set et match, une addictive du chassé-croisé, une machine désirante :
La femme d’à côté de François Truffaut (1981)

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Si vous avez quelque pulsion scopique, un problème avec le Père, un faible pour le swinging London :
Le voyeur de Michaël Powell (1960)

Si vous êtes fascinée par les couloirs d’immeubles déserts, les fanfares viriles, les visages de madone :
Une journée particulière d’Ettore Scola (1977)

Si vous aimez rire et pleurer, si vous souffrez d’indécrottables TOC (je-vérifie-dix-fois-sous-mon-lit-que-personne-ne-s’-y-trouve-(hélas), si vous êtes déjà en pyjama alors qu’il pleut à verse derrière les carreaux :
Pour le pire et pour le meilleur de James L. Brooks (1997)

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Et si après cela vous n’êtes toujours point rassasiée, indomptable Pamela, plongez-vous dans la lecture du dernier roman traduit en français de Wallace Stegner, au titre évocateur : En lieu sûr, Phébus. A ce jour, le plus grand livre américain de la seconde moitié du XXème siècle, si vous me permettez ces louanges toutes subjectives. Un roman sur le voisinage entre un couple de retraités et de jeunes campeurs hippies.

Et pour vous mettre en bouche, cette citation de Robert Frost, qui ouvre le roman :
« Je pourrais tout abandonner au temps, si ce n’est… si ce n’est
Ce dont j’ai été dépositaire. Mais pourquoi déclarer
Les choses prohibées que, passant tandis que sommeillait la douane,
J’ai emportées en lieu sûr ? Car j’y suis arrivé
Et ce dont je ne voulais pas me déprendre, je l’ai conservé. »

C’est beau.

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Et si la lecture vous rebute, ma Pamela, et que vous préférez un beau livre d’images, je ne saurais trop vous conseiller le livre de Luc Choquer, Portraits de Français, paru chez La Martinière en 2007.

Laissons Luc Choquer nous présenter son projet photographique :
« J’ai le sentiment, depuis plusieurs années, de vivre une époque de mutation radicale, une fin et un début de siècle sans douceur, chaotiques, vertigineux, mais bel et bien charnière.
On parlera certainement plus tard de cette période comme d’une transition vers un « moyen-âge » ou une « renaissance ». Ce sentiment m’a donné envie de ne plus chercher aux antipodes le sens des choses mais d’aller le trouver chez mon voisin de palier. Celui ou celle que tout un chacun croise au quotidien et pense connaître sans se rendre compte de son incroyable particularité… ».

A découvrir.

Ah oui, avant de nous quitter, une dernière chose, Pamela :
il ne vous aura pas échappé que chaque année s’organise la fête des voisins. Initiée en France en 1999, cette fête connaît d’ailleurs un succès grandissant : plus de 7 millions de participants, des centaines de communes, de villes et de nombreux pays se joignent à cette initiative désormais européenne.

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Je vous laisse le soin, Pamela, de consulter l’ouvrage de Atanase Périfan, Pas de quartier pour l’indifférence, La Table ronde
Ne serait-ce pas l’occasion de faire connaissance, vous et moi ? Eh bien oui. Je suis l’heureux acquéreur de la bergerie située en face de chez vous. Si la fête des voisins nous réunit, je vous ferai bien découvrir ma dernière trouvaille culinaire : le fondant au chocolat et son coulis de pamplemousse. Un régal.

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Et puis, si vous insistez, je laisserai sur la table du jardin, à côté des jus de fruits et des sorbets aux agrumes, le petit livre de Riccardo Petrella (176 pages), Pour une nouvelle narration du monde : humanités, bien communs, vivre ensemble, Ecosociété. Car je crois que nous avons beaucoup de choses à nous raconter, Pamela. Et je peux à présent vous le dire sans rougir : j’ai toujours plaisir à vous surprendre le matin dans votre robe de chambre alors que vous relevez votre courrier…

D’ici là, je vous souhaite un très bel été, Pamela.
Je retourne à mes brebis.
Bien à vous.
A.

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