L'histoire des émotions

Du rire, du sang et des larmes

- temps de lecture approximatif de 13 minutes 13 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Dans le vocabulaire courant, nos émotions ont des noms : peur, joie, tristesse, colère, mais aussi honte, bonheur, regret et aussi pourquoi pas nostalgie, sympathie, jalousie, espoir ; leur nombre semble difficile à saisir.. On avait l'habitude de tenir les émotions et les sentiments pour universels, anhistoriques et déliés de la raison. Il est impossible aujourd'hui de maintenir le cloisonnement entre l'affectif et le cognitif, le corps et l'âme, le sauvage et le civilisé, l'individu et la société. Les sciences cognitives, d'un côté, et le constructivisme, de l'autre, ont montré dans les dernières décennies le caractère culturel et raisonnable de la sphère de l'affectivité.

© Pixabay
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L’histoire des émotions repose sur les transformations que les sciences extérieures à l’histoire ont produites dans la connaissance des mécanismes émotionnels. L’émotion, jusqu’alors tenue pour anecdotique et marginale, est devenue un nouvel objet d’histoire au centre de toutes les attentions.

Les émotions dans tous leurs états

Les émotions sont de curieuses chimères. Etats du corps autant qu’états de l’esprit, elles semblent avoir une signification mentale précise en même temps qu’elles déterminent notre action. C’est pourquoi elles intéressent à la fois le biologiste, le philosophe, le sociologue, le psychologue et l’historien.

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Du côté des revues

Terrain, n°22, mars 1994, consacré aux émotions.
Y a-t-il des émotions universelles ou sont-elles toutes culturelles ? Quoi qu’il en soit, ethnologues et historiens montrent comment l’expression de ces émotions varie fortement selon les cultures et les époques.
Un aperçu du sommaire : émotions et stratégies d’autonomie en Grèce égéenne ; émotions rimées ; l’agression physique, une peur irréparable ; le voile d’honnêteté et la contagion des passions ; le transport, une émotion surannée…

Sciences Humaines, n° 68, janvier 1997
Les émotions de A à Z, pannes d’émotions, pannes de décision, la face cachée des émotions…

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Ecrire l’histoire, dont voici un aperçu du sommaire N°1 – Printemps 2008 :
Claude Millet/ Présentation
Joël Blanchard/ Pragmatique des émotions : une période de référence, le Moyen Âge
Marc Hersant/ L’histoire interdite : Saint-Simon et le bouleversement du singulier
Paule Petitier/ La mort de Charles le Téméraire : la place de l’émotion dans le récit et la peinture historique (Barante, Delacroix, Michelet)
Dominique Dupart/ Défense de l’émotion tribunicienne : Lamartine à la Chambre des députés, les 8 mai et 30 décembre 1834
Jean-Philippe Chimot/ Daumier ou l’histoire des épreuves à l’épreuve de l’art
Franck Costigliola/ Genre, pathologie et émotion dans la conceptualisation de la Guerre froide par George Kennan. Traduit par Stéphane Gestel et Marie-Jeanne Rossignol
Galit Haddad/ Colère et protestation combattante : les soldats réservistes de Tsahal après la deuxième guerre du Liban
Un entretien avec Arlette Farge

Du côté des livres

Le partage social des émotions, par Bernard RIME, préf. par Serge MOSCOVICI.
Le mot émotion est sur toutes les lèvres et dans tous les médias. Le spectacle de l’émotion suscite un intérêt insatiable. Celui qui vit une émotion s’empresse d’en parler. Son entourage l’écoute avec avidité et répète ensuite à d’autres ce récit. Les épisodes émotionnels singuliers se propagent ainsi dans les groupes. Pourquoi cette fascination pour l’émotion ? Qu’est-ce qu’une émotion ? Qu’est-ce qui la déclenche ? Quelles fonctions remplit-elle ? Pourquoi partageons-nous nos émotions ? Est-ce que parler d’une émotion soulage ? Quand l’émotion devient-elle traumatique ? Qu’est-ce qu’un trauma ? Quelles en sont les conséquences ? Peut-on s’en prémunir par l’expression ? Ce livre examine ces questions à partir d’une documentation scientifique abondante. Il distingue ce que l’expression apporte et n’apporte pas. Il vise à comprendre pourquoi l’expérience de l’émotion stimule de manière spectaculaire le contact social et la communication sociale.

Géopolitique de l’émotion, comment les cultures de peur, d’humiliation et d’espoir façonnent le monde, par Dominique MOISI.
Fondé sur une multitude d’expériences nationales et culturelles, ce livre révèle un ordre du monde fondé sur les émotions. Il explique comment cet ordre s’est constitué et comment il détermine le présent et l’avenir.

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Émotions, essai sur le corps et le social, par Paul DUMOUCHEL.
L’émotion n’est pas un épisode privé dans la vie du sujet, et qui reçoit par la suite une socialisation qui la dompte ou qui la met en forme. Elle n’est ni un équilibre particulier des humeurs, ni un tressaillement des viscères, ni un état mental, ni à fortiori, une réaction de la psyché confrontée au refoulé. Les émotions sont des oeuvres communes auxquelles plusieurs participent.

Le rire et le pleurer, une étude des limites du comportement humain, par Helmuth PLESSNER.
Helmuth Plessner (1892-1985) peut être considéré, avec Max Scheler, comme le fondateur de l’anthropologie philosophique, qui se distingue d’autres courants de la philosophie moderne par une prise en considération systématique de la condition corporelle de l’homme. C’est dans le rire et le pleurer que se manifeste le fait que l’homme n’a pas seulement un corps, mais qu’il est un corps.

Le corps dans tous ses états , telle a été la thématique des12° Rendez-vous de Blois, en octobre 2009.
Sur le site de L’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense. Les Rendez-vous de l’histoire de Blois,on peut retrouver l’ambiance et les temps forts de ces rencontres.

Les conférences seront très prochainement en ligne :
Conférences Blois

Du côté d’internet

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Les émotions au Moyen Age :
Présentation du projet EMMA (Les Emotions au Moyen Âge) C’est un programme de recherche consacré à l’étude des émotions médiévales dans une perspective d’échanges avec les sciences humaines et sociales. Il s’agit d’abord de questionner la prétendue immaturité émotionnelle des sociétés médiévales, promptes aux débordements affectifs et aux effusions impulsives.
Plus largement, c’est tout le processus de rationalisation de la culture occidentale que nous questionnons et la façon dont il a progressivement instauré un dualisme raison / émotions au détriment de la part affective, éternelle mineure de la nature humaine. Notre objectif est alors de reconstruire sur de nouvelles bases un savoir historique concernant la place et les enjeux de la vie affective dans la conception du sujet et les relations sociales durant la période médiévale.

Émotions historiques, émotions historiennes

Émotions et affectivité sont des hôtes invités tardivement au banquet de l’histoire

Un mouvement continu déclenché par la création des Annales puis l’essor de la Nouvelle Histoire a permis d’étendre progressivement l’enquête historique à d’autres formes de réalité que les faits. Cependant, si les mentalités, supplantées ensuite par les représentations et l’histoire culturelle ont gagné leur place parmi les réalités historiques canoniques, les sensibilités, dont l’acte de naissance est tout aussi ancien paraissent encore à la périphérie de la recherche . Alain Corbin a souligné, il y a bientôt dix ans, « la frilosité de l’histoire » universitaire » face à ce champ historique, alors même que la demande sociale à son endroit, était, et demeure forte.
« Reconnaissons-le, il existe entre l’histoire des émotions et les autres sphères plus traditionnelles du champ historique une dialectique qui ressortit au cru et au cuit, au mou et au dur. Malgré les appels précoces de Lucien Febvre et de quelques autres, malgré des études pionnières aussi fulgurantes que dépourvues de postérité, il n’est guère éloigné le temps où l’émotion ne relevait pour l’historien de profession que du registre de l’anecdotique ou d’un soubassement irrationnel des actions humaines, une sorte de causalité secondaire qu’il fallait s’empresser d’épaissir avec des mobiles plus sérieux et tangibles. Alors même que l’histoire culturelle et des représentations privilégie, en bonne héritière de Foucault, les discours, l’histoire de l’émotion apparaît comme une histoire des mentalités « relookée », à la fois molle et plutôt marginale, en tout cas contenue dans un état de minorité. Or le moment historique que nous vivons est celui de son émancipation. »

La peur en Occident, par Jean DELUMEAU.
Non seulement les individus pris isolément, mais les collectivités et les civilisations elles-mêmes sont engagées dans un dialogue permanent avec la peur. celle-ci prend toutrfois des visages différents, depuis les terreurs médiévales jusqu’à l’obsession contemporaine de la sécurité. l’auteur montre à la fois les continuités et les ruptures, ainsi que la diversité des formes prises par la peur en Occident. des peurs collectives, comme celles engendrés par la peste, aux séditions populaires, des visages de Satan aux procès en sorcellerie, ce livre a profondément renouvelé l’histoire des mentalités et des comportements.

Histoire des larmes, XVIIIe-XIXe siècles, par Anne VINCENT-BUFFAULT.
Une étude pionnière, une histoire des larmes, à travers des sources multiples ( médicales, judiciaires, journaux intimes, traités de savoir-vivre et d’éducation) , soit une façon nouvelle de relire le passé et peut-être d’interroger le siècle. Le XVIIIè siècle aime pleurer en public, le XIXème privément ; il faut rétablir l’ordre, et remettre la puissance émotive et manipulatrice à sa place.

Le don des larmes au Moyen Age, par Piroska NAGY.
Partie du constat de la valorisation médiévale des larmes sous deux formes (les larmes de dévotion et celles qui sont le signe de la grâce), l’auteur, historienne du Moyen Age, approche ce thème à partir du discours théologique et hagiographique médiéval.

Histoire du visage, exprimer et taire ses émotions (du XVIe au début du XIXe siècle), par Jean-Jacques COURTINE, Claudine HAROCHE.
Le visage parle. Entre le XVIe et le XIXe siècle, les textes le disent et le répètent : dans les traits de l’homme physique, on peut lire l’homme psychologique. Mais le visage peut aussi dissimuler, et la physionomie traduire autant l’authenticité que la conformité. De plus en plus sensible à l’individu, au regard et au mouvement des traits, le XVIe siècle voit grandir l’empire de l’expression individuelle. Mais dans le même temps, on en vient à se méfier de tout excès et à vouloir mettre le corps au silence. A l’aube du XIXe siècle, avec l’avènement des sociétés de masse, les visages tendent à devenir anonymes, une peur de l’inconnu se dessine, ainsi que des partages entre physionomie de l’honnête homme et de l’homme dangereux, entre physique populaire et physique bourgeois…

Histoire du rire et de la dérision, par Georges MINOIS.
Du rire des dieux de l’Olympe à la société humoristique de consommation, une synthèse sur la place du rire dans la société et sur ses bons et mauvais usages.

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Les éclats du rire, la culture des rieurs au XVIIIe siècle, par Antoine de BAECQUE.
Sans doute ne riait-on pas davantage au XVIIIe siècle qu’à d’autres moments de l’histoire de France. par contre, sûrement riait-on différemment qu’un siècle plus tôt ou quelques années plustard. Les lumières sont un âge du rire, xcar une culture spécifique s’est alors constituée autour du fait de rire, avec ses pratiques et ses représentations. Ce livre explore ses manières de rire, ces sujets du rire, ces valeurs, ces débats et ces polémiques, à travers les destins croisés de groupes de rieurs qui ont donné consistance aux éclats de rire du siècle. Rire est en effet une habitude collective. De même, ce livre est composé de destins singuliers, rieurs qui ont laissé traces de leurs éclats. Ce livre est enfin un essai politique, puisqu’il tente de démontrer combien le rire, ou plutôt ses traditions contradictoires, satire, farce et gaieté, a compté dans les habitudes et les représentations politiques du pays, jusqu’à la Révolution française, qui s’ouvre par une véritable guerre du rire.

La vie fragile, violence, pouvoirs et solidarités à paris au XVIIIe siècle, par Arlette FARGE.
Dans quelles archives faut-il débusquer les rythmes quotidiens d’une société, avec ses tragédies et ses ferveurs collectives ou intimes ? Comment rendre compte de ce qui détermine hommes et femmes, patrons et ouvriers, princes et commis, à se lier, à se fâcher, à s’organiser ou à se révolter ? C’est à ces questions que répond Arlette Farge en prenant l’exemple de la société parisienne au XVIIIe siècle. Au travers des archives judiciaires, dans ce livre exubérant et grave, elle explore le fait divers et le dilate en symbole. On rencontrera aussi une vaste population d’artisans, de femmes séduites ou abandonnées, de revendeurs et de filous, d’enfants de la rue, de contre-maîtres, de couples querelleurs aux prises avec tous les instants d’une “vie fragile “.

La longue patience du peuple, 1792. naissance de la République, par Sophie WAHNICH.
Longtemps la politique révolutionnaire a été saisie sous la métaphore du théâtre. Sophie Wahnich propose de l’appréhender sous celle de l’opéra. Elle redonne ainsi à ceux que l’on a trop vite considérés comme spectateurs de la politique agie par des représentants, la voix de leur pouvoir souverain. Cette voix est celle d’un peuple patient, amoureux de la vie paisible et juste, capable de faire parler les corps et d’articuler ses revendications avec intensité. Ses émotions témoignent non d’une versatilité sans fin mais d’une faculté de juger les situations à l’aune d’un désir de justice qui va jusqu’à l’exigence de la loi. Pourtant une dynamique infernale mène à l’insurrection du 10 août, à l’abolition de la royauté, à la naissance traumatique de la République. Amnistie de la fuite du roi, oubli de la fusillade du champ de Mars, fausse concorde, manœuvres dilatoires de représentants qui restent sourds aux alarmes et aux espoirs exprimés dans un vaste mouvement pétitionnaire, n’en finissent pas de mettre à l’épreuve ” la longue patience du peuple “. Pour obtenir justice ou simplement reconnaissance de sa souveraineté, le peuple hausse le ton, puis reprend ” le glaive de la loi “. Alors qu’il avait rêvé d’une révolution économe du sang versé, il est acculé à une violence dont il ne voulait pas, mais qu’il assume dans le deuil. Sophie Wahnich renverse l’ordre des responsabilités quand la violence surgit. Ce n’est plus le peuple qui laisse se déchaîner la violence, ce sont des représentants indifférents et inconscients qui le poussent à faire usage de la violence comme seul langage audible et irréversible.

La France des larmes, deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), par Emmanuel FUREX.
De la Restauration des Bourbons au retour des cendres de Napoléon, les grands deuils publics et leurs effusions collectives sont analysés comme significatifs des conflits, des fractures et des efforts de réconciliation de la société avec elle-même. Par le deuil de Napoléon, de Louis XVIII, de députés d’opposition, d’insurgés des années 1830, le peuple participe à l’histoire collective. La France des larmes, à travers ces deuils, propose “un étonnant voyage” (Alain Corbin), une immersion complète dans les gestes, des mots, des émotions qui suggèrent une autre manière d’écrire l’histoire politique.

L’indignation, histoire d’une émotion politique et sociale (XIXe-XXe siècles), sous la direction de Anne-Claude AMBROISE-RENDU, Christian DELPORTE.
Réaction de colère, bouffée de révolte, cri lancé contre l’injustice, expression brutale ou sourde du mépris et parfois de la haine, l’indignation est une émotion qui relève de la conscience morale mais aussi du sentiment politique. Mais elle est bien davantage encore car, en participant à l’exercice du jugement et de la raison, elle contribue également à fonder les identités collectives en termes moraux et politiques. C’est pourquoi l’indignation, actrice essentielle, ces deux derniers siècles, de multiples débats – littéraires ou médicaux, juridiques ou sociaux, politiques ou médiatiques -, fournit l’une des clés qui permettent de mieux comprendre comment les sociétés démocratiques se sont bâties jusqu’à nos jours. L’histoire de l’indignation est à construire : le lecteur en trouvera ici les premiers contours.

Écrire l’histoire

Que dire de la pratique historienne ?
L’historien ne peut échapper à un faisceau d’interrogations à propos de son implication affective face à son objet d’histoire.
En acceptant l’idée de l’indissociabilité de la raison et du sentiment, l’historien est lui-même conduit à évaluer la part d’engagement affectif qui préside à son travail. Ecrire l’histoire, c’est aussi jouer avec les émotions du lecteur/spectateur.
L’historien doit aussi prendre en compte l’impact émotionnel de son écriture sur le lecteur.

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