Les entretiens Michel Serres / Yves Coppens

Révolution sur la mémoire

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Le 14 novembre prochain, Michel Serres et Yves Coppens convient des personnalités à débattre sur le thème de la mémoire. Cette rencontre, placée sous le signe de la transdisciplinarité, a pour but d'amener les savants et le public à dialoguer ensemble et à échanger leur savoir. Chaque participant est invité à exposer ses pensées pendant une vingtaine de minutes, puis à débattre avec le public. Au cours de cette journée, la question de la mémoire sera au centre des échanges des spécialistes de diverses disciplines qui pourront ainsi confronter leurs points de vue.

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Les invités

Laurent Degos, Président de la Haute Autorité de Santé ; Jean-Pierre Luminet,physicien théoricien et astrophysicien ; Marc Jeannerod, neurophysiologiste ; Dominique Boutigny, directeur du Centre de Calcul de l’Institut National de Physique Nucléaire et de Physique des Particules, à Villeurbanne ; Claudie Haignere, astronaute, présidente de la Cité des Sciences ; Xavier Le Pichon, titulaire de la chaire de Géodynamique au Collège de France ; Annette Wievorka, historienne ; Yves Bonnefoy (sous réserve) ; Renzo Piano (sous réserve).

Pourquoi la mémoire ?

La mémoire, nécessaire, selon Pascal, « à toutes les opérations de l’esprit », correspond autant à la fonction cérébrale permettant de capter, coder, conserver et restituer des informations qu’au patrimoine mental assurant la cohésion d’un groupe ou d’une société. Aussi la mémoire est-elle plurielle et nous ne pouvons parler de mémoire mais bien des mémoires : mémoire individuelle ou collective, sensorielle, sémantique, à court terme ou à long terme, mémoire du passé révélant le présent, présent reformulant le passé… La mémoire présente donc plusieurs facettes et, désormais, toutes les approches méritent d’être explorées. Des neurosciences à la psychanalyse en passant par la littérature ou l’histoire, la mémoire est un élément central pour comprendre la condition humaine.

1) Mémoire et littérature

Écrire le temps, par des jeux de ruptures, de discontinuités narratives… le temps, sans signe de durée. Le souvenir, celui, rendu célèbre, de la madeleine de Marcel Proust, faisant revivre l’espace d’un instant le temps perdu. Sans nul doute les mouvements du temps et de l’écriture présentent de nombreuses analogies. L’écrivain est sans cesse amené à s’interroger sur le souvenir, à faire revivre le passé, le sien mais aussi celui des autres, à croiser expériences historiques et individuelles. Le langage permet de faire revivre le monde à travers des lieux, des sensations, des visages ou des objets disparus ; il est le reflet des troubles, des manques, des silences. La narration joue avec des réalités qui coexistent avec la fuite du temps.

Quelques pistes de lecture

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O ma mémoire : la poésie ma nécessité, de Stéphane Hessel, Seuil, 2006.

En assemblant un corpus de quatre-vingt huit poésies apprises par cœur et jamais oubliées, Stéphane Hessel souhaite transmettre au lecteur le plaisir de la récitation et faire partager les joies que procure la mémorisation de ces poésies françaises, anglaises et allemandes.

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Cafés de la mémoire, de Chantal Thomas, Seuil, 2008.

Installée dans un café de Nice, l’auteure se souvient de sa jeunesse, ses études, ses errances passées dans des lieux de mémoire : les cafés. Tous, reconstitués dans leur particularité, lui rappellent des instants d’intimité, de discussions, de complicités et lui permettent, à partir d’une déambulation personnelle, de retracer l’évolution de la société.

La mystérieuse flamme de la reine Loana, d’Umberto Eco, Grasset, 2005.

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“Le brouillard aux cillines hérissées monte en bruinant et sous le noroît hurle et blanchit la mer” ; “Giambattista Bodoni était un célèbre typographe. Mais je suis certain que ce n’est pas moi”. Tels sont les uniques souvenirs de Yambo, sexagénaire récemment sorti d’un coma. En effet, suite à cet accident, Yambo ne possède plus qu’une mémoire littéraire. Il lui faut donc partir en quête de ses souvenirs : guidé par un tressaillement nommé la « mystérieuse flamme de la reine Loana », il retrouve les traces de son enfance et notamment le souvenir d’un inoubliable amour de jeunesse.

2) Mémoire et Histoire

Depuis les deux dernières décennies du vingtième siècle, l’attention portée à la mémoire s’est considérablement accrue et les controverses ne cessent d’augmenter autour d’une récupération partisane. Désormais, tout apparaît comme un « devoir de mémoire » : des commémorations aux lois mémorielles, le passé est fréquemment invoqué en tant que processus rendant possible la construction d’une identité et la compréhension du présent. Si le devoir de mémoire semble être une composante de la citoyenneté et permet de prendre conscience d’appartenir à une communauté, il ne faut pas pour autant oublier qu’il pourrait être dangereux de l’instrumentaliser à des fins partisanes. Depuis le célèbre ouvrage de Pierre Nora, Les Lieux de Mémoire, de nombreux historiens ont réfléchi sur l’appréhension de la mémoire afin de tendre vers une plus grande objectivité et éviter ainsi l’écueil d’une mémoire qui ne serait qu’orientée, pensée uniquement à partir du présent.

Quelques pistes de lecture

Dossier Repère, Histoire et mémoire

En complément du dossier :

Quel bruit ferons nous ?, d’Arlette Farge, les Prairies ordinaires, 2005.

L’ouvrage d’Arlette Farge est un plaidoyer pour les classes marginalisées silencieuses. En effet, selon Philippe-Jean Catinchi (Le Monde, 1er avril 2005), l’auteure exprime « une révolte sourde contre le savoir lisse », contre toutes les histoires non ébruitées. L’antagonisme entre les élites, les « visages dominants » et les classes populaires doit être défié voire même combattu. Pour ce faire, Arlette Farge se met en quête d’une écriture historique engagée, donnant la parole aux oubliés, seule manière, selon elle, de mieux transmettre l’histoire et de comprendre les rapports avec la politique.
La hantise du passé, d’Henry Rousso, Textuel, 1998.

Après avoir consacré de nombreuses réflexions au système de Vichy et notamment à l’élaboration collective du mythe résistantialiste, Henry Rousso s’inquiète de l’excès du « devoir de mémoire » alors célébré par Pierre Nora. En effet, la frénésie commémorative où « effacer une trace quelconque du passé paraît suspect » empêcherait, en définitive, une prise de distance par rapport aux évènements. Il serait, dès lors, difficile de s’affranchir du passé. Aussi, dans cet entretien avec Philippe Petit, Henry Rousso évoque comment le passé devient une véritable source d’enjeux.

3) Mémoire et neurosciences

Les neurosciences, soient les sciences nécessaires à l’étude de l’anatomie et du système nerveux, dont le cerveau, connaissent depuis une trentaine d’année un intérêt croissant. On perçoit, en effet, une véritable volonté d’étudier le fonctionnement du cerveau et d’inclure tout autant, dans les travaux scientifiques, l’influence de l’environnement, du milieu extérieur que le programme génétique. L’observation entre le processus émotionnel et les différents systèmes de neurones conduit à une meilleure connaissance du « monde intime » de la pensée, des affects ou de la mémoire. Cependant, notre savoir demeure encore bien imparfait et, alors que l’espérance de vie ne cesse de s’allonger et que le vieillissement de la population augmente, les réflexions sur le cerveau deviennent de véritables enjeux. En effet, les troubles de la mémoire, les amnésies, les maladies neurodégéneratives telles celles de Creutzfeldt-Jacob, Huntington, ou encore du Parkinson croissent en même temps que la population vieillit. On compte actuellement 500 000 personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer et ce chiffre risque encore de s’amplifier dans les prochaines années. Aussi importe-t-il de parfaire les études consacrées au système nerveux afin de trouver une solution à cette détérioration du fonctionnement des cellules nerveuses.

Quelques pistes de lecture

Biologie de la mémoire, de Georges Chapoutier, Odile Jacob , 2006.

Geroges Chapoutier réalise une synthèse des divers types de mémoire et s’intéresse au processus biologique contrôlant le fonctionnement du cerveau à savoir le rôle de son anatomie, de l’action des molécules cérébrales s encore de l’activité des cellules nerveuses.

À la recherche de la mémoire : une nouvelle théorie de l’esprit, d’Eric Kandel, Odile Jacob , 2007.

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Comment le stockage permanent des informations est-il rendu possible ? Quels sont les processus de la mise en mémoire ? Cette recherche sur la mémoire, consciente ou inconsciente, courte ou inscrite dans le long terme, conduit Eric Kandel à se questionner sur le rôle des synapses, des prions et de manière plus générale sur le fonctionnement du cerveau. L’auteur s’intéresse également à comprendre l’influence d’évènements extérieurs et à montrer comment un fait brutal peut s’inscrire instantanément dans le cerveau.


Le cerveau intime, de Marc Jeannerod, Odile Jacob, 2005.
La connaissance du cerveau et de sa relation avec le monde intérieur de chacun est abordé selon deux thèmes : le cerveau « exploré » propose une réflexion sur le fonctionnement du cerveau, des gènes aux réseaux de neurones et sur son évolution perpétuelle. La deuxième partie, le cerveau « exposé », s’articule autour de cinq considérations : ce qui agit en moi (le cerveau et le corps), ce que je ressens (le cerveau et l’émotion), ce que je sais (le cerveau et la mémoire), ce que je pense (le cerveau et la pensée) et enfin ce que je suis (le cerveau et le social). Chacune de ces parties participe à la compréhension des pathologies, de l’adaptation du cerveau, de la mémoire.

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